Regard féminin

"Driving in Palestine", à travers l'objectif de Rehab Nazzal

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Dans le contexte de guerre qui fait rage actuellement au Proche-Orient, cette exposition prend une singulière résonance. Pendant dix ans, la documentariste canadienne d'origine palestinienne Rehab Nazzal a sillonné la Cisjordanie pour témoigner des conditions de vie des Palestiniens. Une exposition à découvrir au centre Montréal Arts Interculturels, jusqu'au 21 octobre 2023.

La rencontre a eu lieu le 7 septembre 2023, soit plusieurs semaines avant l'attaque terroriste du Hamas dans le sud de la Bande de Gaza, offensive suivie de la riposte militaire israélienne. Une guerre qui a fait des milliers de victimes. 

Le travail de Rehab Nazzal consiste à documenter en photos et en vidéos le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie.

Mon expérience en Palestine est si difficile que je me devais de l’inclure dans mon travail et de le présenter au public. Rehab Nazzal

"Je suis une artiste, dit-elle, mais tout mon travail parle de mon expérience et mon expérience en Palestine est si difficile que je me devais de l’inclure dans mon travail et de le présenter au public".

"Une prison à ciel ouvert"

Entre 2010 et 2020, la documentariste a photographié et filmé : les tours de contrôle, les barrages de l'armée israélienne, les caméras de surveillance, les drones, les murs et les barrières qui jalonnent les quelque 5 800 kilomètres carrés de Cisjordanie et qui surveillent jour et nuit les Palestiniens.

Tout cela rend la vie des Palestiniens extrêmement difficile. C’est une prison à ciel ouvert. Rehab Nazzal

Un mur entier dans l’exposition est consacré à 60 photos de tours de guet. Inventées par un ingénieur britannique, raconte Rehab Nazzal, elles ont poussé comme des champignons partout en Cisjordanie. "On peut les voir, ces tours à partir desquelles ils surveillent la terre, les oliviers, les réserves d’eau, souligne-t-elle. Alors d’un côté, vous avez cette surveillance et, de l’autre, un confinement avec ces murs de béton de 850 kilomètres de long et de sept à neuf mètres de haut. Ces murs qui ont détruit la Palestine, qui séparent la terre, les eaux et les Palestiniens les uns des autres. Tout cela rend la vie des Palestiniens extrêmement difficile. C’est une prison à ciel ouvert".

Les tours de Cisjordanie

Sur un des murs de l'exposition Driving in Palestine, 60 photos des tours de guet –inventées par un ingénieur britannique – qui jalonnent la Cisjordanie.

©CF

"Colonialisme, ségrégation et apartheid"

La Palestinienne a trouvé refuge au Canada depuis plus de trente ans."C’est un système colonialiste, basé sur une occupation militaire et sur de la ségrégation qui est comme de l’apartheid. Même le réseau routier est conçu en fonction de cette ségrégation, s’indigne-t-elle. Il y a des routes pour les Israéliens et des routes pour les Palestiniens".

La documentariste donne l’exemple des checkpoints, les fameux points de passage contrôlés par l’armée israélienne : "A un moment donné, il y avait plus de 600 points de contrôle en Cisjordanie, qui font de la vie des Palestiniens un enfer. Ce n’est pas juste la terre qui est colonisée, c’est votre vie, votre temps qui dépendent de ces barrages contrôlés par des adolescents avec un fusil. Ces points de contrôle vous empêchent d’arriver à l’heure à vos rendez-vous et ils empêchent même des femmes sur le point d’accoucher d’arriver à temps à l’hôpital pour donner naissance à leurs enfants".

La documentariste dédicace d’ailleurs à ces mères qui ont accouché à un checkpoint le livre qu’elle vient de publier à partir de son travail. Chaque année, des enfants Palestiniens naissent dans ces postes de contrôle israéliens…

Checkpoints en Cisjordanie

« Checkpoints », les points de passage contrôlés par l’armée israélienne.

©CF

Blessée par un sniper israélien

Ces dix années passées à prendre des photos, à filmer en catimini à partir d’une voiture n’ont pas été sans danger pour la documentariste : "Pour l’État israélien, un appareil photo, c’est comme une arme. J’ai eu plusieurs incidents avec les Israéliens. Ils ont confisqué mon appareil photo ; ils ont pris mes cartes de photos et j’ai aussi été blessée par un sniper israélien alors que j’étais en train de prendre des photos". Un tir qui a blessé Rehab Nazzal à la jambe.

Ici on a la chance de faire un voyage avec Rehab qui a vraiment été un peu partout dans les territoires où normalement on n'a pas accès, beaucoup d'images ont été captées sur le vif.Stephan St-Laurent, commissaire de l’exposition

Stephan St-Laurent, le commissaire de l’exposition, confirme les difficiles conditions dans lesquelles la documentariste a fait son travail : "Ici on a la chance de faire un voyage avec Rehab qui a vraiment été un peu partout dans les territoires où normalement on n'a pas accès, beaucoup d'images ont été captées sur le vif, d'une voiture, avec un appareil photo et avec un chauffeur qui l'accompagnait".

"Driving in Palestine"

Visite de l'exposition multimédia de la Canadienne d’origine palestinienne Rehab Nazzal, Driving Palestine, à Montréal, jusqu'au 21 octobre 2023 au centre MAI, (Montréal Arts Interculturels).

©CF

"Pour nous, c'était vraiment important de pouvoir présenter un grand corpus d'œuvres qui montrent les images censurées depuis tellement d'années, des images de la Palestine que les Canadiens n’ont pas souvent la chance de voir," fait valoir Stephan St-Laurent.

Malgré le sombre tableau qu’elle dépeint à travers ses photos et ses vidéos, Rehab Nazzal veut aussi délivrer un message d’espoir : "Je n’ai aucun doute qu’un jour, les Palestiniens seront libres. C’est ce que nous enseigne l’histoire. Même l’apartheid est tombé en Afrique du Sud. Les Palestiniens ne sont pas les seuls dans le monde à subir un système colonial qui détruit des vies. Les peuples autochtones vivent ça eux aussi. Nous partageons ce combat contre le colonialisme, le capitalisme, le corporatisme et, comme le dit le proverbe : unis, nous ne serons jamais vaincus".

"Driving in Palestine"

Les murs, photographiés par Rehab Nazzal qui, pendant 10 ans, a sillonné la Cisjordanie en long en large, armée de son appareil.

©CF

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