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Dans un cimetière d'Irak, le carré oublié des victimes de féminicide

Au Kurdistan d'Irak, la tradition veut que les familles se retrouvent le vendredi pour se recueillir sur la tombe d'un proche décédé. Mais au cimetière de Siwan, un carré regroupant les victimes de féminicides reste le plus souvent désert.

Ici reposent des dizaines de victimes de violences domestiques, sous des pierres tombales qui pour la plupart n'affichent même pas un nom, parfois juste un numéro, rattaché aux listes du département médico-légal. Des vies à jamais oubliées, d'épouses tuées par un mari violent, de filles et de soeurs assassinées par un père ou un frère jugeant qu'ils doivent défendre "l'honneur" familial. "Le fossoyeur les enterre de nuit, pour que les proches ne sachent pas où est la tombe et viennent la démolir", confie l'avocate féministe Rozkar Ibrahim, au cimetière de Siwan.

Le cimetière qui "ne devrait pas exister"

Des drames, elle pourrait en raconter des heures duran t: comme celui d'une femme tombée amoureuse, puis tombée enceinte, qui a tenté de fuir le pays avec son amant et leur enfant. Leurs proches les retrouvent et les tuent, avec le bébé. "Ils sont enterrés ici", confie Rozkar Ibrahim, trentenaire, toute de noire vêtue, en visite au cimetière près de Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan, dans le nord de l'Irak. "Ce cimetière ne devrait même pas exister", ajoute la militante, luttant depuis des années pour l'identification des stèles anonymes.

Elles ont été tuées, immolées (par le feu) ou étranglées.Othman Saleh

Le nombre exact de victimes enterrées reste flou. Mais fossoyeur depuis quinze ans, Othman Saleh assure avoir inhumé à lui seul quelque 200 femmes et adolescentes, certaines âgées d'à peine 13 ans. "Elles ont été tuées, immolées (par le feu) ou étranglées", indique l'homme de 55 ans.

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Culture de l'impunité

Dans un Irak largement tribal et conservateur, les violences faites aux femmes abondent. Sur les 43 millions d'habitants, plus d'un million de femmes et de filles sont menacées par les violences genrées, selon l'ONU.

Au Kurdistan autonome, qui se veut oasis de stabilité et de modernité dans un pays déchiré par des décennies de conflit, chaque année, des dizaines de féminicides sont rapportés. Même si les autorités locales ont adopté en 2011 une loi criminalisant les violences domestiques.

Notant "des avancées importantes" sur le plan législatif, Razaw Salihy, chercheuse chez Amnesty International, confirme le "rythme alarmant" auquel se produisent au Kurdistan "féminicides et mutilations perpétrées sur les femmes et les filles, le plus souvent aux mains de proches de sexe masculin". La "culture de l'impunité" est entretenue par un "taux extrêmement faible" de condamnations, ajoute-t-elle.

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Victimes abandonnées dans la mort

Au cimetière de Siwan, le carré des féminicides accueille des femmes non-identifiées venues de tout le Kurdistan, assure Rozkar Ibrahim. Avec l'usure du temps et de la pluie, les numéros sur la plupart des stèles s'effacent, raconte l'avocate. "Il faut se tourner vers le département médico-légal pour obtenir les informations" des victimes.

En 2020, Qubad Talabani, Premier ministre adjoint de la région autonome, interdisait d'enterrer toute victime sans identification. Quant aux autres déjà inhumées, leur pierre tombale devait être dotée d'une symbolique inscription : "vie".

En attendant les drames se poursuivent. En juin, un homme a immolé par le feu son épouse de 17 ans, enceinte, témoigne le père de l'adolescente, Jiza Jawhar. La mère et l'enfant sont décédés. Le mari a été interpellé par les forces de sécurité, mais sa famille dément les accusations, assurant que la jeune fille s'est suicidée.

Hantise de la peur

En 2021, le Kurdistan avait enregistré 45 féminicides contre 25 l'année précédente, selon les dernières statistiques officielles obtenues par l'AFP. Mais les "crimes d'honneur" ont "considérablement diminué" en 2024, assure Serkut Omar, du Département de lutte contre les violences faites aux femmes, sans fournir de chiffres.

J'ai toujours été hantée par la peur de finir comme celles qui sont enterrées à Siwan. Banaz 

Directeur du département médico-légal de Souleimaniyeh, Barzan Mohamed a vu le pire en vint-et-une années de carrière. Concernant les cas de féminicides qu'il a traité, la plupart des victimes ont été tuées "par balle", "parfois un seul tir, d'autres fois jusqu'à dix impacts", explique-t-il. "Nous avons vu également des cas d'étranglement, à main nue ou avec une corde", dit-il, évoquant aussi un corps brûlé au point d'être "méconnaissable".

Battue par un mari qui la menaçait de mort, Banaz avait fui pour trouver refuge chez son père. Son frère lui avait alors cassé le nez, lui ordonnant d'obéir à son époux. "Deux fois il m'a mis un pistolet à la tempe devant mes enfants", confie la femme de 43 ans. Craignant de se retrouver un jour au cimetière de Siwan, elle a fini par quitter l'Irak. "J'ai toujours été hantée par la peur de finir comme celles qui y sont enterrées".

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