Fil d'Ariane
Victoria Bateman n'est pas une exhibionniste. Diplômée de la très réputée université d'Oxford, elle enseigne à la non moins prestigieuse université de Cambridge. Mariée à un économiste, la professeure Bateman est elle-même spécialiste de macro-économie et d'histoire économique du Royaume-Uni. La quadragénaire se présente comme une "féminomiste" de la première heure - à la fois économiste et féministe - et étudie notamment la place des femmes, occultée, souvent, dans l'économie.
Ce 30 janvier 2020, c'est vêtue d'une simple écharpe, sac à main en guise de feuille de vigne, qu'elle délivre son message à l'occasion du Brexit Day, entre regrets et avertissements :
Dans ce message posté ce 30 janvier 2020, Victoria Bateman remercie les nombreux anti-Brexit qui l'ont soutenue toutes ces années, à commencer par sa communauté de près de 35 000 followers sur Twitter. Elle se dit profondément désolée de cette issue et prévient que la situation de la Grande-Bretagne post-Brexit ne fera qu'empirer : "Tous les britanniques sont désormais privés du droit systématique de vivre, étudier, travailler en Europe. Non pas parce que quelqu'un en a décidé ainsi, mais parce qu'une partie des Britanniques eux-mêmes ont voulu se priver de ce droit, et du coup en ont dépouillé tous les autres. Et moi, je n'aime pas du tout que l'on me prive de mes droits. Aux millions d'Européens qui ont accuellli la Grande-Bretagne parmi eux ces dernières décennies, je présente mes excuses. Je suis profondément désolée. La Grande-Bretagne se laisse dépouiller aujourd'hui et, à l'avenir, restera "à poil". Selon les saisons, il y aura des jours où cela ira, mais il y aura d'autres jours, comme aujourd'hui, dans le froid hivernal, où ce sera beaucoup moins supportable. La Grande-Bretagne a choisi de plonger dans l'inconnu glacé..."
Victoria Bateman n'a jamais rien caché de son opposition au Brexit. Au lendemain de la publication des résultats du référendum, en juin 2016, déjà, elle manifestait à Cambridge en costume d'Eve. A sa manière, la spécialiste d'économie voulait incarner la situation dans laquelle se trouvera la Grande-Bretagne post-Brexit, en deux mots : à poil !
La docteure Bateman compare le Brexit au jeu de dupes relaté dans le conte d'Hans Christian Andersen Les habits neufs de l'empereur : "Le roi est nu" s'écrie, ingénu, un enfant, devant le souverain qui pense arborer un habit très spécial que lui ont vendu une paire d'escrocs - un habit soi-disant invisible aux idiots et aux incompétents. Personne ne le voit, mais nul n'ose le dire. Et pour cause, il n'y a pas d'habits : le roi est nu. Quant au "syndrome des habits de l'empereur", il décrit ce phénomène psychologique selon lequel un diagnostic erroné peut être confirmé par plusieurs médecins par "contamination" du diagnostic précédent.
Je suis féministe et donc passionnément attachée à mes libertés, à commencer par la liberté des femmes à disposer de leurs corps.
Victoria Bateman
La campagne de Victoria Bateman commence peu après le référendum. En 2016, déjà, elle, participe à un séminaire économique à l'Université de Cambridge, nue, en signe de protestation contre le Brexit. Sur son ventre et sa poitrine, elle affiche
Brexit leaves Britain naked ("Le Brexit laisse la Grande-Bretagne toute nue).
Fin 2018, avant les reports successifs de la signature de l'accord sur le Brexit, Victoria Bateman expose dans une vidéo sa "vérité toute nue" sur le Brexit (en anglais)- une vérité qui révèle aussi la féminoniste en elle : "Je suis féministe et donc passionnément attachée à mes libertés, à commencer par la liberté des femmes à disposer de leurs corps, quoi qu'en pense l'Etat ou la société." Quel rapport avec le Brexit ? "Nombreux sont ceux qui ont voté pour, l'ont fait pour redonner davantage de liberté à l'Etat-nation. Et la liberté de circuler, d'étudier, de travailler, si essentielle à l'épanouissement individuel ? Je crois que tout un chacun doit avoir le droit aux mêmes libertés, qu'importe où et de qui il est né. Jusqu'au 20e siècle, l'histoire nous a montré que l'isolationnisme allait de pair avec une restriction des droits individuels. L'Union européenne, c'est le garant que chaque pays garde un oeil sur ce qu'il se passe chez les autres et s'assure que les droits individuels soient respectés."
Le 14 janvier 2019, elle donne une conférence d'une heure contre le Brexit dans une salle de concert à Cambridge (video ci-dessus, en anglais), nue, puis elle demande à l'auditoire de signer son corps, comme une pétition. Elle est ensuite invitée à participer à l'émission Today sur BBC Radio 4, dans laquelle elle est également dévêtue. Elle y invite Jacob Rees-Mogg, financier et homme politique anglais partisan de la sortie de l'Union européenne, à un débat à nu. Il ne donnera pas suite, mais voilà qui conduit Victoria Bateman sur le plateau de l'émission Good Morning Britain, qui rassemble en moyenne 700 000 spectateurs/trices par jour, même si son corps est flouté lors de la diffusion.
Victoria Bateman s'est spécialisée dans un sujet qui lui tient à coeur : l'économie d'un point de vue féministe. En d'autres termes, elle étudie le rôle essentiel des femmes dans l'économie. Et si elle intervient nue dans les médias, sociaux ou classiques, c'est aussi pour mieux se faire entendre, dit-elle. Ou plutôt pour mieux se faire voir, au goût de ses détracteurs: "L'économiste nue sert-elle la cause du féministe en se dévêtant ? Ou perd-elle le fil de sa démonstration avec ses vêtements ? Elle semble dire que c'est le seul moyen d'amener les hommes à l'écouter."
A celles et ceux qui trouvent son approche vaine, trop facile,voire humiliante pour les femmes, et même comme un déplorable exemple pour les jeunes, elle répond : "En économie, j'ai l'habitude d'utiliser les mots et les équations pour faire une démonstration." Là, dit-elle, elle utilise le pouvoir de l'image pour communiquer son message; ni plus ni moins : "Pourquoi ne devrais-je pas utiliser mon corps - et mon cerveau - pour lutter contre le Brexit ? Est-ce "dévalorisant" de se sentir bien dans sa peau ? De montrer que derrière toute femme nue, il y a un cerveau ? De montrer que la valeur d'une femme n'est pas proportionnelle à sa discrétion ? Non."
Why *shouldn't* I use my body - & brain - to fight #Brexit? Is it "demeaning" to be comfortable & confident in our own skin? To show that behind *every* naked woman is a brain? To challenge the idea that a woman's worth depends on her modesty? No. #PersonalIsPolitical @TheSDPUK https://t.co/W4LEw0969Q
— Dr Victoria Bateman (@vnbateman) 31 mars 2019
En novembre 2019, elle salue la chute d'un tabou avec l'inauguration, à Londres, du premier musée du vagin au monde. Dans un tweet, elle lance : "La connaissance, c'est le pouvoir !"
World's first vagina museum opens for the first time TODAY at 10am. Knowledge is power! @vagina_museum https://t.co/WcxiDIUUbb via @guardian
— Dr Victoria Bateman (@vnbateman) November 16, 2019
En 2014, elle commande au peintre Anthony Connolly un portrait d'elle nue, pour une exposition de la Federation of British Artists. La peinture, argumente-t-elle, questionne la sexualisation des femmes dans la société moderne. "Ce sont rarement les femmes peintes qui décident de ce à quoi le tableau ressemblera. Là, j'ai tout choisi", explique-t-elle .
Le partage de ce portrait à des collègues a attiré à son mari, James Bateman, les foudres de l'une de ses collaboratrices juristes. Margaret Rowe, licenciée plus tard par l'entreprise, va alors accuser ses employeurs de discrimination et licenciement abusif parce qu'elle avait osé critiquer la circulation du nu de Mme Bateman. Elle porte plainte. Le tribunal l'a déboutée.
En juin 2018, Victoria Bateman assiste au dîner de fin d'année des superviseurs du Gonville and Caius College, vénérable institution de Cambridge, en combinaison transparente, avec les mots "my body my choice" écrits sur son corps.
Parmi l'un de ses nombreux chevaux de bataille : la reconnaissance par les économistes de la valeur économique du commerce du sexe et le droit des femmes à gagner leur vie par la prostitution. En juillet 2018, elle publie une vidéo dans laquelle elle apparaît nue et discute de l'inégalité dans l'économie. Elle est l'autrice de Sex Factor - Le facteur sexe : comment les femmes ont enrichi l'Occident paru en 2019. Ou pourquoi l'égalité des sexes est un facteur de prospérité...
Victoria Bateman fait des émules et peu à peu, d'autres suivent son exemple pour manifester leur opposition au Brexit. A commencer par Rachel Johnson; totalement en opposition avec son frère, l'ancien ministre britannique des Affaires étrangères conservateur Boris Johnson, pro-Brexit pur et dur. A 53 ans, elle aussi prend position devant les caméras pour montrer que le divorce avec Bruxelles va laisser la Grande-Bretagne "toute nue". A son tour, elle s'effeuille en direct sur Sky News le 14 février, face à un plateau à la fois gêné et hilare. "Je sais combien il est difficile de se faire entendre sur la question du Brexit aujourd'hui [...] En solidarité avec la professeure Bateman, j'ai décidé de suivre son geste, chaque fois que nous déciderons de parler du Brexit, pour être sûre d'être entendue."
Who is Rachel Johnson, why did she strip off on Sky News and how is she related to Boris Johnson? https://t.co/Go7GD4YJq9 pic.twitter.com/oie06pqbAK
— The News Amed (@thenewsamed) 15 février 2019
Dans le même esprit, des militants anti-Brexit se sont livrés à un simulacre du film à succès The full monty au Palais de Westminster, où siège le Parlement. Depuis la rampe des visiteurs, ils présentent leurs postérieurs aux députés. Avec un message on ne peut plus clair : "Brexit is a bum deal" (le Brexit est un accord de dupes (le terme bum signifiant aussi "fesses").
Look what you’ve started @vnbateman !!! pic.twitter.com/NSPs0EC8E5
— Tim Montgomerie (@montie) 2 avril 2019