Fil d'Ariane
A quelques jours de l'ouverture des premiers Jeux olympiques et paralympiques paritaires de l'histoire, rencontre avec Sarah Daninthe, escrimeuse, et Charlotte Saint-Arroman, directrice des opérations d'ONU Femmes France, pour évoquer la campagne "Étincelle, le sport comme outil d'émancipation".
Sarah Daninthe est double championne du monde d'escrime avec l'équipe de France en 2005 et 2008, et médaillée de bronze aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004.
Charlotte Saint-Arroman est directrice des Opérations à ONU Femmes.
Toutes deux étaient les invitées du Journal international de TV5MONDE pour parler de la campagne Étincelle, le sport comme outil d'émancipation, d'ONU Femmes France.
Sarah Daninthe, il y aura autant d'athlètes femmes que d'athlètes hommes aux Jeux olympiques de Paris. C'est une première. Pourquoi ce combat est important pour vous ?
Sarah Daninthe : C'est important parce que ce sont les premiers Jeux paritaires. Et aussi parce que des biais perdurent dans société, que ce soit dans le sport, dans la tech, où l'on connaît très peu de femmes présidentes d'une boîte du CAC 40. Je dépasse le sport, mais c'est important d'avoir une parité en nombre.
Ce que j'attends aussi, c'est la parité des salaires : qu'il y ait aussi le même nombre de femmes à des postes importants, peut-être directrices ou présidentes d'une fédération ou d'une instance − le Comité international olympique, par exemple − et que les salaires soient un peu plus justes et équitables. Qu'il y ait une visibilité dans les médias et une bonne représentation et représentativité des femmes dans le sport à l'écran. Que l'on emploie pour les femmes des adjectifs, comme pour les athlètes hommes, qui soient plutôt de force que de vulnérabilité, et que les femmes ne soient pas non plus associées à des adjectifs qui mettent en avant leur physique aux dépens de leurs performances.
Aujourd'hui encore, seulement 12% des prises de parole dans les émissions sportives sont accordées aux femmes. Charlotte Saint-Arroman
Des jeux paritaires mènent à tous ces débats d'actualité dans la société, parce que le sport est tout simplement une bulle de la société, et que l'on a à cœur que les choses changent et avancent.
Charlotte Saint-Arroman, la campagne Étincelle a débuté le 8 mai 2024 avec l'arrivée de la flamme olympique à Marseille, quel est son objectif ?
Charlotte Saint-Arroman : ONU Femmes France, le relais d'ONU Femmes sur le territoire français, lance la campagne "Étincelle" à l'occasion des premiers Jeux olympiques et paralympiques paritaires de l'histoire. Pour mettre à l'honneur les athlètes femmes aux yeux du public, puisque, aujourd'hui encore, seulement 12% des prises de parole dans les émissions sportives sont accordées aux femmes, à l'inverse des hommes qui prennent le reste de la parole. On veut vraiment les mettre à l'honneur et les faire ressortir comme modèles d'inspiration pour les jeunes filles.
La pratique sportive est un levier d'empouvoirement, d'émancipation très fort qui développe leadership, confiance en soi, persévérance, dépassement de soi. Charlotte Saint-Arroman
Aujourd'hui, il se trouve qu'à la puberté, une jeune fille sur deux abandonne le sport. Grâce à ces exemples, aux athlètes femmes qui nous entourent, nous voudrions qu'elles prennent confiance en elles et intègrent la pratique sportive à leur quotidien. Parce que c'est vraiment un levier d'empouvoirement, un levier d'émancipation très fort qui va leur permettre de développer leadership, confiance en elles, persévérance, dépassement de soi, qui sont des outils indispensables pour faire les bons choix dans leur vie, pour être autonomes et plus fortes et plus libres. Pour les faire étinceler.
Sarah Daninthe, en tant que femme et sportive, quels sont les obstacles auxquels vous avez été confrontée ? Est-ce que vous avez été victime de discrimination ?
Sarah Daninthe : C'est vrai que j'ai été victime de discrimination, en tant que femme, déjà – en 2024, il y a encore ces questions de genre. Et aussi en tant que sportive, noire, homo et travaillant dans la tech. Aujourd'hui encore, je travaille dans des équipes où je suis peut-être la seule femme sur une trentaine d'ingénieurs, donc on n'est quand même pas beaucoup.
Le sport m'a apporté confiance, courage, force. Tous ces apprentissages me servent encore aujourd'hui dans ma vie professionnelle, pour essayer de changer les choses.Sarah Daninthe
Très jeune, le sport m'a appris à me métamorphoser, comme j'étais hyper timide et réservée, et à trouver suffisamment de courage et de force pour m'imposer, pour prendre confiance au fur et à mesure, et être aujourd'hui présente sur des sujets où je ne suis pas forcément attendue, comme travailler dans la data avec des hommes, où il faut se faire un peu entendre et se faire une place. Et puis aussi pour défendre et imposer mes droits de salariée – en tant que jeune, médaillée olympique, femme, j'avais le même salaire qu'un champion de France – quitte à passer par la voie juridique. Le sport m'a apporté tout ça, cette confiance, ce courage, cette force, et tous ces apprentissages me servent encore aujourd'hui dans ma vie professionnelle, pour justement essayer de changer les choses, en l'occurrence dans la tech.
Charlotte Saint-Arroman, en 2023, l'UNESCO et l'ONU ont révélé que 21% des femmes dans le monde avaient subi une forme de violence sexuelle au moins une fois dans l'enfance au cours d'une pratique sportive. Comment le sport peut-il être un outil de reconstruction pour les femmes ?
Charlotte Saint-Arroman : C'est justement un domaine d'expertise d'ONU Femmes, qui est connu pour son impact terrain à travers des programmes dans le monde entier pour aider les femmes en situation de vulnérabilité, en situation de violence, à se reconstruire.
Je vous donne un exemple : en 2016, au moment des Jeux olympiques et paralympiques de Rio, ONU Femmes a lancé le programme "Une victoire en entraîne une autre", qui permet à des jeunes filles brésiliennes en situation d'extrême fragilité de prendre des cours de sport, accompagnés d'ateliers de travail sur l'égalité de genre. Cela leur permet de se développer, de se renforcer, de prendre des décisions sur leur vie et de s'éloigner des situations de violence quand c'est le cas. C'est très important de les accompagner dans ce chemin vers l'éloignement de la violence.
Sarah Daninthe, en quoi le sport peut aider les femmes et les jeunes filles à s'en sortir ?
Sarah Daninthe : Parce qu'il nous apprend déjà une estime de nous-mêmes, et par estime de soi, on apprend aussi à se faire confiance, petit à petit. On apprend aussi la force et le courage, pas seulement physiques, on développe une force mentale qui nous prépare à affronter les obstacles. On se sent parée pour la vie et puis parfois, peut-être un peu plus tard, pour essayer de changer le monde, pourquoi pas ?
J'attends qu'il se passe des choses concrètes, qu'il y ait plus d'arbitres femmes, qu'il y ait plus de présidentes de fédérations... Sarah Daninthe
Le sport a vraiment cette capacité de changer, de transformer, de métamorphoser une personne. Et de faire ressortir cette audace qui nous permet d'être présentes à des endroits où on ne nous attend pas forcément, et de nous faire entendre.
Comment faire bouger les choses, changer les mentalités ?
Sarah Daninthe : Je pense qu'on est sur le bon chemin, notamment avec des jeux paritaires. Maintenant, j'attends aussi des politiques, des gouvernements, du ministère et des fédérations, que ce ne soit pas juste une question de communication, qu'il se passe des choses vraiment concrètes – une formation pour qu'il y ait plus d'arbitres femmes, de présidentes de fédérations, etc. Comme dans le reste de la société, le sport reprend tous ces biais-là. Et même si on est sur le bon chemin, il faut passer à la vitesse supérieure.
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