Fil d'Ariane
En huit années au pouvoir, les conservateurs ont réduit le droit à l'avortement à néant, ou presque. Faire machine arrière était l'un des engagements majeurs du nouveau gouvernement polonais. Le 11 avril 2024 le débat s'est ouvert au Parlement. Mais dans une Pologne toujours très catholique, les députés et la société restent très divisés sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse.
C'est un débat très attendu sur l'assouplissement des sévères lois sur l'avortement en Pologne qui a commencé ce 11 avril 2024 au Parlement. Car dans ce pays en majorité catholique, les clivages restent à vif jusqu'au sein de la coalition pro-européenne au pouvoir.
La Pologne a connu un profond recul des droits des femmes pendant les huit années au gouvernement des nationalistes conservateurs qui ont conduit à l'interdiction quasi-totale de l'interruption volontaire de grossesse, suscitant des rassemblements massifs de protestation.
A l'issue des élections législatives d'octobre, l'alliance favorable à l'Union européenne est arrivée au pouvoir notamment grâce à l'engagement pris de rétablir l'accès à l'avortement, qui n'est actuellement légal que si la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste ou si elle menace directement la vie ou la santé de la mère. L'aide à l'avortement étant interdite en Pologne, les militants défendant l'IVG et les médecins proposant leur assistance risquent la prison.
Petites figurines de fœtus mises en scène lors d'une manifestation contre le droit à l'IVG devant le Parlement polonais alors que les députés débattent de l'assouplissement de la loi à Varsovie, en Pologne, le 11 avril 2024.
En dépit de ces promesses électorales, les projets de textes visant à assouplir cette législation sont restés bloqués au Parlement, provoquant la colère et la frustration de nombreuses femmes et de groupes de défense des droits.
En réalité, que de nombreuses femmes interrompent leur grossesse chez elles avec des pilules envoyées de l'étranger. "L'État ne peut pas prétendre que l'avortement n'existe pas - il est bien pratiqué, il l'a toujours été et il le sera toujours", s'est exclamée Katarzyna Kotula, la ministre de l'Egalité, au moment de l'ouverture du débat. "L'État doit tout faire pour que l'avortement soit accessible, légal, pratiqué dans des conditions adéquates, sans danger", a-t-elle ajouté. Elle a aussi rappelé que, à l'ère communiste, l'avortement était légal en Pologne, alors que "les femmes allemandes, françaises et britanniques se battaient pour le droit à l'autodétermination et venaient chez nous, en Pologne, pour mettre fin à ces grossesses non désirées".
La Coalition civique (centre) du Premier ministre Donald Tusk a présenté son projet de loi destiné à légaliser l'avortement jusqu'à la 12e semaine de grossesse et trois autres propositions semblables émanant de ses partenaires dans la coalition gouvernementale vont être débattues.
Une incertitude règne cependant quant au dénouement de ce premier débat, en particulier quant au soutien, suffisant ou non, que les quatre projets peuvent obtenir afin d'espérer passer le cap du premier vote prévu pour vendredi.
Le chef du gouvernement, Donald Tusk, un ancien chef du Conseil européen et ennemi juré de ses prédécesseurs du parti Droit et Justice (PiS), a émis "l'espoir" que les députés de sa majorité permettront aux nouveaux textes de franchir ce premier obstacle.
"Des projets de loi au contenu similaire avaient été discutés au Parlement à de nombreuses reprises au cours des trente dernières années..., aucun d'entre eux n'avait jamais réussi à passer en commission", explique Krystyna Kacpura, la directrice de l'ONG Fédération pour les femmes et le planning familial.
Le résultat du vote est cependant loin d'être prévisible. Les députés du parti paysan conservateur PSL, membre de la coalition au pouvoir, ont exprimé des doutes au sujet de l'assouplissement prévu et certains ont fait savoir qu'ils ne soutiendraient pas les projets débattus.
"Je voterai contre", a ainsi lancé Marek Sawicki, du PSL, à la radio locale TOK FM, sans préciser combien de ses collègues suivraient son exemple. S'ils sont nombreux à dire non, ces textes risquent d'être rejetés par la chambre basse.
Militants anti-avortement : "Nous défendons les enfants", alors que le parlement polonais débat de l'assouplissement de la loi sur l'avortement à Varsovie, Pologne, le 11 avril 2024.
Selon un sondage de l'institut Ipsos, dont les résultats ont été rendus publics, 35% des Polonais soutiennent l'idée du droit à l'avortement jusqu'à la 12e semaine de grossesse. Un rétablissement de ce droit en cas de malformation du foetus, aboli il y a quatre ans par le pouvoir nationaliste, est à cet égard souhaité par 21% des personnes interrogées, alors que, pour 14% d'entre elles, l'état actuel de la législation est satisfaisant. Et 23% des Polonais voudraient un référendum national sur la question.
Militantes pour le droit à l'avortement lors du débat au Parlement polonais à Varsovie, en Pologne, le jeudi 11 avril 2024.
Des groupes opposés à l'avortement ont appelé leurs partisans à une marche, précédée d'une messe, à Varsovie, pendant le débat parlementaire. Dans un communiqué, ses organisateurs ont appelé les évêques polonais à "excommunier les députés qui auront soutenu tout projet pro-avortement".
Anna Maria Żukowska, députée de gauche, présente au Parlement une proposition d'assouplissement de la loi sur l'avortement à Varsovie, Pologne, le jeudi 11 avril 2024.
Si le Parlement vote ces lois, encore faudra-t-il qu'elles soient promulguées par le président polonais Andrzej Duda, allié du PiS et fervent catholique. En cas d'impasse, la coalition de Donald Tusk devra attendre l'élection présidentielle de l'année prochaine, dans l'espoir d'un remplacement de Andrzej Duda par un candidat libéral, car elle ne dispose pas de la majorité des trois cinquièmes requise pour passer outre à un veto présidentiel.
Le mois dernier, le chef de l'Etat a mis son veto à la législation sur la contraception d'urgence, jusqu'à présent uniquement accessible sur ordonnance et à compter de l'âge de quinze ans, invoquant sa volonté de "respecter les droits constitutionnels et les normes de protection de la santé des enfants". Le gouvernement a depuis annoncé qu'il contournerait ce veto en autorisant les pharmaciens à prescrire eux-mêmes la pilule du lendemain.
(Re)lire dans Terriennes :
Accès à l'IVG en Pologne : le bout du tunnel ?