Veronica J Rutledge, une Américaine très ordinaire

Le 30 décembre 2014, un bébé de deux ans, installé dans le caddie d'un supermarché de l'Idaho, à l'extrême Nord des Etats-Unis, s'ennuyait en attendant sa maman. Tandis que celle ci choisissait ses produits dans les rayonnages, il fouille le sac, y trouve le revolver de sa mère, cran de sûreté non enclenché, s'en empare, vise, tire et la tue. Il devient ainsi, sans doute, le plus jeune meurtrier au monde.
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Veronica J Rutledge, une Américaine très ordinaire
Kate Wilson et son mari Sam Glen sont membres du “Westside Pistol & Rifle Range“ à New-York
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Des esprits chagrins nous reprochent de ne pas évoquer dans Terriennes la violence des femmes. C'est inexact : nous avons consacré de nombreuses pages à ce sujet parfois tabou, tant il est vrai que jusque là les femmes violentes semblaient en proportion infinitésimale par rapport à la violence des hommes. Mais en ce début du XXIème siècle il faut bien reconnaître que, dans certaines contrées, l'écart tend à se réduire. Ce fait divers arrivé tout près de la frontière canadienne  montre que cela est vrai aux États Unis.

Nous n'avons pas pour habitude dans Terriennes d'évoquer des "faits divers". Mais l'Encyclopaedia Universalis nous rappelle bien à propos ce que le sémiologue français Roland Barthes en disait, en 1966 dans ses Essais critiques : « Le fait divers procéderait d'un classement de l'inclassable, il serait le rebut inorganisé des nouvelles informes... désastres, meurtres, enlèvements, agressions, accidents, vols, bizarreries, tout cela renvoie à l'homme, à son histoire, à son aliénation, à ses fantasmes, à ses rêves, à ses peurs... ».

Une banalité bouleversante

En ce sens, le New York Times ne s'y est pas trompé. L'article  de Bill Morlin et Kirk Johnson, publié le 31 décembre 3014, consacré à ce macabre accident, commence ainsi, avec une constatation édifiante :

"Les détails sont bouleversants de banalité. Un bébé de deux ans ; assis dans un caddie de la chaîne de supermarchés Walmart, le sac de sa mère à sa portée et sans surveillance, tandis qu'elle fait son choix dans les rayonnages. Trois filles, toutes ont moins de 11 ans - cousines du petit garçon et de sa mère, se tiennent à côté. Un matin glacial dans l'enclave septentrionale de l'Idaho. Pause de vacances. Les vêtements côtoient le  matériel électronique à l'arrière du magasin.
Puis, juste avant 10h20, comme l'enregistrement vidéo le montre, le petit garçon trouve un révolver dans le sac de sa mère, et décharge une seule fois, à bout portant, vers l'endroit où elle se tient, à moins d'un bras de longueur, dit le lieutenant Muller, porte parole du bureau du Sheriff, comté de Kootenai. Elle est morte instantanément, a-t-il ajouté, sa mort est apparemment accidentelle.
"

Une banalité bouleversante. Un drame des armes à feu aux Etats Unis. Un de plus. En septembre 2014, c'est une petite fille qui avait tué son instructeur de tir en disant pour s'excuser que "l'arme qu'on lui avait donnée était trop lourde pour elle." Elle était la fille d'un adorateur des armes.

Le bébé de l'Idaho était, lui, le fils d'une adoratrice des armes à feu. La parité dans l'horreur est en marche : 15% des femmes aux Etats-Unis possèdent un fusil contre 44% d’hommes, mais la proportion féminine augmente plus vite que la masculine, aiguillonnée par les campagnes de la National Rifle Association (NRA littéralement l’association nationale du fusil). Et toute cette adoration morbide ressemble à une communion, au nom du deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique qui garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé."  

Aux Etats-Unis, 270 millions d'armes à feu circulent soit 89 armes pour 100 habitants. On compte plus d'un meurtre par arme à feu toutes les heures, soit plus de 27 homicides par jour ou encore 9.855 meurtres par an. Dont un nombre indéterminé causés par des jeunes mineurs, lacune due au refus de regarder la réalité en face ainsi que le note le Washington Post. Les femmes sont aujourd'hui devenues la cible prioritaire de cette industrie de la mort, avec succès.
 
Veronica J Rutledge, une Américaine très ordinaire
Une habituée du Westside Pistol & Rifle Range a New York - photo Jonathan Alpeyrie, pour TV5MONDE

Depuis, tant la presse locale de l'Etat de l'Idaho que dans celle de la Fédération, et même au delà des océans, s'interroge sur le profil de la victime de ce fait divers si banal outre Atlantique. Le Guardian de Londres note : "Veronica J Rutledge, 29, est décrite par sa famille et ses amis 'belle, jeune et maman aimante' ". Elle n'était pas issue d'un milieu défavorisé et sous éduqué, mais "une brillante universitaire, et une chercheure de pointe de la physique nucléaire". Le visage lisse, sagement encadré d'une coupe de cheveux longs au carré, elle apparaît même dans une vidéo de promotion du Laboratoire National de l'Idaho où, depuis sa fondation en 1947, "52 réacteurs nucléaires ont été construits, parmi lesquels 3 sont encore en service en 2010." Elle faisait partie de cette "équipe d'élite, spécialisée dans la quête de nouveaux biocarburants plus performants".

Les armes érigées en Dieux des Amériques

Dans le Idaho Press Tribune, le beau père de cette "wonder woman", affine le portrait : "les armes à feu occupaient une grande place dans la vie de Victoria. Avec mon fils, ils fréquentaient un club de tir, et ils avaient leur permis de port d'armes. C'est mon fils qui lui a offert ce sac à main 'spécial pistolet'. Mais elle n'était pas irresponsable !" Tout de même, en sous-texte, on peut lire qu'il y a comme une interprétation de l'histoire de l'arroseur arrosé… Le Idaho appartient au TOP 3 des Etats les plus armés des Etats Unis.

Le Idaho Statesman va plus loin : "Veronica J Rutledge vivait entourée d'armes. Avec son mari, ils aimaient tout ce qui touchait aux armes. Ils se rendaient au club de tir, chassaient. Veronica ne sortait pas sans son pistolet accroché à sa ceinture. C'est pour qu'elle se sente plus à l'aise que son mari lui a offert ce sac spécial."

A l'évidence Veronica J. Rutledge n'était pas prête de rejoindre les « Moms Demand Action » (Moms Demand Action for Gun Sense in America", soit en français "les mères demandent des actes sur les armes en Amérique"), association fondée en réaction au massacre de Sandy Hook, tuerie dans une école primaire, le 14 décembre 2012, ayant causé la mort de 28 personnes dont 20 enfants, dans le Connecticut. La mère de l'adolescent meurtrier collectionnait, elle aussi, les armes à feu. Tout comme Sarah Palin, candidate républicaine à la succession de Barack Obama et qui voulait, avec les plus ultra-conservateurs du Tea Party, des armes toujours plus d'armes chez les Américains, pour les femmes comme pour les hommes.

Quand une fillette de 9 ans tuait son entraineur en armes à feu, la vidéo qui les montre, elle et lui, juste avant le drame...
 

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