Fil d'Ariane
Jane Birkin, icône de la pop française et muse d'un certain Serge G. ... Au delà de ses amours et de ses débuts au parfum de scandale, la chanteuse était aussi actrice, réalisatrice et femme engagée pour la défense des droits humains.
A sa manière, avec son accent chantant et inimitable, Jane Birkin a fait scandale avec des chansons sulfureuses et des prises de positions engagées dans les années 1970. Bien trop souvent réduite aux hommes de sa vie, elle était bien plus que ça : une artiste à part entière, et une femme restée fidèle à ses idées. La chanteuse et actrice est morte ce 16 juillet 2023 à l'âge de 76 ans.
Si on me refusait l’entrée de Maxim’s à cause de mon panier, je m’en foutais. J’avais cette assurance. Jane Birkin
Quand elle arrive en France à la fin des années 1960, son style tranche avec le côté soigné ("groomed") des Françaises. "Je suis anglaise et je viens d’un milieu où j’étais toujours à l’aise... Je pouvais dîner avec n’importe qui et manger ma salade avec les doigts. Je n’ai jamais été préoccupée par la question de savoir si les choses se faisaient ou pas", résumait-elle dans une interview à Vogue en février 2021. "Si on me refusait l’entrée de Maxim’s à cause de mon panier, je m’en foutais. J’avais cette assurance", disait-elle en toute simplicité.
"Elle a inventé un style décontracté qui n'existait pas en France. Elle est restée sexy sans se dévêtir, d'une façon très douce. Qui, aujourd'hui, se présente en public avec la même tenue pendant des décennies ?" s'exclame la journaliste spécialiste de la mode Sophie Fontanel sur France Info.
Sur les clichés dans les magazines de mode, aujourd'hui diffusés sur les réseaux sociaux, elle porte tantôt une robe blanche avec un décolleté au-dessous du nombril tantôt une robe transparente sans soutien-gorge. "Je ne réalisais pas qu’elle était si transparente. C’est l’effet flash des photographes. Si j’avais su, je n’aurais pas mis de culotte !", commentait-elle, avec humour et une pointe de provocation.
"Il y avait Françoise Hardy et sa robe Paco Rabanne, mais elle la portait longueur genoux. Moi, j’avais fait enlever des rangs de mailles pour qu’elle ressemble à un long T-shirt". Les robes ultra-courtes de party girl deviennent alors son look lors de ses années Gainsbourg, dont elle a influencé le style. "Tout est de moi", assurait-elle. Notamment la barbe de huit jours pour sculpter le visage. Elle lui achète des chaussures souples en cuir blanc qu'il a portées toute sa vie sans chaussettes. Elle trouvait aussi "beaucoup plus érotique d’être nu sous son jean" et lui a fait passer le message.
Jane Birkin et Serge Gainsbourg au Festival international du film, le 16 mai 1974, à Cannes.
C'est en tailleur noir oversize sur une chemise blanche qu'elle a chanté Baby Alone in Babylone lors d'un défilé Gucci à Paris en 2018. En 2016, Jane Birkin pose en smoking et chemise blanche pour une campagne Saint-Laurent mené à l'époque par le créateur Hedi Slimane.
À un moment, il faut savoir renoncer aux robes de dames. Tu prends dix ans dans la vue. Jane Birkin
Une fois la quarantaine passée, Jane Birkin s'assagit et change de style. "C’est bien quand on vieillit... À un moment, il faut savoir renoncer aux robes de dames. Tu prends dix ans dans la vue. C’est comme le maquillage. À un certain âge, il faut arrêter de jouer avec les faux cils. Sinon, on devient terrifiante", estimait-elle.
Lors d'un vol Paris-Londres, Jane Birkin se plaint à son voisin de ne pas trouver un sac adapté à ses besoins de jeune maman. Ce dernier n'est autre que Jean-Louis Dumas, gérant d’Hermès de l'époque. Un fourre-tout avec un espace dédié aux biberons voit ainsi le jour en 1984 et porte le nom Birkin.
Il est aujourd'hui un des accessoires de mode les plus convoités au monde : il faut attendre en moyenne six ans pour avoir un Birkin qui vaut sur le marché entre 2 000 et 10 000 euros en cuir de vache, 25 000-40 000 en croco.
En 2015, choquée par les mauvais traitements infligés aux crocodiles, Jane Birkin demande à Hermès de débaptiser le "Birkin" Croco jusqu'à ce que de meilleures pratiques soient mises en place pour sa fabrication.
C'est un succès planétaire au parfum de scandale : le Vatican condamna cette chanson ponctuée des soupirs amoureux d'un orgasme simulé par Jane Birkin. Sorti en 1969, année érotique, le morceau est d'abord écrit par Serge Gainsbourg pour Brigitte Bardot. Comme la vedette est alors mariée avec le play-boy allemand Gunther Sachs, le titre à la charge sexuelle explicite, enregistré en 1967, est mis en sommeil, puis repris avec Jane Birkin : "Je n'allais pas laisser cette chanson être interprétée par n'importe quelle autre", disait celle qui était devenue compagne de l'homme à la tête de chou.
En 2019, l'équipe de TV5MONDE rencontrait Jane Birkin venue regarder les images du couple qu'elle formait avec Serge Gainsbourg à l'occasion de l'exposition de photos emblématiques de son frère Andrew Birkin, montrées, avec celles du photographe de Serge Gainsbourg, Tony Frank, à la Galerie de l'Instant à Paris, et le second tome de son journal intime Post-scriptum paru en octobre 2019.
Maman de trois filles, Jane faisait tout son possible pour rester proches d'elles, notamment en travaillant avec Kate la photographe, Charlotte l'actrice et Lou la chanteuse.
A la fois grave et nonchalante, vulnérable et redoutable. Merci de nous avoir permis de croire qu'on peut être toutes ces choses à la fois.
Lou Douillon
Jane par Charlotte, tout est dit. Charlotte Gainsbourg a filmé sa mère en plusieurs séquences, sur plusieurs années, pour livrer un documentaire présenté hors compétition à Cannes en 2021. "Je cherchais une excuse pour me rapprocher d'elle et distinguer le personnage public de la mère que j'aime", expliquait Charlotte Gainsbourg s'était installée un temps aux Etats-Unis pour fuir le décès de sa soeur Kate et un héritage familial lourd à porter avec deux géniteurs iconiques, Serge Gainsbourg et Jane Birkin. C'est elle qui a pris en main l'ouverture au public prévue en septembre du 5 bis rue Verneuil, l'antre parisien de ses illustres parents.
Jane Birkin embrasse sa fille Lou Doillon lors des 36e Victoires de la Musique, à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt, le 12 février 2021.
Oh ! Pardon tu dormais... Dans cet album de 2020 conçu avec Etienne Daho, Jane Birkin parvenait enfin à mettre des mots sur l'absence de sa fille Kate dans les poignants titres Cigarettes ("Ma fille s'est foutue en l'air") et Ces murs épais ("Moi dehors, toi dessous, cri muet, muet"). Fille de Jane Birkin et de John Barry, compositeur anglais épousé avant de venir en France, Kate Barry était photographe-portraitiste. Elle est morte défenestrée, à seulement 46 ans, en 2013.
Donnant libre court à l'empathie et l'écoute naturelles que décrivent tous ses proches, Jane Birkin assumait ses convictions et ses engagements. "Quand il s'agissait de défendre les populations civiles et le droit des femmes, en particulier le droit à l'avortement, elle était là", se souvient Jacky Mamou, ancien président de Médecins du Monde entre 1996 et 2000.
Sur le sujet de l'avortement, Jane Birkin était radicale, intraitable, inflexible. Dès 1972, elle était présente à Bobigny pour soutenir Marie-Claire Chevalier, 16 ans, jugée pour avoir avorté après un viol, ainsi que ses coaccusées, sa mère et trois femmes qui les avaient aidées.
"Elle était extrêmement engagée sur les questions internationales et s'était rendue en Yougoslavie", rappelle Jacky Mamou, qui a milité aux côtés de Jane Birkin. Il évoque une femme "très empathique avec les gens", "très engagée" et "très respectée".
Jane Birkin à Tokyo, le 15 septembre 2009. Soutien du mouvement prodémocratique au Myanmar, elle s'adressait à la presse après une table ronde sur la situation dans le pays et de la dirigeante Aung San Suu Kyi avec des membres d'Amnesty International. Elle s'est aussi adressé à un groupe de parlementaires japonais pour demander la libération anticipée de Aung San Suu Kyi qui, à l'époque, vivait en détention. (AP Photo/Junji Kurokawa)
En leur temps, elles ont tout osé, assumé leur corps et leurs désirs, tenu tête aux hommes, bravé des interdits... Jane Birkin, comme Brigitte Bardot ou Catherine Deneuve, ont fait bouger les lignes et marqué leur époque. Mais aux yeux de la nouvelle génération de féministes, à commencer par sa fille Lou Douillon, Jane Birkin n'était pas une féministe avant l'heure.
Ma mère, en revanche, pouvait envoyer promener Serge, mais la règle qui déterminait ses relations était la soumission. Lou Doillon
"Quand on pense à Jane Birkin ou Françoise Hardy, on les considère comme des femmes libérées, déclarait la jeune femme au quotidien espagnol El Pais en 2015. En réalité, elles ne l'étaient pas, elles le faisaient seulement paraître. Hardy dit que sans Jacques Dutronc elle n'aurait été rien dans la vie et ma mère dit qu'elle doit tout à Serge Gainsbourg... Je pense que ma génération est la première à être vraiment libre. Je suis la première qui peut foutre un mec dehors, parce que j'ai mon propre salaire, une maison à mon nom, et le droit d'élever mon fils seule. Ma mère, en revanche, pouvait envoyer promener Serge, mais la règle qui déterminait ses relations était la soumission."