"Les corps ont été déchargés par camions, puis envoyés à différentes morgues pour analyse. Parmi les 757 corps restitués à l'Ukraine par la Russie en février 2025, l'un d'eux ne ressemblait pas aux autres", lit-on dans l'article publié sur le site Forbidden Stories.
Victoria Rochtchina avait 27 ans. Elle avait disparu en août 2023 après avoir rejoint les territoires occupés par la Russie dans la région ukrainienne de Zaporijjia dans le cadre de son travail journalistique, interpellée près de la centrale nucléaire. C'est seulement dix mois plus tard, en avril 2024, que, pour la première fois, la Russie confirme sa détention. On apprendra qu'elle est morte en prison, dans des conditions encore troubles, en septembre de cette année-là. Sa dépouille a été rapatriée en Ukraine fin février 2025.
Décharges électriques
"La cause de sa mort n'a pas pu être déterminée en raison du mauvais état du corps, qui porte de nombreuses traces de torture, selon le bureau du Procureur ukrainien", rapporte le site de Reporter Sans frontières.
L'examen médico-légal a révélé de nombreux signes de torture et de mauvais traitements sur le corps de la victime. Iouriï Belooussov, bureau du procureur général ukrainien
Une information que confirme l'enquête conjointe de plusieurs médias publiée sur le site Forbidden stories. "L'examen médico-légal a révélé de nombreux signes de torture et de mauvais traitements sur le corps de la victime", indique Iouriï Belooussov, un responsable du bureau du procureur général ukrainien. Selon lui, Victoria Rochtchina avait notamment une côte brisée, des blessures au cou ainsi que "des traces possibles de décharges électriques sur les pieds". Il précise aussi que le corps avait été restitué "avec des traces d'une autopsie pratiquée avant l'arrivée en Ukraine".
Certains de ses organes avaient été prélevés, selon une source proche de l'enquête citée par Forbidden Stories, ajoutant que ses yeux, son larynx et des parties de son cerveau manquaient. Cela pourrait avoir été fait pour "cacher des traces de violences", indique une source ukrainienne au média russe IStories, qui participait également à cette enquête aux côtés de The Guardian ou de Ukrainska Pravda, employeur de Victoria Rochtchina. De nouvelles analyses médico-légales pourraient avoir lieu, à la demande de son père.
Kiev en appelle à l'ONU
L'Ukraine, qui accusait déjà la Russie d'avoir torturé la reporter, a appelé l'ONU et d'autres organisations internationales à répondre à ces découvertes. "Nous exhortons la communauté internationale à réagir aux conclusions de cette enquête", déclare le porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Guéorguiï Tykhy.
Des milliers de civils ukrainiens sont détenus dans des prisons en Russie ou en zone occupée en Ukraine, où beaucoup d'entre eux sont soumis à des tortures et privés de correspondance, selon des ONG et médias.
Aujourd'hui une trentaine de journalistes ukrainiens sont toujours en captivité en Russie.
"En enfer"
Née en 1996 à Zaporijia, près de cinq ans après la dissolution de l'URSS, Victoria Rochtchina a débuté sa carrière journalistique à Kiev à l'âge de 16 ans. Reporter freelance et collaboratrice régulière du média indépendant en ligne Ukrayinska Pravda, elle s'était rendue dans le sud de l’Ukraine occupée pour recueillir des témoignages des victimes de l'invasion russe. Un an plus tôt, elle avait déjà été arrêtée dans cette partie du pays et détenue quelques jours par le FSB, les services de renseignement russes. Les circonstances exactes de son interpellation début août 2023 restent floues. Selon un témoin qui a passé plusieurs mois avec elle en prison, elle aurait été "repérée par un drone".
La jeune femme, un premier temps détenue dans le sud de l'Ukraine, est transférée fin décembre 2023 dans la prison de Taganrog, dans le sud-ouest de la Russie, un centre de détention à la triste réputation de camp de torture. RSF rapporte plusieurs témoignages, qui permettent de mieux comprendre l'extrême fragilité physique et psychologique dans laquelle la journaliste se trouvait, les mauvais traitements subis et l'absence de soins qui l'ont affaiblie jusqu'à sa disparition. Refusant de s'alimenter, elle avait été placée à l'isolement, puis avait réclamé des soins sans en obtenir, ou alors trop tard. Elle ne pèse plus qu’une trentaine de kilos lorsque, finalement, elle est emmenée dans un hôpital avant de retourner "en enfer" dans sa cellule.
Selon les autorités russes, la reporter serait morte le 19 septembre 2024. C'est ce qu'elles ont annoncé dans une lettre adressée à sa famille. Une lettre de quatre lignes au ton laconique, sans donner plus d'explication.
L'une de ses consoeurs au journal d'investigation ukrainien
Hromadske se souvient de "Vika" comme
l'une des journalistes "les plus têtues et les plus méchantes que j'aie jamais rencontrées de ma vie", écrit Forbidden Stories. RSF rapporte les mots que Victoria avait écrits en juin 2023 dans son dossier de candidature pour une bourse de l'International Women's Media Foundation (IWMF) : "Je n’ai pas peur des défis, je trouverai un moyen de revenir." Des mots qui résonnent aujourd'hui comme une terriblement triste épitaphe.
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