Fil d'Ariane
C’est une bonne nouvelle qu’a annoncée le chef du gouvernement indien à New Delhi à l’occasion du du 69e anniversaire de l'indépendance de son pays. Des millions de latrines installées en deux ans, un défi au temps et aux traditions. C'est d’ailleurs au même endroit qu'il avait, en 2014 trois mois après son arrivée au pouvoir, prononcé un important discours dans lequel il avait annoncé des mesures symboliquement fortes dans la lutte contre la pauvreté. Il avait ainsi promis sous quatre ans des toilettes et l'électricité dans tous les foyers du pays.
"En si peu de temps, plus de 20 millions de toilettes ont été construites dans les villages indiens et plus de 70 000 d'entre eux ne sont plus concernés par la défécation en plein air", a-t-il dit, s'attirant des applaudissements nourris de la foule. La défécation en plein air est un problème majeur de santé publique en Inde. Près de 594 millions d'Indiens, soit quasiment la moitié du pays, font leurs besoins en plein air, selon l'Unicef. Une habitude qui, au delà des questions d’hygiène, fait prendre des risques considérables aux femmes. Le chemin pour aller se soulager est celui de tous les risques et les affaires de viols collectifs qui ont défrayé la chronique depuis décembre 2012 dans cet immense pays, se sont concentrées dans des villages sans wc, alors que des jeunes filles se mettaient à l’écart pour faire leurs besoins.
Je ne risque plus de me faire attaquer la nuit
Gita Devi, 50 ans
Gita Devi a ainsi vu sa vie changer. Cette veuve de 50 ans se levait avant tous les jours à 4 h du matin pour aller dans les champs avec sa fille. Grâce aux toilettes installées par l’ONG Sulabh (50 000 bénévoles en Inde), elle se sent plus en forme. "Je souffrais de graves constipations, et je devais aller chez le docteur tous les 10 jours. Maintenant, je n'y vais plus qu'une fois tous les 6 mois. Et je ne risque plus de me faire attaquer la nuit...", raconte-t-elle. "Par contre, cela nous coute plus cher en eau. Il y a peu d'eau courante, donc l'achetons aux camions citernes. Je dépense 1.500 roupies par mois en eau. Alors que je touche une retraite de 6000 roupies", détaille-t-elle.
M. Modi s'est attaqué depuis son arrivée au pouvoir à ce tabou, insistant sur la nécessité de construire des toilettes pour empêcher la propagation de maladies comme la diarrhée et pour sécuriser cette fonction humaine. En 2014, près de la moitié des écoles primaires n’étaient pas équipées de toilettes pour les filles, ce qui affecte leur scolarité. Selon Bindeshwar Pathak, le fondateur de l'association Sulabh "les autorités essaient d'économiser de l'argent, en construisant des écoles sans toilettes. Mais ce manque décourage les filles à y aller, car elles se sentent mal à l'aise. Je me suis rendu dans une classe de 5e, et j'étais étonné d'y voir 24 filles pour 14 garçons. Une des raisons est qu'il y avait des toilettes dans l'école."
Le plan appelé "Nettoyer l'Inde", lancé par Narendra Modi à l'aide de clips musicaux, était donc inédit : 18 milliards d'euros en 5 ans, afin de construire 130 millions de toilettes dans les foyers et 50 000 autres dans les établissement scolaires du primaire. Il nécessitait de former 150 000 maçons pour construire ces wc. Ainsi que 50000 "motivateurs" destinés à éduquer les habitants dans les villages, afin qu’ils les utilisent : des textes hindous disent en effet qu'il est impur de faire ses besoins près des maisons.
Autre "tradition", le travail de nettoyage et de vidange des latrines existantes, le plus souvent manuel et sans protection, était jusque là ordinairement affecté aux femmes de la sous caste des intouchables, alors que cette corvée est en principe prohibée par la loi.
Narendra Modi est le premier chef de gouvernement indien à s'engager aussi visiblement dans cette cause. Il faut dire qu'à la différence de beaucoup de politiciens, il vient d'une famille pauvre, qui n'avait pas de toilettes à la maison. "Nous nous approchons du 70e anniversaire de l'indépendance et ces pauvres villages étaient encore contraints de vivre comme au 18e siècle. Mais nous avons promis de rendre l'impossible possible", avait-il lancé lors de son discours fondateur.
Dans le monde, un tiers de l’humanité n’a toujours pas accès à des toilettes décentes.
A retrouver dans Terriennes notre dossier sur les toilettes et leurs déclinaisons dans plusieurs pays :
> Journée internationale des toilettes, une affaire de femmes