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Si certaines sont passées à la postérité, comme Lucie Aubrac ou Germaine Tillion, nombreuses sont celles qui sont restées anonymes. Et pourtant, ces héroïnes de l'ombre ont joué un rôle déterminant au cours de la Seconde Guerre mondiale. Entretien avec Catherine Lacour-Astolle, historienne.
Il y a quatre-vingts ans, les Françaises devenaient électrices et éligibles "dans les mêmes conditions que les hommes". Cette entrée de plain-pied dans la citoyenneté par une ordonnance du général de Gaulle était alors présentée comme une reconnaissance officielle du rôle majeur joué par les femmes dans la résistance.
Le droit de vote des femmes est présenté comme la résultante directe de l'engagement résistant des femmes. Catherine Lacour-Astolle
Quatre-vingts ans plus tard, les noms et les itinéraires de certaines d’entre elles, parfois consacrées par leur entrée au Panthéon, sont bien connus. Mais, au-delà de ces figures exceptionnelles, comment rendre visible une activité résistante féminine qui s'est jouée le plus souvent dans l’ombre des combattants de l’ombre ? C’est ce que l’exposition "Résistantes ! France 1940-1944", au musée de l'Ordre de la Libération à Paris, jusqu'au 13 octobre 2024.
TV5monde : Qui étaient ces femmes de la résistance ? D'où venaient-elles ? Quelles étaient leurs compétences, leurs profils ?
Catherine Lacour-Astoll : Elles étaient toute la société française. On a souvent l'image d'une résistante jeune, célibataire. On a des femmes de tout âge, certaines dont les visages apparaissent dans l'exposition ont plus de 60 ans au moment où elles s'engagent.
Beaucoup sont ménagères, c'est-à-dire femmes au foyer, à l'époque, mais beaucoup exercent aussi une profession et sont parfois très diplômées. Certaines étaient militantes, d'autres ne s'étaient jamais engagées au préalable. Elles appartiennent à des milieux confessionnels différents ou sont totalement à côté d'un quelconque ancrage confessionnel.
Quels ont été leurs rôles ? Etaient-ils très différents d'une personne à l'autre ?
Ce qui est très, très significatif de la résistance des femmes, c'est précisément qu'elles ont tendance à s'engager dans plusieurs actions. C'est une résistance vraiment protéiforme, alors que les hommes sont souvent plus dans un type d'action, dans le renseignement, par exemple, ou ont agi pendant les combats de la libération. Les femmes, elles, sont souvent sur plusieurs registres et il n'y a pas de profil particulier.
Plusieurs registres, ce peut être de la liaison, de l'hébergement, du ravitaillement, y compris du ravitaillement des maquis, à partir de la fin 1943 ou 1944. Ça peut être de l'exfiltration d'aviateurs alliés ou du renseignement aussi à l'égal des hommes. Ce sont des opératrices radio. Elles jouent tous les rôles possibles, et très rarement un seul rôle.
Quand on pense aux femmes résistantes, on pense à certains noms comme celui de Lucie Aubrac... Le but de cette exposition est-il d'aller plus loin ?
C'est bien évidemment un enjeu que de proposer d'autres noms que ceux qui sont immédiatement connus. Vous avez cité Lucie Aubrac depuis les panthéonisations, et je pense que tout le monde en a en tête Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Antonio, ou Joséphine Baker plus récemment. Peut-être que certains ont en tête aussi le nom d'Olga Bancic, largement évoqué au moment de la panthéonisation de Missac-Manoukian.
Mais au-delà de ces quelques figures, il y a effectivement beaucoup d'autres femmes dont les noms vont éventuellement émerger, ou pas. C'est plein de visages de femmes ! Il est essentiel de donner un visage à l'engagement, donc de donner aussi une visibilité à des femmes.
Celles qui se sont battues, qui ont résisté, ont aussi participé à l'émancipation des femmes d'une manière générale. Par exemple à l'ordonnance du 21 avril 1944 qui leur donne le droit de vote. Elles l'ont arraché aussi à travers la résistance ?
Oui, elles l'ont arraché à travers leur action, même si ce n'est absolument pas ce qui motive les résistantes quand elles s'engagent dans le combat. C'est l'une des raisons de cette exposition. C'est précisément parce qu'on célèbre le 80e anniversaire des débarquements de la Libération. Pour le musée de l'Ordre de la Libération, qui était peut-être attendu sur un autre registre, il était intéressant de s'intéresser au 80e anniversaire du droit de vote des femmes.
La résistance des femmes, encore plus que celle des hommes, laisse très très très très peu de traces. Catherine Lacour-Astolle
A l'époque, le droit de vote des femmes est présenté comme la résultante directe de l'engagement résistant des femmes. Tous les discours officiels le présentent comme cela, et c'est ce qui arrache la décision de l'ordonnance du 21 avril 1944. Pour autant, voilà des décennies que les femmes se battent pour ce droit de vote qui leur a été méthodiquement et très régulièrement refusé pendant un siècle.
Très clairement, au moment où l'ordonnance est adoptée, les arguments portés par Fernand Grenier, communiste, et Robert Prigent, qui représente davantage la droite, c'est de mettre en avant, pour faire basculer la décision, la résistance. De la même façon, depuis Londres, pendant toute la guerre, Maurice Schumann a multiplié les discours dans lesquels il dit que l'on a désormais des combattantes, que l'on est au pays du citoyen-soldat et que l'on ne peut pas oublier les combattantes.
Comment avez-vous travaillé pour illustrer ces contributions de résistantes quand vous avez monté cette exposition ?
Nous avons travaillé – je rends hommage au musée – pendant deux ans, parce que c'est un long travail. Nous avons commencé par un synopsis et la vision de ce que l'on souhaite faire. On est ensuite confrontés à un enjeu de taille pour exposer des choses : les trouver. Or la résistance des femmes, encore plus que celle des hommes, laisse très très très très peu de traces. Donc on a multiplié les prêteurs ; il y a 14 prêteurs, ce qui est assez conséquent.
Nous sommes quand même parvenus à rassembler plus de 150 objets. Alors attention, ce n'est pas forcément de la 3D, ce sont souvent des tracts. Mais voilà, il y a quand même 150 objets qui permettent de représenter à la fois les aspects de l'engagement, les différentes façons dont les femmes s'engagent, mais aussi, et c'était le défi pour nous, de montrer que cet engagement s'inscrit d'abord au cœur du foyer. Et on est parvenu à montrer quand même que le point de départ, c'était le foyer, autrement dit, la chose la plus banale, la plus quotidienne qui soit.
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