Fil d'Ariane
Cachez ces vieilles que l'on ne saurait voir ! C'est ainsi : les personnes âgées ont quasiment disparu du champ publicitaire, télévisuelle ou cinématographique. Elles dérangent, indisposent, nous renvoient malgré elles la projection de ce que nous serons (peut-être) demain. Leur solitude est encombrante. Mais les ancêtres valent de l'or ! Et les maisons de retraite l'ont bien compris, où 3 résidents sur 4 sont des femmes. En France, le coût moyen d’une place se monte à 1857 euros par mois. En Belgique, les tarifs oscillent entre 1500 et 1800 euros par mois. Pour les interressés(ées) et leur famille, c'est une somme !
Dans ces conditions, et si leur santé le permet, autant laisser les personnes âgées à la maison. Justement, La Poste a mis en place un nouveau service pour veiller sur nos chers vieux parents. Difficile de ne pas être au courant : spots TV, affichages, la campagne publicitaire Veiller sur mes parents le matraque.
Rappelons le principe de ce nouveau service : contre une somme mensuelle, qui va de 39,90 euros (1 visite hebdomadaire) à 139,90 euros (6 visites par semaine), le facteur, au cours de sa tournée, marque une pause chez votre parent pour papoter quelques minutes. Puis il vous informe via une application dédiée.
Chaque personne âgée bénéficie d'un transmetteur relié à un service de téléassistance et d’un bouton d’alarme. La publicité assure que "Grâce à leur formation SAMU et leur expérience de la relation avec les personnes âgées, les téléassistants sauront gérer les situations d’urgence avec calme et sang-froid ".
veillersurmesparents Avant il y avait le courrier et la sympathie. Maintenant, il y a le mail et la sympathie est un métier. pic.twitter.com/KSNAWrjTz9
— Philippe (@PhilippeTW) 1 juillet 2017
Dès lors, on peut comprendre l'intérêt du service initié par La Poste. Le soulagement d'avoir des nouvelles de l'être aimé, qui vit souvent loin de vous.... Un sentiment de culpabilité, aussi, qui trouve là matière à quelque apaisement.
Mais est-ce bien le rôle de La Poste de veiller sur nos parents ? " Nous sommes en complément assure Philippe Ployard, directeur général de ce service. Nous ne remplaçons personne. C'est une situation très conviviale. On ne peut pas considérer que la visite du facteur va remplacer le lien qui existe entre les enfants et leurs parents. Nous contribuons au "bien veillir" à domicile. Un enfant, aussi aimant soit-il, n'est pas toujours disponible, pas toujours présent... Les facteurs sont formés à la relation avec la personne âgée. La formation a été mise au point avec le gérontopôle des pays de la Loire et des gériatres".
Et dans le cas où, pour pallier une overdose de solitude, la personne s'attacherait fortement au facteur ? "En prévision d'un 'chantage affectif', que la personne âgée pourrait tenter envers le facteur, celui-ci reçoit au cours de sa formation un certain nombre de conseils pour garder la distance nécessaire".
Nous avons donc contacté Julien (1), facteur à Paris, pour savoir ce qu'il pense de ce nouveau service. Il ne mâche pas ses mots : "C'est une belle saloperie ! En guise de formation, nous avons droit à un logiciel dédié sur un ordinateur censé nous former et répondre à nos questions. J'ai fait un essai ce matin chez une personne âgée et l'affaire ne s'est pas très bien passée, l'accueil n'a pas été bon du tout."
Apparamment, la réalité n'obéit pas toujours aux études de marché.
Mais pourquoi donc faire payer un service qui, somme toute, était gratuit jusqu'à présent ? Philippe Ployard explique : "Nous avons de moins en moins de courrier à distribuer, donc ce rôle était tout à fait naturel (le facteur faisait partie du paysage et sa tournée était très courte). Aujourd'hui, il est de moins en moins présent et ses tournées sont de plus en plus longues (...) Avec ce service, on ré-installe le lien social et ré-installe le facteur dans un paysage véritablement social. Sinon, progressivement, le facteur, plus personne ne le verra ! Notre offre est contractualisée, une promesse client est tenue."
Sur les réseaux sociaux, cette initiative déchaîne les passions et l'ironie, comme sur Twitter :
#Laposte #veillersurmesparents pic.twitter.com/nVEBNEbD5l
— Olivier Besancenot (@olbesancenot) 5 juillet 2017
Quid de l'impact psychologique chez la personne âgée si le service est un jour interrompu, faute d'argent des souscripteurs, ou si ce service, simplement, devait s'arrêter ? Trop tôt pour le dire.
Le rapport note aussi que "Les Français(es) voient moins leur famille et ont moins de contact quotidien avec leur famille que la moyenne européenne. Les Français(es) sont 13,8% à voir leur famille tous les jours contre 16,7% pour le reste des Européen(nes). De même, seulement 20,6% des Français(es) sont en contact avec famille quotidiennement contre 27,5% des Européen(nes)."
Il n'est pas défendu de penser que des familles indélicates profitent de ce nouveau service de La Poste pour espacer davantage leur visite à leur parent. Effet pervers. Si tel était le cas, ces pansements à la solitude, dûment tarifés, ne feraient alors qu'infecter davantage la plaie de l'isolement.
Affaire à suivre.
(1) Nous avons changé son prénom