Violences conjugales : le bracelet anti-rapprochement, parmi les mesures phares du gouvernement français

Les députés entament ce mardi l’examen de la proposition de loi contre les violences conjugales, issue du Grenelle contre les violences conjugales. Le texte prévoit une quarantaine de mesures, dont la mise en place du dispositif imposant le port du bracelet anti-rapprochement. Un bon début pour les associations et militantes féministes, qui jugent néammoins l'ensemble des propositions insuffisantes.
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©Terriennes/Lydia Menez
Samedi 23 novembre à Paris, 49 000 personnes ont défilé contre les violences. Des manifestant.e.s ont défilé avec des pancartes sur lesquelles étaient inscrits les noms des femmes victimes de féminicides. Elles sont au nombre de 138 en 2019, selon un dernier décompte par la page Facebook Féminicides par compagnons ou ex.
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©Terriennes
Le Premier ministre Edouard Philippe présente aux côtés de la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa les mesures du gouvernement français pour lutter contre les violences conjugales, à l'issue de trois mois de discussions lors d'un "Grenelle" contre ces violences.
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Prise en charge psychologique des agresseurs, introduction de l'emprise dans le code pénal, renforcement du numéro 3919: le Premier ministre français Edouard Philippe a clos lundi 25 novembre 2019 le "Grenelle contre les violences conjugales" en présentant un plan à forte tonalité juridique, espérant qu'il provoque un "électrochoc" de nature à endiguer ce fléau.

La proposition de loi rassemblant les mesures du gouvernement est étudiée à partir de ce mardi 28 janvier 2020 à l'Assemblée nationale.

Les financements sont "là", "massifs", a assuré le chef du gouvernement, confirmant le chiffre de 360 millions d'euros dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes "en une année".

Voici les principaux points du plan de lutte contre les violences conjugales, annoncé lundi 25 novembre 2019 par le Premier ministre français en clôture du "Grenelle".

Protection et prise en charge des victimes

* Mise en place, dès janvier 2020, d'un millier de bracelets anti-rapprochement, qui permettent de maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents. Une proposition de loi en ce sens a déjà été adoptée par les députés et doit être ratifiée par le Sénat.
 

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©L.Simondet /France 3 Paris IDF
Le bracelet antirapprochement obligatoire en janvier 2020 

Le bracelet antirapprochement (BAR) permet de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents par le déclenchement d’un signal, avec un périmètre d’éloignement fixé par un juge. Il existe dans plusieurs pays européens, notamment en Espagne depuis dix ans, où les féminicides ont baissé de manière significative. Le Parlement français avait déjà voté à plusieurs reprises le principe d’expérimentations de ce dispositif, mais sans jamais les mettre en œuvre.

Cette fois, le bracelet doit être autorisé aussi bien au pénal qu’au civil, avec la nécessité d’obtenir le consentement des deux conjoints, dont l’auteur des violences, pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité. Au pénal, le conjoint ou ex-conjoint violent aura intérêt à l’accepter pour éviter la détention préventive ou bénéficier d’un aménagement de peine s’il est déjà condamné. Au civil, en cas de refus du bracelet, le juge aux affaires familiales (JAF) pourra en aviser immédiatement le procureur de la République.

Le Sénat doit donner l'ultime feu vert ce mercredi 18 décembre 2019. ​Le lancement des 1.000 premiers bracelets est chiffré entre 5 et 6 millions d'euros.​

* Les hommes soupçonnés de violences conjugales se verront retirer leurs armes à feu, s'ils en possèdent, dès le premier dépôt de plainte les visant.

* Les modalités du secret médical seront assouplies, dans des conditions "strictes", afin que les professionnels de santé puissent plus facilement signaler les cas inquiétants de femmes victimes de violences.

* Les horaires de fonctionnement de la ligne d'appel 3919, dédiée aux femmes

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de violences, seront élargis, pour atteindre une accessibilité 24h/24 et 7 jours sur 7.

* Création, d'ici 2021, de 80 postes supplémentaires d'intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, chargés d'accueillir les femmes victimes de violences. Actuellement, ces professionnels sont au nombre de 271.

* Distribution d'un document d'information à toute victime se rendant dans un commissariat ou une gendarmerie.

* Renforcement de la formation initiale et continue des forces de l'ordre.

* Aménagement des règles régissant le secret médical, pour permettre aux professionnels de santé de signaler plus facilement les "cas d'urgence absolue où il existe un risque sérieux de renouvellement de violence".

* Suppression de certaines "absurdités juridiques", comme l'obligation alimentaire "qui contraint les enfants à subvenir aux besoins de leurs parents, donc de leur père, y compris quand celui-ci a assassiné leur mère".

* Création d'une "nouvelle circonstance aggravante pour les auteurs de violences dans le cas de harcèlement ayant conduit au suicide", ou encore en inscrivant dans la loi la notion d'"emprise" psychologique.

Plusieurs de ces mesures seront inscrites dans une proposition de loi que porteront deux députés LREM en janvier, a confirmé Édouard Philippe. Ce texte entérinera aussi "le principe de la suspension automatique de l'autorité parentale pour le conjoint meurtrier" ou de son "aménagement par le juge pénal" pour "le conjoint violent", mesures annoncées le 3 septembre.

Prise en charge des auteurs

* Le gouvernement va lancer un appel à candidatures pour créer dans chaque région, d'ici la fin du quinquennat, deux centres de prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales, pour faire baisser la récidive. Ces structures, qui doivent accompagner 35 à 40 hommes par an, seront financées à 50% par l'État. Cette prise en charge psychologique, aujourd'hui un "angle mort des politiques publiques", est "efficace car elle permet une prise de conscience chez nombre de ces hommes", a souligné Marlène Schiappa, qui a reconnu que cette approche n'était pour elle "pas une priorité" jusqu'à présent, mais qu'elle avait changé d'avis.

Des expérimentations sont déjà en cours, et selon la secrétaire d'Etat, elles ont permis de faire baisser le taux de récidive à 20%, alors que la moyenne est de 60%.

Des mesures déjà connues

Une dizaine de mesures avaient été annoncées dès l'ouverture du Grenelle, le 3 septembre, dont la création de 1.000 nouvelles places d'hébergement et de logement d'urgence pour les femmes victimes ou la généralisation du dépôt de plainte à l'hôpital.

De son côté, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a assuré être favorable à ce que les victimes de violences conjugales puissent débloquer leur épargne salariale "en urgence", pour être financièrement plus autonomes lorsqu'elles veulent "claquer la porte et se sauver".

"Le gouvernement rate le coche"

Ces annonces étaient attendues de pied ferme par les militantes féministes, confortées par le succès des manifestations contre les violences sexuelles et sexistes de samedi, qui ont rassemblé 150 000 personnes dans toute la France.

"Le gouvernement rate le coche", a commenté Caroline De Haas, du collectif #NousToutes. "La déception est à la hauteur de l'immense mouvement, de l'attente soulevée ces derniers mois", a-t-elle ajouté, en regrettant que le Premier ministre n'ait "pas eu un mot" pour la mobilisation nationale du 23 novembre, et que les montants alloués ne soient pas à la hauteur des enjeux.
 

Dans un communiqué, le collectif #NousToutes revient en détail sur ces mesures : "de nombreuses mesures annoncées existent déjà. Concernant la médiation familiale, la France a ratifié un texte qui interdit la médiation en cas de violences au sein du couple. La formation des professionnel.le.s de l'éducation à la prévention des violences est prévue dans la loi depuis 2010. La levée du secret médical existe déjà en cas de danger de mort."

La déception, un sentiment partagé par Marie Cervetti, Directrice du Centre d'Hébergement et de Réinsertion sociale de l'association FIT – Une femme, un toit, dont Terriennes a recueilli la réaction à l'issue du discours du Premier ministre : "rendre le 3919 accessible 24h sur 24, et 7 jours sur 7, c'est bien. Saluer le fait que depuis septembre, le standart reçoit 600 appels par jour, ok. Mais qui pour s'occuper de ces 600 femmes en situation de détresse, d'urgence ? Rien n'est vraiment annoncé sur ce plan là. La question des hébergements d'urgence n'est pas réglé, les moyens restent largement insuffisants. On nous annonce des places dédiées aux femmes dans les centres d'accueil des sans-abri, cela reste mixte et donc potentiellement à risque pour les femmes, alors qu'il faut des centres exclusivement réservés aux femmes dans le besoin et victimes de violence".

Pour Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, "attention à l'effet d'annonce, on attendait un vrai Grenelle sur les violences conjugales, le compte n'y est pas, même s'il faut reconnaitre qu'il y a des choses positives notamment dans le domaine judiciaire, et que l'on a pu se faire entendre. Mais un Grenelle, il n'y en qu'un, et en sortant de ce Grenelle, je me dis qu'il faut en faire un l'année prochaine. Les moyens restent bien en deça des besoins, ce que le gouvernement annonce, ce sont des rustines."

En ce lundi 25 novembre, Journée Internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, la mobilisation des associations et du collectif féministe #NousToutes se poursuit. Un rassemblement est prévue à 18h, au métro Varennes pour "dénoncer le manque d'ambition du gouvernement".

Dans son discours, le Premier ministre a cité le refrain de la chanson de Bigflo et Oli "Ah c'est dommage", qui raconte l'histoire d'une femme battue "aux tâches couleur de ciel". Des paroles qui reflètent aussi le sentiment de déception des associations qui attendaient plus de ce Grenelle national contre les violences conjugales.