Fil d'Ariane
À Moscou, Maria Andreïeva, fondatrice du mouvement "Retour à la maison", se battait pour faire revenir les soldats russes mobilisés. Déclarée "agente de l'étranger" par les autorités, elle se résigne à abandonner son combat.
"Hélas, je dois retourner dans l'ombre", annonce le 6 août 2024 Maria Andreïeva, figure de proue du mouvement "Retour à la maison. Celle qui a mené les manifestations de femmes de soldats russes mobilisés en Ukraine pour qu'ils reviennent chez eux baisse les bras devant les sanctions. Cataloguée "agente de l'étranger", une formule infamante qui implique de lourdes contraintes administratives en Russie.
Les agents de l'étranger ne sont pas seulement privés de leurs droits, ils sont privés de leurs moyens de subsistance ! Maria Andreïeva
Le 5 août, Maria Andreïeva, qui travaillait dans un centre spécialisé en psychoneurologie infantile dans la capitale russe, annonçait qu'elle devait quitter son emploi, puisque les "agents de l'étranger" ne sont pas autorisés à travailler dans un établissement public. "Les agents de l'étranger ne sont pas seulement privés de leurs droits, ils sont privés de leurs moyens de subsistance !", fustigeait-elle sur Telegram.
Depuis le début de l'offensive en Ukraine en février 2022, les voix dissidentes en Russie ont été poussées à l'exil ou bien sanctionnées, voire emprisonnées. La répression croissante ayant rendu les manifestations rarissimes en Russie, les associations de femmes ou de proches de mobilisés étaient, récemment encore, les seules à encore organiser des rassemblements à Moscou, appelant Vladimir Poutine à renvoyer chez eux les hommes au front depuis plus de deux ans. La Russie a mobilisé 300 000 réservistes à l'automne 2022 pour regarnir les rangs de son armée, alors en difficulté sur le front.
Jusqu'au début de cette année, via la chaîne Telegram "Retour à la maison", les femmes de soldats appelaient à manifester quasiment chaque semaine, sur la tombe du Soldat inconnu, au pied des murs du Kremlin. Ces rassemblements se sont raréfiés après une série d'arrestations, en particulier de journalistes, le 24 février, à l'occasion du deuxième anniversaire de l'assaut russe contre l'Ukraine. La police avait alors incité les médias à éviter ces rassemblements.
Une quinzaine de femmes de soldats russes mobilisés en Ukraine se sont rassemblées le 3 août 2024 devant le ministère de la Défense à Moscou pour demander une rencontre avec le nouveau ministre, Andreï Belooussov. Alignées devant les grilles du ministère, elles brandissaient des pancartes pour réclamer leur rapatriement, selon des images diffusées par l'une d'entre elles, Paoulina, sur Telegram.
"Il est temps que les mobilisés rentrent à la maison", "Je suis seule, j'en ai marre", pouvait-on lire sur certaines pancartes. Un panneau en appelait directement au ministre de la Défense, nommé le 12 mai en remplacement de Sergueï Choïgou : "Belooussov Andreï Removitch, parlez-nous, nous sommes là".
Les femmes et les mères de mobilisés sont juste fatiguées, elles veulent que leurs hommes rentrent. Paoulina
Des policiers leur ont ordonné de se disperser et de retirer leurs pancartes, mais c'est une averse aussi intense que subite qui les a fait fuir, a raconté Paoulina. "Chaque participante était venue avec des intentions différentes. L'une demandait la démobilisation de tout le monde, une autre juste de ses proches. Les femmes et les mères de mobilisés sont juste fatiguées, elles veulent que leurs hommes rentrent", dit-elle.
Les initiatrices du rassemblement de ce lundi ont expliqué avoir préféré ne pas convier de journalistes pour éviter de nouvelles interpellations. "Nous avons très mal pris que Maria Andreïeva et le mouvement Retour à la maison aient été désignés agents de l'étranger", a souligné Maria, une participante qui demande le retour de son petit ami. "C'est simplement une décision politique, je suis à 99% certaine qu'elle (Maria Andreïeva) n'est pas un agent de l'étranger".
Elle a assuré que les femmes de mobilisés ne se laisseraient pas décourager par l'absence de réponse du ministère jusqu'ici. "J'espère que les choses vont bouger", dit-elle toutefois, "nous n'avons pas l'intention d'abandonner".
(Re)lire dans Terriennes :
Femmes et mères de soldats russes : encore et toujours au front
Les mères de soldats en Russie, dissidentes et féministes malgré elles
Le combat de Palad’d’a , artiste, militante féministe et opposante au régime russe
Russie : qui sont ces militantes qui disent non à la guerre en Ukraine ?