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Icône du pop art et artiste engagée : Marisol exposée à Montréal

Maria Sol Escobar a été l’une des icônes du pop art dans les années 1960 avant de retomber dans un triste oubli. Pour la ramener sur l’avant-scène culturelle, le musée des Beaux-Arts de Montréal lui consacre une grande rétrospective.

On la surnommait la "Garbo latine" pour vanter sa beauté. Une beauté dont elle se servait, d’ailleurs, puisqu’elle se prenait régulièrement comme modèle, c’était plus pratique, disait-elle, quand elle créait, tard le soir, dans son atelier new yorkais. Maria Sol Escobar, aujourd'hui à l'honneur au musée des Beaux-Arts de Montréal, qui lui offre une rétrospective, en collaboration avec le Buffalo AKG Art Museum, propriétaire de la collection. L'artiste l'avait léguée à ce musée, qui avait été le premier à acheter une de ses œuvres.

bronze et pierre Marisol

A ses débuts, Marisol expérimente avec le bronze, la pierre, le plâtre et le bois. 

©Terriennes

Vedette totale

"C'est incroyable, quelle chance de mettre en lumière le travail de cette artiste, qui a été une vedette totale dans les années 60. Presque 2000 personnes par jour faisaient la file pour visiter ses expositions dans les galeries", s’exclame avec enthousiasme Mary-Dailey Desmarais, la conservatrice en chef du musée des Beaux-Arts de Montréal. Elle avoue avoir eu un coup de cœur pour Marisol quand le directeur du musée, Stéphane Aquin, lui a parlé de monter cette rétrospective.

Affiche rétro Marisol

Affiche de l'exposition consacrée à Marisol à Montréal, jusqu'au 21 janvier 2024.

"C'est une artiste avec une pratique encore très pertinente aujourd'hui, poursuit Mary-Dailey Desmarais. Et c’est aussi une pratique tellement originale, dans toute l'histoire de l'art, je n'ai jamais rien vu de pareil, des sculptures en bois grandeur nature, avec des éléments de dessin, des moulages, des objets trouvés, avec un sens de l'humour, parfois satirique, ludique et très captivant".

L’exposition retrace chronologiquement la carrière de cette artiste née en 1930 à Paris de parents vénézuéliens.

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Une artiste unique

Maria Sol Escobar passe son enfance entre le Venezuela, l'Europe et les États-Unis, avant de s'installer à New York en 1950. Là sera son ancrage sa vie durant, et c’est là que sa carrière d’artiste commence.

Elle sculpte la pierre, le bronze, le plâtre, sous l’influence de l’art précolombien et du sculpteur français Auguste Rodin. Mais son matériau préféré, c’est le bois, et ses grandes statues de bois sont sa marque de fabrique.

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Sa première exposition en 1957, à la Leo Castelli Gallery de New York, rencontre un premier succès populaire qui ne monte pas à la tête de l’artiste, bien au contraire. Elle s’exile à Rome pendant plus d’un an, ce qui donne un nouvel élan à son art.

C’est dans les années 1960 que Marisol devient l’une des figures de proue du pop art, au même titre qu’un Andy Warhol. Ses trois expositions à New York font courir les foules. Marisol fascine la presse qui écrit de nombreux articles sur elle, la prend en photo dans son atelier, et la pose en couverture des grands magazines de l’époque, comme Life, Time, Look...

En 1968, Marisol représente le Venezuela à la Biennale de Venise et fait partie des quatre femmes, sur 189 artistes, présentes à l’exposition Documenta qui se tient à Kassel, en Allemagne.

homme-poisson

L'homme-poisson, 1973 

©Terriennes

Plongée, décors et costumes

Mais cet immense succès l’étouffe, l’atmosphère lourde qui règne aux États-Unis, avec la contestation grandissante de la guerre du Vietnam lui pèse aussi : l’artiste fuit de nouveau New York pour aller trouver refuge à Tahiti. C’est là qu’elle découvre l’une des grandes passions de sa vie : la plongée sous-marine. Elle prend des photos et réalise des films à partir de ses plongées. Son art porte aussi l'empreinte de cette nouvelle passion : elle sculpte des poissons, et sa statue homme-poisson, réalisée en 1973, est l’un de ses chefs-d’œuvre.

Une œuvre d’art est comme un rêve dans lequel tous les personnages font partie du rêveur. Marisol Escobar

Plongée et poissons Marisol

Marisol découvre la plongée sous-marine en s'exilant à Tahiti après son succès à New York. 

©Terriennes

Marisol se lance également dans la création de décors et de costumes pour des troupes de danse célèbres, dont celles de Louis Falco et Martha Graham. La danse est pour elle l’occasion de valider l’un de ses postulats : "une œuvre d’art est comme un rêve dans lequel tous les personnages, quel que soit leur déguisement, font partie du rêveur".

Entre 1967 et 2000, Marisol va aussi créer des monuments publics dans des villes un peu partout dans le monde mais surtout au Venezuela, où ses créations honorent des figures politiques ou religieuses du pays.

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Une artiste en avance sur son temps

Les thèmes abordés par l’artiste résonnent encore fortement aujourd’hui : l'exil et l'immigration, les conditions des femmes, l'environnement, la pauvreté, les droits des peuples autochtones.

Dans sa pratique, elle remettait en question les a priori et les attentes envers les femmes, et elle questionnait leur rôle et la violence envers les femmes. 
Mary-Dailey Desmarais

"C'est vraiment une artiste qui annonce notre époque, et ce qui est merveilleux avec cette rétrospective, c'est que l'on redécouvre la grande Marisol des années 1960, mais on découvre aussi la Marisol moins connue, qui avait été un peu oubliée par l'histoire de l'art et les feux de la critique d'art, et on réalise à quel point elle est pertinente pour notre époque," déclare Stéphane Aquin, directeur général du musée des Beaux-Arts de Montréal. 

Sa passion pour la plongée sous-marine est aussi le témoignage de son souci de préserver l’environnement, une écologiste avant l’heure.

"Elle était avant son temps, je dirais, estime Mary-Dailey Desmarais, et c'est peut-être aussi une raison pour laquelle elle n'a pas été si bien reçue de son temps, parce que beaucoup ne comprenait pas ce qu'elle faisait. Elle était une artiste très engagée et en avance sur son temps".

Baby boy est un bébé gigantesque qui, pour elle, incarnait les États-Unis. Un gros bébé qui ne pense pas trop à ses actions... Mary-Dailey Desmarais

Marisol avait un regard critique sur les États-Unis, son pays d’adoption et plusieurs de ces sculptures en témoignent, comme Baby boy : "Baby boy, précise la Conservatrice en chef du MBAM, c’est une œuvre qui montre un bébé gigantesque de 11 pieds de haut, et pour elle, ce bébé incarnait les États-Unis. Un gros bébé qui ne pense pas trop à ses actions, qui marche sur toutes les choses par terre et qui les écrase sans s’en rendre compte".

Baby girl et baby boy

Baby girl et Baby boy, qui incarne les États-Unis sur lequel Marisol posait un regard critique.

©Terriennes (CF)

Féministe sans étiquette

Marisol ne s’est jamais mariée, n’a pas eu d’enfants non plus et n’a jamais voulu rentrer dans aucune case : elle a revendiqué sa liberté tant comme femme que comme artiste tout au long de sa vie.

Marisol Escobar et Pare Lorenz

Marisol Escobar et Pare Lorenz à la Cheetah discotheque de New York, le 17 mai 1968. 

AP Photo

"Marisol ne s'est jamais dit féministe en tant que tel, mais comme beaucoup d'artistes femmes de sa génération dans sa pratique, elle remettait en question les a priori et les attentes envers les femmes, et elle questionnait le rôle des femmes et la violence envers les femmes, souligne Mary-Dailey Desmarais. Surtout dans les années 1970, à travers les masques et les dessins qu’elle créait, elle a exploré la violence des femmes dans leurs corps. Elle n'aimait pas les étiquettes et donc elle ne voulait pas qu'on l'étiquette comme féministe".

C'est un modèle pour les jeunes artistes femmes dans les rapports qu'elle a représentés, figurés, les rapports au corps, la représentation de soi.
Stéphane Aquin
 

"C'est un modèle pour les jeunes artistes femmes dans les rapports qu'elle a représentés, figurés, les rapports au corps, la représentation de soi," ajoute Stéphane Aquin.

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Le défi : évoluer

Si Marisol a été très connue dans les années 1960, une icône du pop art, elle est beaucoup moins connue aujourd’hui, parce que peu à peu tombée dans l’oubli à compter des années 1970, après son départ de New York.

"Elle s’est elle-même retirée de la scène artistique alors qu’elle était au sommet de sa gloire, explique Mary-Dailey Desmarais. Elle ne voulait plus créer pour le grand public et les critiques d'art, elle voulait faire de l'art qui touchait aux enjeux sociaux de l'époque et elle a eu ce courage-là".

Femmes bois

Ces statues en bois grandeur nature sont la marque de fabrique de Marisol.

©Terriennes

Marisol est morte en 2016, à l'âge de 85 ans. Elle laisse derrière elle une œuvre unique, singulière, inclassable. "Les grands artistes sont ceux qui se donnent le défi d'évoluer, de ne pas faire tout le temps la même chose, avance Mary-Dailey Desmarais. Elle ne voulait pas être ce que les autres voulaient qu'elle soit. Ce que j'admire le plus chez Marisol, c'est sa singularité, son courage, c'est quelqu'un qui ne créait pas pour les autres, elle voulait vraiment traiter les sujets qui lui tenaient à cœur et qu'elle pensait importants pour la société. C'est cette originalité, ce courage et cet engagement que j'espère que les gens retiennent de cette exposition sur Marisol".

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"C’était une artiste engagée et brillante, une artiste qui nous invite à être vulnérable, ouvert à nous-même. À travers son œuvre, c'est notre propre vulnérabilité que l'on observe aussi, conclut Cathleen Chaffee, conservatrice en chef Buffalo AKG Art Museum.

Toute ma vie j’ai appris à être patiente
à chuchoter, à ne pas crier
à penser différemment
à suivre le courant marin
à humer le vent
et à être fière d’être une artiste,
écrivait Marisol.

Et c’est exactement ce qu’elle a fait.

Tableaux Marisol
©Terriennes (CF)