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Germaine Richier, herbe folle et géante de la sculpture

Germaine Richier a marqué d'une empreinte de modernité l'art du 20ᵉ siècle. Rare sculptrice de son temps, elle est à l'honneur à l'été 2023 au musée Fabre de Montpellier, ville où elle étudia l'art, après l'exposition au Centre Pompidou, à Paris. Rencontre avec Laurence Durieu, sa petite-nièce, qui fait revivre en textes et en images son aïeule rebelle.

Née en 1902 dans une famille de minotiers et de viticulteurs du sud de la France, Germaine Richier a gardé de son enfance un besoin de liberté et de communion avec la nature. Senteurs et matières glanées au hasard de ses promenades détermineront tout son art. Sa petite-nièce et biographe, Laurence Durieu, ne la présente-t-elle pas comme une "herbe folle" ? Une analogie avec la nature qui colle bien à celle qui se révéla très tôt une rebelle.

Elle voyait des forces vitales en toute chose, y compris une sauterelle. 

Laurence Durieu, biographe et petite-nièce de Germaine Richier

"Toute sa vie, elle conservera les sensations du vécu de son enfance en Provence. C'est vrai qu'elle était plus adepte de l'école buissonnière que des bancs de l'école. Elle se nourrit de l'herbe, des herbes folles, des parfums, des cailloux. Elle collectionne les sauterelles, les araignées qu'elle regarde à la loupe. Elle est habitée et animée par tout ce petit monde qui va nourrir cette création intense qu'elle va mener au cours de sa vie brève mais extrêmement riche," raconte Laurence Durieu, co-autrice d'un roman graphique qui retrace l'initiation provençale de la sculptrice .

femme sculpture

Germaine Richier - La femme sculpture, une BD de Laurence Durieu et Olivia Sautreuil, parue en 2023 chez Bayard.

 

 


Artiste hybride

La sauterelle, par exemple, intervient très tôt au cœur de sa création. "Germaine Richier parlait à ces sculptures et elle était tout à fait capable de parler à une sauterelle, se souvient Laurence Durieu. Elle était animée d'une foi. Elle n'en parlait jamais, mais je pense qu'elle était aussi animiste. Elle voyait des forces vitales en toute chose, y compris une sauterelle. Et c'est vrai que ses recherches sur la fusion du vivant font d'elle une artiste extrêmement contemporaine."

C'est un tempérament fougueux, impétueux. Et pourtant, elle n'aime pas parler de son travail, elle agit. 

Laurence Durieu, biographe et petite-nièce de Germaine Richier
 

Adolescente, Germaine Richier s'émerveille devant les sculptures romanes de l'église Saint-Trophime d'Arles qui éveillent en elle la passionne de la sculpture. "Cette herbe folle a grandi dans la grande tradition de la statuaire. Elle respecte les lois de la sculpture, les mesures, le fil à plomb, le compas, même si elle s'en affranchit", souligne Laurence Durieu. 

Ouragane

Sa mère voulait qu'elle fasse un autre métier, mais Germaine Richier, déjà, n'hésite pas à bousculer l'ordre établi et entre à l'École des beaux-arts de Montpellier en 1921. Très tôt, elle se fait remarquer par son talent et, en 1934, décroche une troisième-médaille en "tête-sculpture".

Germaine Richier devant l'École des Beaux-Arts de Montpellier
Germaine Richier devant l'École des Beaux-Arts de Montpellier, années 1920
Photographe anonyme

Arrivée à Paris en octobre 1926, Germaine Richier commence à travailler chez Robert Coutin, avant de rejoindre l'atelier d'Antoine Bourdelle. "Après sa mère et les beaux-arts, elle bouscule Bourdelle qui, pourtant, ne voulait plus d'élèves, mais elle fait le forcing. C'est vraiment une combattante," confie Laurence Durieu, sa petite-nièce et autrice de sa biographie.

ouragane
Germaine Richier, l'Ouragane, une biographie de Germaine Richier par Laurence Durieu, parue en 2023 chez Fage.



 

Ce tempérament à part, c'est un véritable ouragan, assure Laurence Durieu, qui a intitulé L'Ouragane la biographie de sa grand-tante. "C'est une ouragane, du nom d'une de ses sculptures. C'est un tempérament fougueux, impétueux. Et pourtant, elle n'aime pas parler de son travail, elle agit. Elle n'est pas bavarde," dit-elle.

Exil suisse

En 1933, Germaine Richier emménage dans son atelier avec le sculpteur suisse Otto Bänninger, qu'elle a épousé en 1929. L'artiste lance sa carrière avec des portraits sculptés qui lui assurent une rémunération stable. En 1937, Germaine Richier expose dans la première exposition consacrée aux femmes artistes, au musée du Jeu de Paume.

En septembre 1939, elle accompagne son mari en Suisse, sans savoir que leur exil va durer plusieurs années. Pendant cette période, elle collecte toutes sortes de matériaux dans la nature, qu'elle utilise dans ces nouvelles sculptures. Apparaissent alors ses premières figures hybrides.

"Pendant la guerre, elle bouscule la bonne ville protestante de Zurich. Elle est comme une bourrasque de mistral aux relents méridionaux," dit Laurence Durieu. Germaine Richier se lie d'ailleurs d'amitié avec un autre latin, le sculpteur Marino Marini, qui sculpta sa tête en 1945.

Germaine Richier par Marino Marini
Germaine Richier par Marino Marini, 1945 (capture d'écran)

Christ banni, Christ réhabilité

Au retour de Germaine Richier à Paris, après la guerre, son travail prend un nouvel essor. Elle commence les sculptures à fils et s'essaie à de nouvelles techniques, comme l'utilisation de la filasse et de la couleur avec ses amis peintres.

Elle est la première femme à qui l'on commande un grand Christ pour le maître-autel d'une église, et elle a fait l'objet d'une cabale menée par un groupe d'intégristes soutenus par le Vatican

Laurence Durieu, biographe et petite-nièce de Germaine Richier
 

En 1950, Germaine Richier sculpte un Christ en croix pour l'église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau-d'Assy, en Haute-Savoie. Une réalisation dont le caractère abstrait qui déclenche une violente polémique contre la "misérabilisation" de l'objet sacré. L'œuvre est décrochée en 1951.

Christ d'Assy
Ce Christ fut agrandi en bronze pour l'église du plateau d'Assy.
© Adagp, Paris, Hélène Mauri - Centre Pompidou

"Elle est la première femme à qui l'on commande un grand Christ pour le maître-autel d'une église, et il a fait l'objet d'une cabale menée par un groupe d'intégristes soutenus par le Vatican, explique Laurence Durieu. Le Christ a été banni... Les fidèles l'aimaient, pourtant, et ils étaient effondrés de le voir partir, relate-t-elle. J'ai eu la chance d'assister à cette scène. Et il y avait les jeunes, les dames, les bénévoles de l'église. On avait l'impression de leur avoir arraché un être cher. J'en ai vu en larmes et c'était très émouvant."

Déposé, le Christ banni été réinstallé dans le cœur de l'église, dix ans après la mort de l'artiste, en 1969, puis exposée au Centre Pompidou à Paris et au musée Fabre de Montpellier à l'occasion de la rétrospective Germaine Richier. "L'Évêché a eu la générosité de prêter le Christ pour l'exposition. Donc une autre déposition, mais là pour une très, très bonne cause," raconte la petite-nièce de l'artiste.

Inclassable

Germaine Richier est volontiers qualifiée de surréaliste ou d'impressionniste – les courants de l'époque. En réalité, souligne sa petite-nièce, son travail est inclassable, très personnel : "Elle s'affranchit de tous les courants de l'époque. Elle se dit anti "ismes", impressionnisme, traditionalisme, cubisme, surréalisme. De fait, elle a produit un art très à part, qui touche au mystère, au monde inconnu que chacun porte en nous. En cela, elle est vraiment inclassable."

Les difficultés, elle marchait dessus. Elle ne milite pas, elle crée. 

Laurence Durieu, biographe et petite-nièce de Germaine Richier

Le "isme" de féminisme n'est pas non plus son cheval de bataille. Féministe, elle l'était dans ce qu'elle était, mais pas dans ses revendications. "Le monde qui était dominé par les hommes n'était pas un sujet pour elle, explique Laurence Durieu. Les difficultés, elle marchait dessus. Elle ne milite pas, elle crée. Son art passe avant tout."

"Une femme peut donc créer"

En 1956, une exposition consacrée à Germaine Richier se tient au Musée national d'art moderne. C'est la première fois que l'institution dédie une rétrospective à une artiste femme depuis son ouverture, en 1947.

Atteinte d'un cancer, Germaine Richier réalise le plâtre original de L'Échiquier, grand, sa dernière œuvre, installée en 2000 dans les jardins des Tuileries, à Paris.

échiquier grand
Plâtre original peint des 5 cinq sculptures de bronze représentant des pièces d'échecs : le roi, la reine, la tour, le fou et le cavalier.
© Adagp, Paris, - Tate, Londres

En juillet 1959, le musée Picasso d'Antibes lui consacre une exposition, mais Germaine Richier décède le 31 juillet, quelques jours après l'inauguration. Un hebdomadaire titre alors Une femme peut donc créer...