L’Inde est sous le choc. L'
étudiante violée dans un bus de New Delhi, il y a deux semaines, est morte le 28 décembre 2012 à Singapour, où elle avait été transférée. Ce samedi, hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et vieux affluent dans le centre de New Delhi pour manifester leur indignation. Ils veulent que les violeurs soient punis et demandent au gouvernement de prendre des mesures. Que se passe-t-il dans la société indienne ? Eléments de réponse avec Urvashi Butalia,
écrivaine et éditrice féministe à New Delhi.
Qu’attendent les Indiens de leur gouvernement ?
Ce que les gens veulent avant tout, ce sont des mesures de prévention à court et moyen termes : l’amélioration des transports en commun et la mise en place de bus privés ; un meilleur éclairage public ; une protection accrue par la police, qui passerait par la formation des policiers ; des facilités pour établir la preuve médicale du viol, pouvant être portée à un dossier pénal par la suite.
Les organisations de défense des droits des femmes, elles, réclament depuis cinq ans une réforme de la loi sur le viol et y travaillent avec le gouvernement. Un projet de loi a été présenté au Parlement avant le décès de cette jeune étudiante, texte selon lequel les affaires de viol seraient portées devant la cour pénale. Mais les associations avaient encore beaucoup à redire à ce projet, sans être prises au sérieux. Aujourd’hui, le gouvernement a constitué un comité ad hoc qui se donne 30 jours pour retravailler le projet. Cette fois, les groupes féministes espèrent être entendus. Nous commencerons alors à nous attaquer au problème à long terme.
Toutes ces mesures sont nécessaires, mais insuffisantes. Ce qui doit changer, c'est la perception que la société a des femmes et la valeur qu’elle leur accorde. Il faut s’attaquer à l’état d’esprit, aux convictions, aux attitudes qui sous-tendent la violence et la discrimination. Ce sera très long, et cela commence par l’éducation.
La peine de mort pour les violeurs : la répression est-elle la solution ?
J’étais à New Dehli ce samedi. J’ai vu la police bloquer tous les accès aux points de rassemblement, mais les manifestants ont toujours trouvé le moyen de s'y rendre, à pied, par exemple. Tous sont restés calmes, pacifiques. Si certains demandent la peine de mort, la majorité, à commencer par les associations féministes, ne croit pas aux représailles "œil pour œil, dent pour dent". Tout d’abord, parce que la peine de mort n’a jamais été une solution pour juguler la violence, quelle qu’elle soit. Mais aussi parce que plus la peine est dure, plus les juges hésitent à l’appliquer, et plus nombreux sont les criminels qui s’en tirent à bon compte. Je ne pense pas que la peine de mort sera adoptée, mais le simple fait que les manifestants la réclament reflète la colère de la société face à cette affaire de viol, face à l’intensification de la violence contre les femmes, et de la violence en général.
Dans quel contexte social s’inscrit ce regain de violence ?
Le viol n’est pas la seule forme de violence qui s’intensifie en Inde. Cette évolution est liée à tout un faisceau de mutations de notre société et à un déficit d’organisation face au rythme extrêmement rapide de ces changements, notamment en milieu urbain ces dix dernières années. De plus en plus de femmes vont travailler et évoluent dans des environnements où on les voyait très peu auparavant, comme les grands centres commerciaux, les espaces publics, les transports en commun... Et puis les jeunes sont de plus en plus nombreux à se retrouver le soir dans les espaces publics.
Parallèlement, le fossé se creuse entre riches et pauvres, et les hommes ont tendance à considérer comme une menace ces femmes qui affluent sur un marché du travail déjà saturé. Tout cela vient alimenter une colère qui s’exprime par toutes sortes de violences au sein de la société – vols, viols, meurtres…
Lorsqu’on est une jeune femme aujourd’hui en Inde, est-ce du viol que l’on a le plus peur ?
Cette mobilisation autour du viol est très importante pour les femmes, mais il ne faut pas croire que les filles ont peur de sortir dans la rue. La vie quotidienne suit son cours, les gens continuent à sortir le soir. Ce que les jeunes femmes d'aujourd'hui redoutent le plus, je crois, c'est la discrimination sur le marché du travail, et surtout la violence familiale dans une société qui reste peu permissive. Celle-ci sera la plus difficile à vraincre, car accuser un proche que l’on aime est très difficile, d’autant plus que la famille reste souvent le seul soutien dans la société indienne. Les mouvements féministes se battent depuis longtemps pour obtenir les structures externes qui manquent à notre société - foyers, centres de conseil et de crise pour les femmes victimes de violences.
Les jeunes Indiennes d’aujourd’hui voient aussi s’offrir à elles une foule d’opportunités qu'elles rêvent de saisir. Elles rêvent de faire des études, de choisir leur métier, de travailler et mener une vie indépendante. Et beaucoup y parviennent. C’est peut-être ce qui effraie le plus les hommes qui, eux, n’ont pas tous évolué au même rythme que les femmes dans notre pays.
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