Fil d'Ariane
La chanteuse Anne Sylvestre, aux œuvres féministes souvent restées dans l'ombre du succès de ses contes musicaux pour enfants, est décédée lundi 30 novembre 2020 à l'âge de 86 ans, des suites d'un AVC. Invitée exceptionnelle de TV5MONDE en juillet 2019, elle parlait de ses combats, son amour de la langue française, son public fidèle, ses héritiers.
Anne Sylvestre a mené pendant soixante ans une double vie d'artiste : chanteuse féministe et humaniste engagée, et auteure de délicieuses "fabulettes" pour enfants qui lui vaut d'avoir laissé son nom à des écoles.
"Que je vive cent ans ou bien quelques décades. Je ne supporte pas de voir le temps passer", clamait-elle dans une chanson qui résumait plus que les autres son besoin vital d'écriture: Ecrire pour ne pas mourir, sortie au début des années 80.
Jamais tout en haut de l'affiche mais toujours bien présente dans le paysage musical français depuis la fin des années 1950, Anne Sylvestre, les cheveux bruns et longs à ses débuts puis courts et teints au fil des années, incarnait une chanson à texte, intelligente, faisant fi des modes, dans le sillage d'un Guy Béart ou d'un Georges Brassens.
Anne-Marie Beugras nait à Lyon le 20 juin 1934. A 23 ans, elle ose enfin monter pour y interpréter ses propres compositions sur la scène des cabarets parisiens, parmi lesquels La Colombe, le Cheval d’Or, La Contre-Escarpe, Le Port du Salut, Chez Moineau et aux Trois Baudets. Sous le pseudonyme d'Anne Sylvestre, elle devient l'une des premières femmes à écrire et composer ses chansons, aux côtés de Nicole Louvier ou d'Hélène Martin.
"Pendant très longtemps, il y avait beaucoup de chanteuses mais elles chantaient des chansons écrites par des hommes, c'est-à-dire qu'elles chantaient ce que les hommes avaient envie d'entendre... Et ça a été un peu déconcertant je pense d'avoir des femmes qui arrivaient (...) avec leurs mots", racontait-elle sur France Culture en juillet 2015.
Comparée à Brassens pour la qualité des textes et le fait qu'elle s'accompagnait à la guitare (une chose qui l'agace beaucoup), elle se fait remarquer en 1959 avec Mon mari est parti (1959), chanson sur la guerre à l'heure où la France est aux prises avec ce qu'on appelle les "évènements" en Algérie.
Pendant toute sa carrière, elle s'intéresse aux faits de société, en priorité à la condition des femmes, revendiquant le terme de chanteuse "féministe", parfois lourd à porter: "Je suppose que ça m'a freinée dans ma carrière parce que j'étais l'emmerdeuse de service, mais ma foi, si c'était le prix à payer..."
"Je suis féministe, je l'étais sans doute dès ma naissance. Comment ne pas l'être !", confiait-elle encore lors de son entretien avec Marian Naguzewski, sur le plateau du journal de TV5monde.
En 1973, elle écrit Non, tu n'as pas de nom, sur l'avortement, deux ans avant la loi Veil sur le droit à l'avortement en France. Cette chanson est reconnue comme une œuvre importante par les féministes. La sociologue Janine Mossuz-Lavau la replace dans son contexte historique et social : " Elle dit : 'Entre moi et mon ventre, il n'y a pas d'interventions extérieures.' Cela montre bien la souffrance que les femmes pouvaient ressentir dans un contexte où elles avaient à accomplir cet acte dans les conditions les plus dures puisqu'il était illégal." Pour l'écrivaine et militante féministe, Florence Montreynaud, il s'agit de "l'un des plus beaux textes sur l'avortement".
J'ai toujours protesté en disant que ce n'était pas une chanson sur l'avortement mais une chanson sur l'enfant ou le non-enfant. Anne Sylvestre
Anne Sylvestre aimait à préciser : "J'ai toujours protesté en disant que ce n'était pas une chanson sur l'avortement mais une chanson sur l'enfant ou le non-enfant". "Je la chantais les yeux fermés, je m'attendais à voir des réactions, d'ailleurs elle n'est jamais passée nulle part, sauf peut-être quand Gisèle Halimi en parlait", ajoutait-elle.
La chanteuse abordera bien d'autres thèmes au coeur des combats féministes : le viol et la culpabilisation des victimes dans Douce Maison en 1978, les violences faites aux femmes dans Juste une femme en 2013. Elle milite aussi pour le mariage pour tous dans Gay, marions-nous! en 2007.
Anne Sylvestre évoque aussi son histoire personnelle marquée par le passé collaborationniste de son père, Albert Beugras, bras droit de Jacques Doriot pendant la guerre et emprisonné près de dix ans après la Libération. C'est la soeur cadette d'Anne Sylvestre, l'écrivaine Marie Chaix, qui a révélé ce passé en 1974 dans son livre Les lauriers du lac de Constance.
Anne Sylvestre mettra, elle, encore vingt ans à évoquer ce sujet longtemps tu, à travers sa chanson Roméo et Judith: "J'ai souffert du mauvais côté. Dans mon enfance dévastée. Mais dois-je me sentir coupable. Et ce qui fut impardonnable. Et que je ne pardonne pas. Pourquoi le rejeter sur moi ?"
Toutes ces chansons engagées ont toutefois parfois eu du mal à atteindre le grand public, pour qui Anne Sylvestre fut d'abord l'auteur des délicieuses "fabulettes" pour enfants qu'elle compose à partir des années 60: Douze petits cochons, Sureau sureau, Dans ma fusée... Elle n'a jamais joué ce répertoire sur scène mais reste durablement, comme un Henri Dès, associé au jeune public: de nombreuses crèches et écoles de France portent son nom.
Celle qui a enregistré plus de 300 chansons avait fêté ses 50 ans de carrière à l'Olympia en 2007 puis célébré ses 80 printemps au ... Printemps de Bourges et aux Francofolies en 2014. En septembre 2019 elle montait sur la scène de La Cigale à Paris pour interpréter son nouveau répertoire dans Manèges.
Souvent présentée comme un monument de la chanson française, voici ce qu'elle répondait en riant sur le plateau de TV5monde lors de sa venue à l'été 2019 : "On ne me visite pas, je ne suis pas un monument !".
"C'est pas une petite dame, Violette !", chantait Anne Sylvestre dans son dernier album sorti en 2013. Ce n'est pas un monument mais bien une très grande dame qui nous a quitté.
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— Sc (@Sc64188569) December 1, 2020