Fil d'Ariane
Quelle place pour les femmes dans la société tchadienne ? Amina Priscille Longoh, ministre du Genre et de la Solidarité Nationale de 32 ans, évoque la situation dans son pays à l'occasion de la Journée internationale de la femme africaine.
C'est la date historique du 31 juillet 1962 qui a été retenue pour la Journée internationale de la femme africaine. Ce jour-là, à Dar es Salaam, en Tanzanie, des femmes de tout le continent africain se réunissaient pour la première fois et donnaient naissance à la première organisation de femmes d'Afrique, la Conférence des femmes africaines (CFA).
Ce 1er août 2023, Amina Priscille Longoh, ministre tchadienne du Genre et de la Solidarité nationale, était l'invitée de TV5MONDE pour faire le point sur la situation des femmes dans son pays.
TV5MONDE : Vous êtes l'une des plus jeunes ministres du gouvernement tchadien, quelle a été votre expérience ?
Amina Priscille Longoh : Quand j'ai été appelée au gouvernement, j'avais 29 ans. Aujourd'hui, j'en ai 32. Ce sont trois bonnes années au sein du gouvernement, avec beaucoup de défis, beaucoup d'acquis et aussi beaucoup de perspectives. Mon parcours s'est révélé très motivant et a suscité beaucoup d'engouement au sein de la jeunesse africaine.
Votre pays accueille actuellement de nombreux réfugiés du Soudan, pays en guerre depuis avril dernier, comment leur venez-vous en aide ?
Le Tchad est l'un des pays les plus affectés par la crise soudanaise. Nous accueillons à l'heure actuelle plus d'un million de réfugiés, notamment des femmes et des enfants, qu'il faut enregistrer, accueillir et installer, avec l'appui de nos partenaires. L'impact sur les communautés d'accueil est énorme.
C'est un choc pour le Tchad, qui fait face à ses propres problèmes, puisqu'en 2022, nous nous sommes déjà retrouvés avec plus d'un million de déplacés à cause des inondations fluviales et pluviales. Les régions touchées ont dû à la fois assurer la sécurité autour des zones inondées et s'occuper des réfugiés. Tout à coup, c'est un défi énorme pour le Tchad, qui continue à appeler ses partenaires à réagir à la hauteur de la crise humanitaire et prendre en charge les réfugiés.
Le 8 juillet 2023 avait lieu à N'Djamena le forum sur les violences de genre, qu'en est-il ressorti ?
Le gouvernement de transition a fait de la condition des femmes une priorité et mis en place plusieurs mécanismes pour dire stop aux violences dont sont victimes les femmes – mais aussi les hommes. Il en ressort qu'il est important d'impliquer les religieux, mais aussi les chefs traditionnels, car la violence commence déjà au sein des communautés.
A travers cette conférence, le premier forum de ce genre au Tchad, nous avons réuni plus de 300 dignitaires venus du Tchad, mais aussi d'autres dignitaires venus de pays amis et frères. Il en est ressorti de l'engagement puisqu'on a conclu avec la signature des chefs traditionnels et religieux, mais aussi la mise en place de mécanisme communautaires pour riposter, dénoncer et accompagner les victimes des violences basées sur le genre.
En juin dernier, vous dénonciez les situations auxquelles sont confrontées les veuves dans votre pays. Quelles sont ces situations ?
La condition des veuves a toujours été un combat pour moi, depuis l'époque où j'étais dans la société civile. Une fois au gouvernement, j'ai voulu conduire le Tchad à adopter des mesures et à appliquer les lois existantes. Au Tchad, le cadre juridique est propice à la protection de la femmes, mais c'est la mise en oeuvre est problématique.
La femme qui devient veuve, souvent, se trouve hors de son foyer et elle perd les biens, qui sont tous au nom de l'époux, et elle n'est pas préparée à cela. Elle perd le droit à l'héritage, alors que la loi l'interdit, mais la pratique perdure. Nous voulons attirer l'attention sur cela, dire stop, et faire en sorte que la femme garde sa dignité, même si elle perd son époux.
Vous avez soutenu des actions en faveur de l'autonomisation des femmes dans la capitale. Depuis votre entrée au gouvernement, qu'est-ce qui a changé ?
Globalement, il y a beaucoup d'améliorations de la condition des femmes. Le gouvernement a institué un quota de 30 % pour les femmes, y compris au Parlement. Nous avons des femmes très actives et notre économie est portée par les femmes.
Il ne s'agit pas seulement de revendiquer la place des femmes aux postes de décision, mais aussi d'accompagner les femmes au plus bas échelons, faire en sorte qu'elles soient autonomes. Nous les avons rencontrées et leur avons donné de quoi élargir leurs activités génératrices de revenus et le Tchad s'est doté d'une chambre nationale de l'entreprenariat féminin en 2020 avec une stratégie nationale pour la promotion de l'entreprenariat au féminin en 2022.
Le cadre institutionnel est donc propice. Les femmes l'ont compris ; elles n'attendent plus que l'homme ramène la pitance à la maison. Ce compromis ne les satisfait plus, elles ont changé d'état d'esprit sont plus entreprenantes.
Certes, les préjugés subsistent, l'accès des femmes à la terre reste un défi, le mariage des enfants existe encore, comme les mutilations génitales féminines et les violences sur le genre. D'où l'intérêt d'un forum, présidé par le chef de l'Etat lui-même, incluant les chefs traditionnels et religieux.
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