Victoire Ingabire Umuhoza, procès d'une démocrate rwandaise
Victoire Ingabire Umuhoza, opposante politique rwandaise, arrêtée en octobre 2010, est enfin passée devant le juge cette semaine. Connue pour ses positions très critiques contre l'actuel président Paul Kagamé, elle est poursuivie entre autre pour association avec des terroristes et négation de génocide, et risque jusqu'à 25 ans de prison.
Victoire Ingabire Umuhoza et le co-consul britannique Ian Edwards, le lundi 5 septembre ( AFP).
Le procès de l'opposante politique rwandaise Victoire Ingabire Umuhoza a débuté ce lundi 5 septembre dans un climat de tension. Rentrée au Rwanda en janvier 2010 après 17 ans d'exil aux Pays-Bas, elle aura peu goûté à la liberté, puisqu'arrêtée dès le mois d'octobre de cette même année. Lors de son séjour en Europe, elle s'était déjà montrée très critique vis-à-vis du régime de Kigali, appelant à plus de transparence et de démocratie. Elle était rentrée au Rwanda dans l'objectif de mener sa campagne présidentielle contre Paul Kagamé, l'actuel président, en poste depuis 1994. En mentionnant, lors d'une visite du mémorial du génocide à Kigali, que les auteurs des crimes contre les Hutu et Tutsi devaient être systématiquement poursuivis, elle avait brisé un tabou au sein de la société rwandaise, s'attirant les foudres du régime de Kigali. La mention même d'hétérogénéité ethnique du Rwanda est contraire à l'idée de Paul Kagamé, qui voit son pays comme homogène et uni autour d'un peuple, les Rwandais. Les divisions que sont les Hutu, Tutsi ou Twa ne sont, selon lui, que des créations sociologiques coloniales, conçues pour diviser le peuple. Opposante à Paul Kagamé A l'heure actuelle, le Rwanda de Kagamé ne souhaite pas ouvrir le dialogue inter-ethnique, de peur de raviver les cicatrices du génocide de 1994, et de générer un nouveau conflit meurtrier. Il préfère se concentrer sur une croissance économique des villes sans précédent (avec une croissance annuelle de 6% depuis 2001) grâce à l'extraction de ressources minières et aux échanges commerciaux avec certains pays occidentaux (États-Unis, Commonwealth). A ce tableau idyllique, il faut ajouter que près de 97% des enfants du pays sont scolarisés, et que les femmes sont majoritaires à siéger au Parlement. Cependant, ce qui peut sembler être un miracle économique et social cache un déséquilibre profond entre villes et campagne, ainsi qu'une importante dépendance vis-à-vis des investissements étrangers, qui représentent 20% des revenus du pays. Par ailleurs, les développements sociaux du pays se sont faits au dépend du débat politique et de la liberté d'expression. Préférant "tourner la page" de 1994, Kagamé a verrouillé les médias et les partis politiques d'opposition, empêchant tout sentiment communautaire de resurgir. Depuis son arrivée au pouvoir, on ne compte plus les assassinats politiques et les fermetures de journaux. Paul Kagamé est d'ailleurs régulièrement montré du doigt par Reporters Sans Frontières et Amnesty International.
Paul Kagamé, actuel président du Rwanda
Ce qu'on lui reproche Les partisans et avocats de Mme Ingabire s'insurgent depuis avril 2010 (et l'assignation à résidence de cette dernière) contre des manœuvres visant à entraver un processus de démocratisation du pays (Etat de droit, multipartisme, dépassement des simples facteurs ethniques, religieux ou géographiques). Ils considèrent que Mme Ingabire est poursuivie pour des raisons politiques, "dans le cadre de lois liberticides". Il faut comprendre que le procès a pour racines le génocide même. Victoire Ingabire appartient à l'ethnie Hutu et revendique cette appartenance, jugeant que le pays ne pourra vraiment se reconstruire politiquement que quand il acceptera d'analyser l'origine des crimes de 1994. Or, cela va à l'encontre même de la politique menée par Kagamé, luttant contre toute forme d'ethnisme. Sous couvert de rejet de la notion d'ethnie, le régime de Kigali élude toute la problématique post-traumatique du génocide, n'offrant pas de réponse au désastre humain de 1994. De fait, dans cette logique, la revendication de Mme Ingabire est considérée par le pouvoir comme incitation à la division du peuple, et en cela, doit être punie. A l'heure actuelle, le procès est en suspend, après avoir déjà été repoussé à deux reprises (il était sensé se tenir en mai, puis en juin). Mais les avocats de Mme Ingabire craignent un nouveau report de la part du Parquet, report qui se "ferait clairement au détriment de Mme Ingabire, dans la mesure où elle serait l'objet d'une période de détention préventive encore allongée." Cependant, ses soutiens restent sceptiques quand à un dénouement en faveur de l'accusée. "Si la justice était libre, notre présidente pourrait voir se lever les chefs d'accusation à son encontre", a ainsi déclaré Sylvain Sibomana, secrétaire général du FDU (le parti de VIctoire Ingabire), en ajoutant qu'au Rwanda, il est difficile de sortir d'un procès à ce point politisé, compte-tenu du poids exercé par le pouvoir de Kigali sur la Justice.