"Vieille fille", célibataire, sans enfant, libre : la fin d'un mythe

"Vieille fille" – une expression qui évoque une femme qui n'a pas "réussi" à trouver de mari, vivant seule, entourée de chats, et bien sûr au physique ingrat... Et si, au fil du temps, le statut de vieille fille était devenu synonyme de liberté ? Entretien avec Marie Kock, autrice de Vieille fille, Une proposition
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mary poppins le retour
©DR
Mary Poppins est née de l'imagination de Pamela L. Travers qui lui offrit 8 aventures littéraires entre 1934 et 1989. Incarnée par Julie Andrews dans le film produit par Disney en 1964, elle fait son retour avec Emily Blunt en 2018. Cette héroïne est le top de la vieille fille selon Marie Kock, autrice de Vieille fille, Une proposition aux éditions La découverte
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mary poppins
©wikicommons
Mary Poppins, l'héroïne de Walt Disney, le top de la vieille fille selon Marie Kock, autrice de Vieille fille, une proposition aux éditions La découverte : "totalement libre, elle fait autrement et ne demande rien à personne". 
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vieille fille
©Fonds Bornemann

Image tirée de la page de titre de la pièce d'opéra Une vieille fille à marier, (Joly/Robillard, 1858).

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"On peut être vieille fille, libre, vivante, aimante, désirante et désirée. Il suffit de décaler un peu le curseur !"

Marie Kock, comme elle le dit elle-même, est sortie du jeu.  Pas forcément par choix, mais par "fatigue", elle a décidé d'arrêter de chercher l'amour – pour quelques mois, pensait-elle. Au final, cette nouvelle situation est devenue une "libération", se souvient-elle. "Tout ce temps de cerveau disponible ! On sous-estime la charge mentale que ça représente. M'en débarrasser a été une révélation", nous confie-t-elle.
 
vieille fille
Paru aux Editions La Découverte en 2022

Des recluses exclues de la société et isolées du monde dans leur tour de pierre au Moyen Âge aux "célibattantes" qui se doivent d'être fortes et conquérantes – un terme que l'autrice a en horreur – dans Vieille fille, une proposition, la journaliste prend son bâton de pélerine pour redorer le blason de toutes ces femmes que la société traite, aujourd'hui encore, avec dédain. 

Car non, la vieille fille – terme encore usité en ce 21e siècle, même à mots cachés – n'est pas forcément laide, seule et honteuse de son sort. Au contraire, la vieille fille contemporaine peut être cette femme libre, libérée des carcans, des injonctions, de l'obligation à l'amour, au couple, à fonder une famille. 

Non, être vieille fille ne représente pas forcément un échec, celui d'avoir perdu au jeu de l'amour, c'est en tout cas le point de vue choisi par l'autrice. Elle peut aussi être cette femme qui, comme elle, en a eu assez de ces histoires sans lendemain, lassée de multiplier les date tinder et des nuits de sexe sans l'option petit déjeuner, et qui, un jour, a décidé de ne plus s'oublier dans cette recherche de l'amour avec un grand A. 


"L’image de la vieille fille n’est pas ce qu’il y a de plus inspirant. On l’accable de toutes les tares : ingrate aigrie, ne prenant pas soin d’elle, égoïste, acariâtre, envieuse, avare, négligée et négligente, frigide.", écrit Marie Kock.

Quant à moi, jamais je ne serai vieille fille. Je me ferai mère par la bienfaisance…
Honoré de Balzac
De la vieille fille décrite par Balzac à Bridget Jones, qui finit donc par le trouver, l'amour, car oui il fallait – comédie romantique oblige – une happy end, l'autrice se raconte. De la noyade à laquelle elle échappe à son grand amour perdu dans un accident de voiture, de son renoncement jusqu'à son émancipation. 
 

"Etant une femme, le seul modèle qui m’est proposé d’une vie sans compagnon, c’est celui d’une vieille dame qui finit dévorée par ses chats dans l’indifférence générale", relève la journaliste dans cet ouvrage mêlant récit personnel, pop culture et études sociologiques.

Rencontre avec Marie Kock

Terriennes : "Vieille fille", on a l'impression d'une formule d'un autre temps, quelle serait votre définition ? 

Marie Kock :
La veille fille qui m'intéressait, c'est la vieille fille définitive, pas la trentenaire qui s'interroge sur le fait d'avoir ou pas des enfants. C'est cette femme qui se retrouve après la date de péremption, dont on est sûr qu'elle n'aura pas d'enfants et pour qui, concernant les maris, c'est plutôt mal engagé... C'est une espèce de célibat définitif, et même si le mot n'est pas idéal à mon sens, ça recouvre une réalité pour laquelle il n'y a pas d'autre terme, du moins pour l'instant. 

On a l'impression qu'en plus d'avoir raté sa vie amoureuse et familiale, il faudrait avoir réussi sa vie professionnelle, parce que sinon on est une moins que rien.
Marie Kock

Terriennes : Une célibattante, c'est une vieille fille qui a fait ce choix et surtout qui a réussi, et à qui tout réussit ? 

C'est un terme qui ne me plait pas du tout. Etre célibataire voudrait dire qu'on a renoncé à la conjugalité et à la famille forcément au profit d'une ambition, notamment de carrière ou financière. Si l'on refuse tout cela, il faut au moins qu'il y ait quelque chose d'exceptionnel en échange. Alors que la vieille fille, elle, n'a pas cette ambition ; c'est juste une fille qui est sans homme et sans enfant. La notion de célibattante sous-entend une pression sociale. Alors bien sûr, il y a le célibat choisi ou subi, mais on a l'impression qu'en plus d'avoir raté sa vie amoureuse et familiale, il faudrait avoir réussi sa vie professionnelle, parce que sinon on est une moins que rien.

Terriennes : "Vieille fille", ça rime seulement avec honte et humiliation ? 

Comme on a du mal à comprendre une vie sans mari et sans enfant, on va, sous forme de vengeance, attribuer à celle qui a fait ce choix toute une série de caractéristiques plus ou moins honteuses.On va la décrire comme quelqu'un d'avare, de moche, comme une fille qui se néglige, qui n'a pas le goût de la vie : elles ont le corps très sec parce qu'elles n'aiment pas la nourriture, elles n'aiment pas la compagnie des autres, les enfants, elles sont frigides etc, etc... Toute une batterie de caractéristiques pour expliquer l'impensable, qui est "elle n'a pas d'enfant, pas de mari". Et puis aussi, contrairement au vieux garçon qui n'a pas trouvé chaussure à son pied, la vieille fille est celle qui n'a pas été choisie, élue, et donc il faut bien la rendre plus monstrueuse qu'elle ne l'est pour expliquer ce phénomène. 

Terriennes : quel est le rôle social d'une vieille fille, d'une femme célibataire ? C'est un choix qui coûte cher ...

Oui, le célibat coute cher, même s'il y a aussi des dépenses auxquelles on échappe. Mais il est vrai qu'on paie tout toute seule. Pour les vacances, par exemple, on nous renvoie au fait qu'une chambre, c'est pour deux. Quand on est célibataire, on paie deux fois, même si on ne vient qu'avec soi-même ! Même chose pour les impôts. Ce qui est paradoxal, c'est que l'on fait souvent de la vieille fille le parasite de la société, alors qu'en fait, elle y contribue fiscalement beaucoup.

On a aussi cette idée que socialement, la vieille fille ne joue pas de rôle. Or on voit qu'au contraire, les vieilles filles ont un rôle social important. Ne serait-ce que représenter une sorte d'anomalie dans la machine permet de poser certaines questions au sein du couple qu'on ne se pose pas en général. Elles peuvent aussi créer des solidarités : on les voit beaucoup dans les associations, ce sont souvent elles qui s'occupent des parents malades, qui vont dépanner les copines. On considère que la vieille fille n'a pas de vie à soi, en tout cas, ou une vie qui peut être abandonnée du jour au lendemain, car elle a moins de valeur que si elle était en couple ou en famille.

Mary Poppins ! Elle est selon moi le meilleur rôle modèle de la vieille fille.
Mary Kock

Terriennes : une vieille fille n'a pas droit à la sexualité ? 

Couverture de Tante Mam
Couverture de Tante Mame. Traduction française parue chez J'ai Lu en 2012.

C'est vrai que la définition de base de la vieille fille, c'est une fille qui est encore vierge, qui n'a jamais été déflorée, et c'est pourquoi on l'appelle "fille" et non "femme". Aujourd'hui, surtout, il y a ce soupçon de frigidité dans la littérature, dans les films, etc, parce qu'il y a l'idée que si elle ne veut pas de l'homme, c'est qu'elle ne peut pas, et qu'il y a des choses physiologiques, physiques chez elles qui ne fonctionnent pas.

Il y a des exceptions, par exemple Tante Mame, qui a été un grand succès américain. C'est une femme du monde, toujours entre deux cocktails ou deux voyages, exubérante, entourée de jeunes hommes. On ne sait rien de sa sexualité, mais comme il y a ce parfum de luxure, elle échappe au qualificatif de vieille fille. 

Enfin, il y a aussi ce soupçon d'homosexualité non avoué. Il y a l'idée qu'elle a une sorte de "tare" de naissance, ou une réaction à certaines expériences qu'elle aurait eu avant, en cherchant à échapper à des violences sexuelles, c'est ce qu'on a vu chez les Béguines par exemple, ce qui était, pour elles, la seule façon d'échapper à une domination patriarcale. 

Terriennes : L'histoire compte de nombreuses vieilles filles célèbres, elles étaient guerrières, rebelles, anarchistes ... 

Ce qui me plait beaucoup chez les vieilles filles, c'est qu'elles sont des héroïnes. La meilleure figure, ma préférée, ça reste Mary Poppins ! Elle est selon moi le meilleur role model de vieille fille. Elle arrive chez les gens avec une sorte de légèreté, sans ego, sans vouloir imposer quoi que soit. Même avec le ramoneur, il y a une sorte d'idylle, mais elle reste une femme en mouvement, qui va d'expérience en expérience sans rester attachée à un foyer. Pour moi, c'est le top de la vieille fille ! Elle est ailleurs, elle fait autrement, elle ne demande rien à personne, elle est totalement libre ! 

 Terriennes : "Vieille fille" au masculin, vous n'en parlez pas dans votre livre, mais quelle différence avec "vieux garçon" ? 

Je trouve que la vieille fille est le contre-exemple de la méritocratie relationnelle. Elle est celle qui n'a pas joué le jeu, qui n'a pas fait assez d'efforts, qui n'a pas réussi, alors que le vieux garçon, on est encore un peu dans la figure d'esthète, qui avait des critères très élevés, qui n'a pas voulu y aller presque un peu par flegme ou par timidité. Même si sa situation n'est pas forcément enviable, je trouve qu'il n'y a pas les mêmes soupçons ni les mêmes condamnations pour les vieux garçons que pour les vieilles filles. 

Par ailleurs, une vieille fille, physiologiquement, une fois passé 40 ans, va le rester, alors que le vieux garçon, lui, a une date de consommation beaucoup plus longue. Aujourd'hui un vieux garçon, il a plutôt 60 ou 70 ans, alors que chez la femme, c'est 40 ans.