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Beata Umubyeyi Mairesse, survivante du génocide au Rwanda : "remettre notre expérience au centre de l'histoire"

Dans Le Convoi, Beata Umubyeyi Mairesse raconte l'histoire d'une adolescente qui échappe avec sa mère au génocide des Tutsis au Rwanda grâce à un convoi humanitaire. Cette histoire, c'est la sienne. Trente ans plus tard, l'adolescente est devenue une femme, avec encore beaucoup de questions.

C’était en 1994, il y a trente ans… Le 18 juin, quelques semaines avant la fin du génocide contre les Tutsis, Beata, une jeune Rwandaise alors âgée de 15 ans, fuit son pays avec sa mère à bord d'un convoi humanitaire. Une opération normalement réservée aux moins de 12 ans, mais les deux femmes parviennent à embarquer clandestinement et à passer au Burundi, puis à s'installer en France.

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En 2007, Beata Umubyeyi Mairesse contacte la BBC, dont elle sait qu'elle a filmé son convoi, en quête d'images sur lesquelles elle et sa mère figureraient. "On nous avait dit nous avoir vu à la télévision passer la frontière entre le Rwanda et le Burundi, le 18 juin", se souvient-elle. Peu à peu, d'images en témoignages, elle remonte le fil des mémoires floues du chaos de l'époque. "J'ai commencé à découvrir l'histoire de ces convois, l'organisation assez incroyable par une poignée de personnes très courageuses, et j'ai aussi retrouvé d'autres enfants qui étaient avec nous", dit-elle.

Paru en janvier 2024, Le convoi est son histoire. C'est aussi celle des centaines d’enfants exfiltrés, qui ont échappé au massacre grâce aux convois humanitaires de l'ONG suisse Terre des hommes. Un livre qui est la mémoire de tous ces enfants, souvent trop jeunes pour avoir gardé le souvenir du massacre et de l'exode.

Entretien avec Beata Umubyeyi Mairesse

TV5MONDE : Ce convoi salvateur du 18 juin 1994, vous et votre mère auriez pu ne jamais en faire partie ?

Beata Umubyeyi Mairesse : L'accord que l'association Terre des hommes avait réussi à obtenir avec le gouvernement génocidaire les autorisait à faire sortir de jeunes enfants, quelles que soient leur "race" et leur "religion", pour qu'il puisse aller au Zaïre. Le convoi que moi, qui avait 15 ans, et ma mère, adulte, avons pu intégrer était destiné à des enfants de moins de 12 ans. Nous ne figurions pas sur la liste établie, et qui était très strictement vérifiée à la frontière. Nous étions des clandestines, même si le responsable du convoi était au courant de notre présence. 

C'était donc le choix de quelqu'un... "Est-ce si facile d'être un juste ?", vous interrogez-vous dans le livre. Quel regard portez-vous sur ces rares personnes qui vous ont aidées ?

J'ai beaucoup de gratitude pour ces personnes qui se sont mobilisées pour nous. Alexis Briquet, aidé pour le premier convoi par le consul d'Italie au Rwanda, Deanna Cavadini et puis quelques autres personnes. Celles-ci étaient parfois aussi du côté des génocidaires et je ne sais toujours pas pourquoi : était-ce en espérant de s'en prévaloir pour plus tard ? 

Il s'agit de transmettre aux nouvelles générations l'idée que, à tout moment, on peut résister à l'oppression et sauver des vies. Beata Umubyeyi Mairesse

Reste que j'ai une profonde gratitude pour les personnes qui l'ont fait sans attendre de contrepartie, de façon tout à fait désintéressée. Lorsque l'on me demande s'ils sont des héros, je mets en avant que ce sont des personnes qui ont eu le courage de défendre l'humanité jusqu'au bout. J'aime bien l'expression de "banalité du bien", puisqu'il s'agit de transmettre aux nouvelles générations l'idée que, à tout moment, on peut résister à l'oppression et sauver des vies.

Votre survie, vous la devez aussi à votre débrouillardise, votre vivacité. A seulement 15 ans, face à des tueurs, vous allez-vous en sortir en parlant en français… 

Au bout de plusieurs semaines de traque et de cache, un groupe de tueurs finit par nous trouver, moi et ma mère. Leur première réaction est de me voir comme une blanche, car je suis métisse. Alors j'invente une histoire, un mensonge en disant que mon père est français, ce qui n'est pas vrai : "Je dois repartir en France, donc vous ne pouvez pas me tuer". Car du haut de mes 15 ans, je suis l'actualité et je sais que la France est un pays ami, qui les soutient. C'est en parlant français sans accent, en prétendant ne pas parler le kinyarwanda, qui est pourtant ma langue maternelle, en profitant de cette couleur de peau que je parviens à nous sauver. Tous les survivants et survivantes ont déployé beaucoup de stratégies pour réussir à s'en sortir, mais il faut de la chance, aussi, car ce mensonge, ils auraient pu ne pas l'accepter, et ce jour-là, ils l'ont cru. 

rwanda le convoi

Dans le no man's land entre le Rwanda et le Burundi.

Cette photo qui accompagne votre livre, pourquoi est-elle si importante pour votre histoire personnelle ?

Cette photo a été prise par le photographe italien qui documentait l'opération humanitaire de Terre des hommes, Mauro Pamezziani. Je l'ai retrouvée au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années de quête, puisque j'ai commencé mes recherches d'images il y a quinze ans. C'est la seule image que j'ai aujourd'hui ; je figure dans l'angle gauche en teeshirt blanc, avec une main sur la bouche et, à côté de moi, ma mère. On est vraiment dans le no man's land, après la barrière derrière laquelle il y a le Rwanda, alors que nous sommes en train de nous avancer vers le Burundi. C'est ce moment très particulier où nous devenons des survivantes.

Il existe aussi des documents vidéo qui témoignent de cette histoire, des archives de la BBC. Vous avez rencontré des journalistes témoins de l'époque. Qu'est-ce que ces rencontres vous ont apporté ?

Si j'ai contacté la BBC, c'est qu'on m'avait dit nous avoir vues à la télévision britannique au moment où nous traversions la frontière, et que je voulais voir ces images. J'ai été en contact avec plusieurs journalistes de cette équipe : Fergal Keane, qui est britannique et souffre de syndrome post-traumatique, notamment suite aux deux semaines passées à couvrir le génocide au Rwanda, et un journaliste sud-africain Hamilton Wende, qui m'a fourni quatre photos. 

Il s'agit de remettre notre expérience au centre de l'histoire. Beata Umubyeyi Mairesse

C'est aussi en cheminant avec eux que j'ai pu reconstituer le puzzle de cette histoire, mais surtout amener ces images, qui sont une trace de ce qui s'est passé, aux autres enfants. Ils étaient parfois tout petits et n'ont gardé que très peu de souvenirs. Il s'agit pour moi, qui ne suis pas historienne, d'écrire notre histoire et de la rendre accessible aux autres enfants pour construire ensemble.

Il est important que les premiers concernés, les survivants, se réapproprient la narration de cette histoire ?

C'est indispensable. Les survivants et survivantes ont témoigné dès 1994, mais on les entend assez peu, finalement, dans l'imaginaire mondial et dans le récit qui est fait à l'échelle internationale. On entend davantage les autres témoins, à commencer par les journalistes internationaux, qui ont fait un travail important. Il s'agit de remettre notre expérience au centre de l'histoire.

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