Venues du Mexique et de Turquie, les lauréates inspirées du prix Terre de femmes

Depuis 15 ans, le prix « Terre de femmes » (Fondation Yves Rocher, en partenariat avec Terriennes) soutient des femmes engagées dans la protection de la planète. L’édition internationale 2016 récompense une agronome mexicaine et une architecte turque, écolos et solidaires.
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laureates du prix international terre de femmes
L'architecte Özgül Öztürk (Turquie) et l'ingénieure agronome Maria Nieves Trujillo Tapia (Mexique), les deux lauréates du prix international "terre de femmes", lors de la cérémonie de remise de prix, à Paris, le 5 avril 2016.
© Séverine Maublanc
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Emues aux larmes, sur l’estrade de la fondation Yves Rocher, Maria Nieves Trujillo Tapia, chercheuse-agronome et Özgül Öztürk, architecte, viennent de recevoir ex-æquo le 15ème prix international « Terre de femmes », qui récompense des femmes engagées dans des projets solidaires et la protection de la planète.
Après des années de travail et de combativité, les deux femmes, l’une mexicaine, la seconde turque, sont fières de leur action. Elles ont été choisies parmi les neuf lauréates « terre de femmes », primées chacune dans leur pays.

Des entrepreneures écolos et solidaires


Ce 5 avril 2016, à Paris, devant le public de la cérémonie internationale, les deux gagnantes expliquent, avec modestie, leurs projets : « J’ai fait un engrais bio qui permet à des femmes très pauvres, les Zapotèques au Mexique (région d'Oaxaca, tout au Sud du pays, ndlr), de cultiver l’hibiscus et d’augmenter la production de cette fleur, là où la terre est pourtant mauvaise ».

A la suite de Maria Nieves Trujillo Tapia, Özgül Öztürk prend la parole : « Je pense à mon père. C’est à sa mort que j’ai eu envie de redonner vie à mon village natal, Nimri (Anatolie, centre oriental de la Turquie, ndlr), où l’exode rural est très fort. Mon association développe les moyens pour que les habitants restent vivre sur place. Pour générer des revenus, on a créé un festival qui valorise leur culture et on est en train d'implanter une agriculture durable, selon les principes de "permaculture" (traditionnelle et naturelle, ndlr). Avec les jeunes de villages voisins, nous avons déjà planté 6000 pins et localisé 69 fontaines ».  

Maria Nieves est chercheuse en biotechnologies à l'université publique "del Mar", de l'Etat d'Oaxaca. Depuis 13 ans, elle cherche des solutions agricoles pour les populations en situation de grande pauvreté. Son engrais non seulement ne dégrade pas la planète, mais aide ces communautés, en particulier les femmes, à trouver une voie de survie : un projet à la fois écologique et solidaire, dans un pays de grande violence sociale.

Dans les extraits de vidéos ci-dessous, réalisées à l'occasion de leur candidature pour le prix "Terre de femmes", Özgül Öztürk et Maria Nieves expliquent leur démarche. 

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En plus du prix du jury, le projet d’Özgül Öztürk a reçu les faveurs du public internaute. Au micro de la fondation Yves Rocher, l’architecte a envie d'évoquer la souffrance des Turcs face aux attentats à Ankara et Istambul : « malgré ces événements, je constate que les gens ont voté. Cela me fait plaisir ».

Prix "terre de femmes"
Özgül Öztürk, en discussion avec les autres lauréates "Terre de femmes", avant la proclamation des prix, lors des "ateliers d'inspiration" organisées par la fondation Yves Rocher.
© Séverine Maublanc

Elle explique combien les soutiens extérieurs, même lointains, l'aident à faire connaître son projet et son village : « avant, personne ne connaissait Nimri. Maintenant, les Turcs connaissent ce village jusqu’à Istambul. On a besoin de ce soutien. Cela nous apporte beaucoup ».

« Terre de femmes » : 15 ans d'existence

Le prix « Terre de femmes » a été lancé en 2001, sous l’impulsion de Jacques Rocher, fils du fondateur de la marque de cosmétiques Yves Rocher. Son engagement est ancien et vient, dit-il, de sa passion pour la nature : « j’ai une relation très forte avec la nature depuis que je suis né. On a grandi dans un village, notre entreprise est dans ce village. » L’entrepreneur français, convivial et accessible, justifie avec pragmatisme les actions de sa fondation : « Notre marque utilise la nature et des millions de femmes achètent nos produits. On leur doit beaucoup. Il me paraît logique de mettre en lumière des femmes qui agissent pour l’environnement ».

Jacques Rocher
Jacques Rocher, fondateur et président d'honneur de la fondation Yves Rocher, lors de la cérémonie de remise du prix international "Terre de femmes" 2016.
© Séverine Maublanc


Depuis 15 ans, la fondation a soutenu 300 projets d’entrepreneures dans le monde. Elle les sélectionne dans les pays où la filiale locale de la marque Yves Rocher veut développer le prix (Ukraine, Russie, Portugal, France, Allemagne, Maroc, Suisse, France, et depuis 2016, Mexique et Turquie). Jacques Rocher tient à cette diversité : « diversité des projets, des pays dans lesquels ils sont menés et des origines des porteuses de ces projets. »

« Elles sont très difficiles à départager. Pour le prix international, on a peut-être penché vers celles qui entreprennent une action dans leur propre pays, où la transmission est directe », confie Sylvie Braibant, membre du jury international et rédactrice en chef de l’émission "Terriennes" (TV5Monde), partenaire du prix. « Il faut avoir conscience, poursuit-elle, qu’en Russie, en Ukraine, au Mexique ou en Tuqruie, même si les actions de sauvegarde de l’environnement semblent minuscules, leurs porteuses agissent dans une très grande solitude. Elles sont très méritantes ».
Cette année, exceptionnellement, la Fondation a décidé de récompenser deux projets au lieu d'un seul, profitant de la dotation plus grande du prix, en l'honneur de son 15ème anniversaire.

Grand hapalemur
Le grand hapalémur de Madagascar vient d'être retiré de la liste des animaux en voie d'extinction, grâce à l'action de Delphine Roullet, lauréate du pris Terre de femmes France
Wikicommons

Les neuf lauréates en lice se consacrent à la reforestation de zones défrichées, la création de lumière grâce à la réverbération de l’eau dans les cases de villages africains, le développement d’une agriculture écologique dans des zones rurales en grande difficulté, le traitement de déchets ou encore la protection d’espèces en voie de disparition.

Tous ces projets demandent un investissement en temps, en énergie et en argent important. Par exemple, la lauréate France 2016, primatologue au zoo de Vincennes,  qui a créé une association de défense du grand hapalémur (un primate), se rend deux à trois fois par an à Madagascar sur ses fonds propres.
Sur place, Delphine Roullet fait en sorte que les cultivateurs, pauvres, ne détruisent pas l’habitat du lémurien, qui vit sur leurs terres : " un équilibre entre les hommes et les animaux qui n'est pas simple " dit-elle, mais qu'elle a néanmoins réussi à atteindre, puisque grâce à son action, le grand hapalémur vient d'être retiré de la liste des animaux en voie d'extinction.

"Ma fille est fière de moi"

Dans chaque pays participant, la fondation Yves Rocher offre un soutien financier de 5000, 3000 et 2000 euros pour les premières, deuxièmes et troisièmes lauréates. La dotation du prix est plus élevée en France, Allemagne et Russie, où la marque Yves Rocher souhaite soutenir encore plus les projets.
L'un des buts de « Terre des femmes » est de « démultiplier les initiatives », comme l’explique son président d’honneur.

Evgueniya Aratovskaya, prix Ukraine, et Anastasia Skourikhina, prix Russie Terre de femmes 2016
Evgueniya Aratovskaya, prix Ukraine, et Anastasia Skourikhina, prix Russie Terre de femmes 2016, à gauche et à droite de leur traductrice. Elles sont multi tâches et très seules...
DR


Le prix cherche aussi à « offrir une marque de reconnaissance aux entrepreneures dont l’engagement n’est pas toujours soutenu dans leur pays ».
Ce fût le cas de Souhad Azennoud, lauréate 2016 au Maroc. Cette ingénieure agronome a choisi de quitter sa vie en ville et son emploi pour se consacrer au développement de la production de « petit épeautre » dans les villages. Elle veut empêcher les jeunes, en particulier les femmes, de partir en ville « et végéter sans travail », en leur donnant les moyens de gagner leur vie par l’agriculture.
Lorsqu’elle reçoit le prix « terre de femmes » Maroc 2016, sa fille, qui « n’a jamais eu d’intérêt pour ce qu’ (elle) faisait dans (s)on village » et qui a souvent reproché à sa mère de «  préférer ses cultures à ses enfants » lui confie alors combien elle est fière d’elle, raconte aujourd'hui la lauréate.

Lors des rencontres avant la remise des prix, d'autres postulantes, en particulier les lauréates venues de l'Est de l'Europe, de Russie et d'Ukraine insistaient elles aussi sur cette difficulté à concilier engagement militant, vie privée et vie professionnelle. Evgueniya Aratovskaya, prix Ukraine, et Anastasia Skourikhina, prix Russie Terre de femmes 2016 racontent comment elles doivent tout faire (organiser, gérer, transporter, etc) et se battre en permanence dans une grande solitude pour ne pas renoncer. La première tente d'organiser et de sensibiliser au tri des déchets dans un pays où cette pratique est encore inexistante... La deuxième offre de replanter des arbres avec une action citoyenne dans la région de Kirov (centre oriental de la Russie).

Pour les aider à ne pas baisser les bras, cette année, la Fondation a créé un nouveau département de ses actions, les « coups de pouce » afin de mettre en relation des personnes qui veulent offrir leur aide, financière ou matérielle, avec les entrepreneures "terre de femmes".