
(R)évolution de la doxa féministe
Geneviève Pruvost note qu'alors, "il était très difficile d'échapper au dogme de la doxa féministe qui imposait une vision (sans doute justifiée à l'époque) avant tout de femmes victimes. Nous avons pris le parti, d'abord pour un colloque, puis pour le livre qui en est issu, de ne pas du tout évoquer les violences faites aux femmes. Nous avons changé d'époque, nous nous inscrivons dans un autre moment de l'histoire, nous ne craignons plus d'assauts féministes - les violences faites aux femmes font l'objet de nombreuses recherches, et il est moins inconvenant politiquement et stratégiquement d'aborder cette prise en main des femmes de leurs destinées (empowerment) que constitue aussi l'usage de la violence."

Cette hypothèse n'est pourtant pas évidente a priori. Dans sa belle préface, Arlette Farge s'interroge : " l'égalitaire accès des hommes er des femmes au pouvoir de violence revêt-il, dans tous les cas, une dimension politique et émancipatrice ? Cela pose, en soi, le problème de la violence humaine, du recours à la guerre, aux armes, aux crimes, à la défiguration de soi par la mort d'autrui. Il vaut la peine d'aborder ces thèmes de réflexion sans jamais se féliciter trop rapidement de ce que les femmes - on le sait depuis longtemps sont violentes".
Violences symboliques, violences réelles
Le recueil n'est pas exhaustif et se pose alors la question des choix. Le panorama offert, historique et géographique, explore autant les sphères publiques que privées mais certain(e)s regretteront ainsi qu'y manquent les révolutionnaires russes du XIXème siècle (il y eut autant de garçons que de filles à être jugées lors des grands procès contre les populistes), ou les gardiennes nazies de camps d'extermination, par exemple.

Ce livre événement nous invite aussi à repenser ce cliché naïf transmis par certains courants politiques, celui d'un monde meilleur parce que dirigé par des femmes. "Le monde meilleur auquel j'aspire ne serait dominé ni par les hommes, ni par les femmes. Il ne faut pas idéaliser un entre-femmes féministe", affirme Geneviève Pruvost, avant de conclure : "mais que cet entre-femmes soit nécessaire et salutaire à une moment donné, cela est évident. Comme le montre de façon remarquable Foxfire, confessions d'un gang de filles". Le film de Laurent Cantet est presque un résumé de la somme universitaire "Penser la violence des femmes".
Ce qu'apporte Foxfire, confessions d'un gang de filles, à l'approche de genre, selon Geneviève Pruvost
23.01.2013Bande annonce de Foxfire, le film de Laurent Cantet
Dans un autre registre, Zero Dark Thirty de l'américaine Kathryn Bigelow, fait la part belle à la violence des femmes, avec un parti pris féministe qu'elle revendique : "Je suis une femme, et le film est évidemment celui d'une femme, produit par une femme, qui se veut un véritable hommage à trois ou quatre femmes très, très fortes." a-t-elle lancé lors de la cérémonie des Golden Globes. Déjà auteure de Démineurs, un autre film de guerre sur l'Irak réalisé et très remarqué (six Oscars !) en 2009, la cinéaste évoque cette fois la traque de Ben Laden et sa mise à mort par la CIA en mai 2011, avec pour figure majeure de cette chasse à l'homme, impitoyable et intraitable, une agente, faisant tout à la fois montre de ses facultés intellectuelles et physiques, jusqu'à l'horreur de la torture. Comme le dit son interprète principale dans un entretien à Libération, la comédienne Jessica Chastain, "Maya, cette femme sans passé, sans relation amoureuse, sans enfants, uniquement définie par son travail, incarne un nouveau type d'héroïne".
A propos des coordinatrices de “Penser la violence des femmes“

Coline Cardi est sociologue, elle aussi, maîtresse de conférences à l'université Paris-VIII et chercheuse au CRESPPA-CSU. Elle travaille sur la déviance et le contrôle social des femmes. Elle a soutenu sa thèse sur La déviance des femmes. Délinquantes et mauvaises mères : entre prison, justice et travailsocial, en novembre 2008.