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Femmes à la rue : "violences conjugales et sans-abrisme féminin sont liés"

En France, 40% des sans-abris sont des femmes. En Belgique aussi, les chiffres augmentent, même s'il est difficile d'obtenir des estimations précises sur cette question. Entretien avec Ariane Dierickx, directrice de "L’Ilot", qui vient en aide aux sans-abris.

 

Les femmes victimes de violences au sein de leur foyer peuvent être exposées à plusieurs niveaux  : violences physiques, psychologiques, économiques. Dans des situations extrêmes, certaines ont dû fuir ce climat de violences et, faute d'hébergement, parfois se retrouvent à la rue. Ces femmes, ce sont celles que l'on appelle les "invisibles". Un phénomène en hausse.

Ce sont des violences de multiples formes, économiques, psychologiques, physiques, conjugales, sexuelles, souvent un cumul de ces différentes violences qui augmentent une fois qu'elles sont en rue. Ariane Dierickx, directrice de l'Ilot

Ariane Dierickx est directrice de L’Ilot, une association établie en Belgique qui vient en aide aux sans-abris. Pour elle, les violences domestiques et le sans-abrisme féminin sont très souvent liés. L’Ilot a mené une étude d'action qui a démontré une continuité claire entre les violences faites aux femmes et la perte de logement : "Toutes les femmes qui sont en situation de sans-abrisme dans notre secteur ont, au départ, eu des trajectoires de violences multiples, remontant souvent à la petite enfance, qui se poursuivent tout au long de leur parcours de vie. Ce sont des violences de multiples formes, économiques, psychologiques, physiques, conjugales, sexuelles, souvent un cumul de ces différentes violences qui augmentent une fois qu'elles sont en rue," explique-t-elle sur le plateau de TV5monde lors de l'émission spéciale du 25 novembre 2024

Non-mixité

Selon une enquête récente menée par une commission sénatoriale en France, 100% des femmes sans-abri subissent un viol au bout d'un an. C'est pourquoi le refuge de L’Ilot a fait ce choix de la non-mixité, plutôt que de miser sur le fait que tous les hommes ne sont pas des violeurs ou ne sont pas violents. "L'idée de la non-mixité part du besoin des femmes d'avoir un endroit sécurisé où la question de la proximité des hommes, et donc de potentielles agressions que les femmes pourraient vivre à nouveau aux côtés des hommes, ne doit pas se poser. Quand on est dans une situation de crise et de très grande vulnérabilité, en rue, on n'a plus aucune sécurité autour de soi et on a besoin le plus possible d'un endroit où cette question ne se pose pas", explique Ariane Dierickx.

Pour que cette écoute soit possible et vraiment qualitative, il faut que les femmes qui composent l'équipe soient elles-mêmes formées au féminisme et à l'accueil de cette parole difficile qui est celle du récit d'un viol. Ariane Dierickx

La présidente de L'Ilot est convaincue que les femmes ont d'abord "besoin d'abord de se retrouver entre elles, de retrouver confiance en elles à travers les relations entre femmes, de pouvoir déposer leur récit de vie et des violences multiples qu'elles vivent en rue, dont beaucoup, beaucoup de viols. Elles le font plus facilement quand elles ne sont qu'entre femmes et quand l'équipe elle-même n'est composée que de femmes. Pour que cette écoute soit possible et vraiment qualitative, il faut que les femmes qui composent l'équipe soient elles-mêmes formées au féminisme et à l'accueil de cette parole difficile qui est celle du récit d'un viol, par exemple," ajoute-t-elle.

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Des statistiques en deçà de la réalité

On parle peu de ces femmes, qui vivent dans la rue, et on les voit encore moins, comme si elles se cachaient. "Elles se cachent complètement, confirme Ariane Dierickx. Les statistiques, d'ailleurs ne reflètent pas la réalité du sans-abrisme au féminin. "Elles passent sous les radars de l'aide sociale en utilisant des réseaux d'aide informelle, chez des amis, dans la famille, etc. avant d'arriver en rue, parce qu'elles savent que la rue est très violente pour elles. En passant sous les radars de l'aide sociale, elles disparaissent aussi des statistiques et donc elles deviennent invisibles."

Dès qu'on ouvre un centre qui est adapté à leurs besoins, où elles savent qu'elles vont pouvoir déposer une parole vraie, authentique, et avoir un accompagnement digne et répondant à leurs besoins, alors elles sont là. Ariane Dierickx

Invisibles, elles font moins parler d'elles. "En conséquence, les infrastructures d'aide aux personnes sans-abri ne sont pas adaptées aux femmes et à leurs besoins, puisque l'on considère que la très grande majorité des personnes sans-abri sont des hommes", explique Ariane Dierickx. C'est encore ce que disent les statistiques, en Belgique et ailleurs dans le monde. Or sur le terrain, elle observe une augmentation de cette population : "Dès qu'on ouvre un centre qui est adapté à leurs besoins, où elles savent qu'elles vont pouvoir déposer une parole vraie, authentique, et avoir un accompagnement digne et répondant à leurs besoins, alors elles sont là. Tout d'un coup, elles osent pousser les portes. Circé, qui est ce centre de jour pour femmes que nous avons créé il y a un an (à Bruxelles, ndlr), ne désemplit pas."

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Violences banalisées ?

Ces femmes, qui vivent dans la rue, ont d'autres priorités en tête avant de poursuivre leurs agresseurs : "Elles ont souvent tellement intégré la violence et les agressions, d'autant que celles-ci remontent souvent à avant la perte de logement, qu'elles les banalisent," confirme Ariane Dierick. Quand elles arrivent chez nous, ce n'est pas avec une demande de réparation des violences qu'elles ont subies ; c'est un besoin de repos et de sécurité qu'elles expriment en premier. Il faut d'abord répondre aux besoins primaires, pouvoir manger, se loger, se reposer, se laver, etc. La demande sur la réparation, et notamment la réparation en justice, vient extrêmement tardivement.  

Et pourtant, il arrive parfois que des actions en justice soient menées : "Nous faisons avec elles tout un travail de trajectoire d'émancipation pour leur faire prendre conscience, d'abord, que ce qu'elles ont vécu, ce qu'elles vivent encore, n'est pas acceptable, qu'elles ne doivent pas se contenter de vivre dans la violence, qu'elles ont droit à autre chose. Cette prise de conscience recrée de la confiance en soi et on peut alors entamer un travail d'accompagnement en justice et de réparation", explique Ariane Dierickx.

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