Victimes d'agressions sexuelles, des détenues portent plainte aux Etats-Unis

Agressées et violées par des codétenus dans une maison d'arrêt de l'Indiana, aux Etats-Unis, une trentaine de femmes portent plainte. C'est un gardien de la prison qui aurait vendu aux hommes les clés menant aux quartiers des femmes. Les plaignantes font état de graves séquelles physiques et psychologiques.
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Sing Sing
Sur cette photo du 13 février 2020, des employés ouvrent la porte d'un ancien bloc cellulaire de la prison de Sing Sing à Ossining, dans l'État de New York. 
©AP Photo/Mark Lennihan
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Plusieurs détenues de la prison du comté de Clark, à Jeffersonville, dans l'Indiana, ont été agressées par des codétenus masculins dans la nuit du 23 au 24 octobre 2021. Plusieurs mois plus tard, elles portent plainte contre le shérif, Jamey Noel, ainsi plusieurs de ses collaborateurs, et contre David Lowe, le gardien qui aurait fourni la clé de leurs cellules moyennant la somme de 1000 dollars. Déjà suspendu et inculpé par la justice de l'Indiana pour "manquement à sa fonction" et "entente avec un détenu", celui-ci, entre-temps, a été licencié.

Nuit de peur

Le visage couvert de draps et de serviettes, les intrus ont "menacées, harcelées, intimidées, agressées" leurs codétenues pendant des heures, selon une première plainte déposée en juin 2022 au nom de 20 femmes. Selon l'avocat William McCall, la plupart des femmes s'étaient "recroquevillées sous les couchettes" ou "cachées dans les salles de bain" la nuit de l'agression. Au moins deux femmes ont été violées, selon l'avocat, qui reconnaît que quelques-unes ont "volontairement participé".

Pas un seul agent pénitentiaire en service cette nuit-là n'est venu au secours des plaignantes ou des autres victimes.
Seconde plainte, déposée fin juillet 2022

"Malgré des caméras de surveillance placées de façon à montrer les détenus masculins accédant aux cellules des femmes, et bien que plusieurs hommes et des dizaines de femmes aient été concernées pendant de longues heures, pas un seul agent pénitentiaire en service cette nuit-là n'est venu au secours des plaignantes ou des autres victimes", précise une nouvelle plainte déposée fin juillet 2022 par huit autres femmes. William McCall pose la question : "Comment peut-on ne pas remarquer les mouvements d'autant de détenus ?... Cela dépasse l'entendement." Au moins deux ou trois autres femmes devraient encore s'ajouter à la liste des plaignantes, selon l'avocat.

Lourdes séquelles

"Les détenus masculins ont pu accéder aux quartiers des femmes grâce à une clé fournie par l'agent pénitentiaire David Lowe. En conséquence directe et immédiate de ces actes, [les détenues] ont subi de graves séquelles physiques et psychologiques". Selon la seconde plainte, l'incident a commencé vers minuit dans la nuit du 23 octobre 2021 et s'est poursuivi jusqu'aux premières heures du jour suivant – "entraînant des séquelles physiques et émotionnelles importantes".

Selon le site anglophone Law&Crime, le scandale a éclaté lorsqu'une femme, qui, pour sa part, n'a pas porté plainte, a demandé à être transférée dans une autre prison à la suite de cette affaire. Enceinte du viol subi cette nuit-là, elle aurait ensuite fait une fausse couche, selon William McCall.

L'une des femmes agressées cette nuit-là, qui, elle non plus, n'a pas porté plainte, était vierge et lesbienne. Elle souffre maintenant de graves troubles mentaux et physiques, précise l'avocat, mais elle refuse toujours de porter plainte pour ne pas revivre cet épisode traumatisant. William McCall décrit par ailleurs des scènes dans lesquelles les détenus masculins exigeaient des relations sexuelles orales de la part des femmes.

Double peine

Le pire, selon les plaignantes, c'est que, l'une d'elle ayant finalement osé appeler à l'aide, elles ont été punies. Un gardien, arrivé juste après le départ des hommes, les a privé de leur "droit au noir", ordonnant de garder les lumières allumées pendant soixante-douze heures.

Plutôt que de soutenir les victimes d'agressions et d'abus sexuels, les responsables de la prison les ont punies.
Seconde plainte, déposée fin juillet 2022

Au cours des jours suivants, elles ont été placées à l'isolement et certains de leurs objets personnels (oreillers, articles d'hygiène intime, crayons...) leur ont été confisqués. "Plutôt que de soutenir les victimes d'agressions et d'abus sexuels, les responsables de la prison les ont punies", énonce la seconde plainte. Selon l'avocat William McCall, les plaignantes, par la suite interrogées par les enquêteurs, ont été "traitées comme si elles étaient les responsables de l'agression".

60 Days In

La prison du comté de Clark, à Jeffersonville, dans l'Indiana, participe à une émission de téléréalité appelée 60 Days In ("60 jours sous les verrous") diffusée sur le réseau A+E. Celle-ci consiste à introduire, sous couvert de l'anonymat, des citoyens ordinaires dans des établissements carcéraux américains. Les volontaires passent ensuite soixante jours en prison pour témoigner des conditions de vie des prisonniers.

Or "ironie de l'histoire", explique l'avocat Willima McCall, c'est que "des caméras stratégiques [pour l'émission] avaient été laissées dans la prison le jour où les agressions ont eu lieu, mais elles n'ont rien enregistré malgré les coups sur les murs et les cris..." L'avocat ajoute qu'il espère que la vidéo existe quelque part et qu'elle n'a pas disparu.

Les plaignantes réclament à la justice des dommages et intérêts pour "la violation de leurs droits civiques" par négligence, indifférence et blessures intentionnelles. Contacté par plusieurs médias, le département du shérif du comté de Clark se refuse à tout commentaire.

Avec plus de deux millions de détenus, soit 710 pour 100 000 habitants, les Etats-Unis gardent derrière les barreaux une population carcérale bien plus importante que les autres démocraties occidentales. Les prisons américaines sont régulièrement critiquées et de nombreux gardiens sont sanctionnés chaque année pour divers abus.