A l'heure où les vidéos d'influenceuses et autres tutoriels affichent des millions de vues sur YouTube, quelle est l'image et la place les femmes sur cette plate-forme incontournable du net? C'est la question posée lors d'une enquête menée par la Fondation des Femmes et des étudiantes de Sciences Po. De la "séductrice", en passant par la "poupée", ou la femme "vénale", les personnages féminins sont représentés à travers un prisme stéréotypé voire dégradant.
Stéréotypes de genre, clichés sexistes, femmes sous-représentées ou hypersexualisées... Le bilan de cette étude inquiète et peut surprendre. A celles et ceux qui imaginaient qu'en cette ère post-Metoo les choses avaient changé, et alors qu'une nouvelle génération de féministes bat le pavé pour porter des messages d'empowerment et d'émancipation, la pilule est difficile à avaler.
Ce sont des contenus qui, par leur forme et leur visée, favorisent de manière très fréquente des représentations problématiques des femmes.
Rapport La Fondation des femmes, août 2021
La question paraissait donc justifiée et d'actualité : si le féminisme est à "la mode", les prises et "libérations" de parole des femmes ont-elles eu un impact bénéfique pour leur image et leur combat sur l'une des plateformes vidéo la plus suivie et influente de la planète web, autrement dit Youtube ? Pour tenter d'y voir plus clair,
la Fondation des Femmes s'est donc appuyée sur le travail de trois élèves de Sciences Po, Lucie Chataigner, Clara Lopez et Pauline Stumpf. Au total, près de 200 vidéos les plus vues en France entre 2019 et 2020 ont été passées au crible. Pour résumer en quelques mots le bilan de leur mission : les créations diffusées sur YouTube restent encore très masculines. Des contenus qui, pour une écrasante majorité, sont des vidéos musicales (à 73,7 %), suivies de très loin par l'animation (8,6 %), le divertissement (5,1 %), les tutoriels (3,5 %), le jeu vidéo et l'humour (2 % chacun).
"Ce sont des contenus qui, par leur forme et leur visée, favorisent de manière très fréquente des représentations problématiques des femmes.", lit-on dans
le rapport publié le 25 août 2021. Hommes hyper-virils vs femmes hystériques
Au total, près de 70 % des vidéos contiennent un ou plusieurs stéréotypes de genre, que ce soit pour les protagonistes masculins ou féminins. On retrouve soit des hommes "hyper-virils" (dans 11,7 % des vidéos analysées ; c'est le stéréotype le plus fréquent tous genres confondus), "protecteurs", "sportifs", alors que les femmes elles passent pour des "hystériques", "sentimentales" ou "séductrices".
"Nous avons remarqué que cette hypervirilité était dans la majorité des cas associée à des comportements déviants, présentant un certain nombre d’attributs propres à l’image romancée du gangster (argent, drogue, armes, voitures…). Il est suivi du type du « protecteur », observé dans 43 vidéos et du « macho », relevé dans 38 vidéos. « Le séducteur » et « le coureur de jupons » sont présents respectivement dans 20 et 13 vidéos. Le type du « courageux » apparaît dans 13 vidéos sur 200, soit 6,5 % des entrées, ce qui marque une forte baisse par rapport à la grille du CSA, qui retrouvait le type du « courageux » dans 24% des vidéos, soit la majorité de celles-ci", précisent les rapporteuses.
En ce qui concerne les stéréotypes féminins, l’archétype le plus courant est celui de "la sentimentale ", (15% des vidéos), suivi de "la poupée" (13%), "la séductrice" (12,5%) et "la vénale" (8,5%).
Une attitude maternante de la part de la femme et une attitude dominante de la part de l’homme.
Rapport La Fondation des Femmes, août 2021
Même chose pour les comportements, on retrouve encore et toujours les mêmes clichés qui semblent démontrer qu'entre homme et femme ne peut s'instaurer qu'une relation de séduction, comme si l'amitié entre sexes restait une exception... Si 40 % des vidéos représentent des rapports de séduction entre hommes et femmes, seuls 12,8 % représentent des rapports amicaux, 26,7 % des relations neutres, et dans 11,7 % des cas, on assiste au spectacle d'une relation conjugale stéréotypée où l'on retrouve
"une attitude maternante de la part de la femme et une attitude dominante de la part de l’homme", comme le précise l'enquête.
Le second rôle pour les femmes
Il faut bien le reconnaitre aussi qu'à la vue de cette enquête, portant sur l'ensemble de ce panel de 200 vidéos, les femmes sont largement sous-représentées par rapport aux hommes. Dans près de deux cas sur trois, le principal protagoniste est un homme. Les vidéos mettant en scène exclusivement des femmes comme personnages principaux ne représentent que 16,3 %, les vidéos avec des protagonistes mixtes 6,6 %. Pour trouver un peu plus de mixité, il faut s'intéresser aux personnages secondaires : 38,2 % des vidéos présentent à la fois des hommes et des femmes dans l'ombre du personnage principal ; 23 % des hommes, 18,3 % des femmes.
Lorsque les femmes sont présentes, ces vidéos transmettent le plus souvent des messages sexistes. Comme s'en inquiète la Fondation des Femmes. Le rapport rappelle les résultats d'une étude du CSA en 2018 : 15,5 % des vidéos analysées présentaient une image dégradante des femmes. Aujourd'hui, l'enquête menée par les étudiantes de Sciences Po constate
une montée à 34,7 %. Cette évolution est, selon les enquêtrices, due à l'utilisation d'une nouvelle échelle, plus précise, pour évaluer l'image des femmes dans les contenus.
Corps féminins objectifiés et culture du viol
"Nous avons relevé que 15,2% des séquences contenaient des propos à connotation sexuelle, prononcés à 96% par des hommes", rapporte encore l'enquête.
Dans plus de 20% des vidéos, les enquêtrices ont assisté à une sexualisation des personnages, des personnages sexualisés qui sont, pour la totalité, des femmes :
"Bien souvent, ces femmes ne sont pas nues, ni partiellement ni totalement, mais leur corps est objectifié par des procédés bien plus insidieux, les plus récurrents étant les jeux de caméra dirigés de façon à montrer les différents attributs féminins (68%) ainsi que leurs mouvements érotiques et poses lascives (31%)". L’image de la femme-objet a de beaux jours devant elle sur la plate-forme...
Autre constat : la violence observée dans certaines des vidéos étudiées est intrinsèquement reliée à une expression de la masculinité. Celle-ci s’exprime en majorité dans l’espace public (66% dans des lieux publics en plein air) mais c'est surtout dans les clips musicaux qu'on retrouve des formes de violences (73,9%).
"Bonne", "Je vais te démonter", "J’te baise"... Ces violences sont représentées à 37,5% par des insultes sexistes, 25% sont des propos misogynes, 15,6% contribuent à la culture du viol, 6,3% des violences se font sous la forme de harcèlement sexuel et 3,1% de violences conjugales. Sur la période 2019/2020, 38 vidéos musicales (25% des vidéos musicales) présentent ainsi une ou plusieurs formes de violences à caractère sexiste ou sexuel.
Les rapporteuses citent parmi les vidéos étudiées, un clip musical dans lequel le personnage principal masculin chante à côté des cadavres emballés de bâche blanche de son ex-compagne et de son amant. Dans la séquence vidéo, on le voit également battre à mort l’amant de son ex-compagne. Dans les paroles, il menace également de s’en prendre à son ex-conjointe. Dans une autre, le chanteur évoque le fait d’alcooliser une femme pour avoir des relations sexuelles avec elle, bref des propos promouvant ouvertement la
culture du viol.
A (re)lire notre article >Culture du viol : "On apprend aux petites filles à ne pas se faire violer, et non aux garçons de ne pas violer"Bien moins nombreuses en revanche ont été répertoriées des vidéos qui proposeraient une réflexion sur les stéréotypes, par exemple où les rôles genrés seraient inversés... Dommage.
Des pistes pour faire bouger les mentalités
Outre des aménagements aux lois existantes, le collectif émet plusieurs propositions pour lutter contre cette dégradation de l'image des femmes sur internet. Exemple : la création d'une charte de bonne conduite. Les GAFAM pourraient s’engager à mettre en place un système de veille concernant l’image des femmes et donc à supprimer, le cas échéant, les séquences les plus dégradantes. " L'objectif est de gonfler l'arsenal juridique mis à la disposition du CSA pour avoir une lutte plus efficaces contre les contenus sexistes et dégradants.", lance Camille Mogan, avocate de la Force Juridique de la Fondation des Femmes lors de la conférence de presse présentant le rapport.
Auto-régulation des GAFAM ou encore code d'éga-conditionnalité, qui priveraient de financement les œuvres véhiculant des séquences trop dégradantes pour les femmes.
"L'idée n'est pas d'être dans une censure de la création, mais de contrer cette tendance de représentation négative de la femme dans les contenus numériques", estime Caroline Leroy-Blanvillain, une autre avocate membre de la Fondation des Femmes.
Pour
Sylvie Pierre-Brossolette, journaliste et membre du CSA depuis 2013 et membre de la Fondation des Femmes,
"L'audiovisuel a fait des progrès formidable. Le pied a été mis dans la porte sur la haine en ligne, la protection des mineurs pour la pornographie. Ces deux secteurs vont être régulés par le CSA dans le cadre du numérique et des plateformes et donc nous demandons qu'on ajoute l'image des femmes". Comme elle l'a posté sur Twitter :
"le sexisme en liberté sur internet fait le lit des violences . A combattre!"