Violences conjugales : une aide financière "universelle d'urgence" pour les victimes

Lorsqu'une femme victime de violences conjugales décide de quitter le foyer, les premières heures sont cruciales, et souvent, elle se retrouve sans ressources, ni argent, ni papiers. En France, le projet de loi proposant de créer une aide financière d'urgence, sous forme de prêt sans intérêts, a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale. 
Image
campagne violences conjugales gvt
Image extraite du clip de campagne 2021 menée par le gouvernement contre les violences conjugales #Nerienlaisserpasser. Le 16 janvier 2023, l'Assemblée nationale étudie le projet de loi sur une aide financière universelle d'urgence, adoptée en octobre 2022 au Sénat. 
©arretonslesviolences.gouv.fr
Partager8 minutes de lecture

"Une avancée significative pour les victimes sous emprise financière", se félicite Valérie Létard, la porteuse du projet, sur son compte twitter, après le vote, à l'unanimité par l'Assemblée nationale d'une proposition de loi visant à créer une aide financière "universelle d'urgence" pour les victimes de violences conjugales.

Le Sénat dominé par la droite avait déjà validé ce texte à l'unanimité le 20 octobre dernier. "Je suis fière que notre initiative sénatoriale sur un sujet aussi attendu ait pu être enrichie par les députés et le gouvernement. Le texte doit faire l’objet d’un nouvel examen au Sénat, je mettrai tout en œuvre pour qu’il soit rapidement à l’ordre du jour.", ajoute la sénatrice centriste.

"Une aide au rebond"

Inspirée d'une expérimentation menée dans le Nord, la proposition de loi vise à "lever un frein" à la séparation d'un compagnon violent, par l'octroi d'un prêt sans intérêt.

"Il y a une chose qui manque, c'est 'comment je fais pour partir quand il faut un mois pour bénéficier de son premier RSA, quand malheureusement on n'a pas d'argent", estime la sénatrice sur la chaine Public Sénat. 
 

L'objectif de cette aide est surtout de soutenir les femmes d'un point de vue concret, notamment concernant l'argent du foyer, auquel les victimes de violences conjugales ont parfois du mal à avoir accès, comme l'explique l'élue : "Quand on est salariée et que malheureusement le conjoint au fil du temps pour avoir une emprise financière a un compte qui est peut-être conjoint mais dont la seule carte de crédit est au bénéfice du conjoint, et pour laquelle la femme n'a même plus accès à son propre salaire".

"C'est une aide au rebond, le temps de faire valoir ses droits, de rétablir ses droits. C'est de ça dont il s'agit, ce temps de latence, qui quelques fois fait renoncer au départ les femmes victimes malgré les situations qu'elles vivent ", ajoute-t-elle.

Ouvrir un compte bancaire, retrouver des papiers, tout ça est un mur infranchissable quand on sort du domicile.
Valérie Létard, sénatrice centriste

Une condition préalable : la victime de violence doit porter plainte auprès de la police, ou détenir une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales ou d'un signalement adressé au procureur de la République. Le dossier sera alors transmis aux services sociaux du département, et si la demande est justifiée après l'examen de la situation sociale de la victime, une avance sans intérêt sera alors débloquée sous 48 ou 72 h maximum. Ce prêt n'a pas de condition de ressources, et peut toucher tout public, précise la sénatrice. Son montant sera versé en trois mensualités par la caisse d’allocations familiales dont la circonscription comprend le domicile de la demandeuse. Ces services auront la possibilité de se porter partie civile pour aller rechercher le remboursement du prêt auprès de l'auteur des violences, et pour les victimes en grande précarité, il sera aussi possible d'effacer la dette en accord avec la CAF. 

"Ouvrir un compte bancaire, retrouver des papiers, tout ça est un mur infranchissable quand on sort du domicile", rappelle Valérie Létard.

Un projet de loi devenu priorité

Devant le Sénat, la ministre déléguée à l'Égalité Femmes-Hommes, Isabelle Rome, s'était contentée d'un "avis de sagesse", s'en remettant au vote des parlementaires.

Initialement, le groupe RN à l'Assemblée prévoyait d'inscrire ce texte dans sa journée réservée dans l'hémicycle le 12 janvier. Mais la conférence des présidents de l'Assemblée, qui réunit autour Yaël Braun-Pivet les chefs de file des groupes politiques et les présidents de commission notamment, a décidé de l'inscrire plutôt en tête de l'ordre du jour de la "semaine de l'Assemblée" du 16 janvier. 

A la demande du groupe majoritaire Renaissance, d'autres propositions de loi seront étudiées cette semaine-là, l'une d'elle prévoit l'accompagnement psychologique des femmes victimes de fausses couches.

Bonne idée, mais à adapter ? 

Jointe par Terriennes, Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes se dit favorable à ce projet de prêt à taux zéro pour les femmes, "maintenant, on sait aussi que pour certaines femmes ce sera très compliqué de le rembourser compte-tenu de leur précarité et donc c'est vrai qu'il faudrait penser que ce prêt ne soit pas remboursable dans des situations particulières".

"Si c'est pour les aider à démarrer, cela sera positif, mais la majorité des femmes que nous suivons dans les associations sont des femmes qui ont des difficultés socio-économiques du fait des violences, qui ont beaucoup de remboursements, des frais d'avocat, d'huissier, des loyers à payer, et qui sont souvent surrendettées"
, relève néammoins la militante, "Ce sont des éléments qui vont freiner l'utilisation de ce prêt. Pour les femmes en grande précarité, il serait judicieux de ne pas leur demander de remboursement".

Sachant que le chemin jusqu'au poste de police est particulièrement compliqué pour des femmes victimes de violences conjugales, la condition imposée par ce texte, voulant que cette aide ne peut être accessible qu'après un dépot de plainte pourrait aussi pénaliser nombre d'entre-elles : "Pour l'obtention du prêt, une attestation d'une association qui suit ces femmes et qui a connaissance de leur situation pourrait suffire".
 
Il me semble important qu'il y ait une aide d'urgence directe pour ces femmes pendant un petit temps donné pour pouvoir rebondir comme cela existe en Espagne.
Françoise Brié, directrice Fédération Nationale Solidarité Femmes
Alors cet argent ne serait-il pas plus utile versé directement aux associations ? "Nous évidemment, on est toujours dans des demandes pour pouvoir renforcer nos lieux d'accueil et nos structures !", répond Françoise Brié. Concernant justement les allocations attribuées aux femmes victimes de violence, la Fédération Nationale Solidarité Femmes avait rédigé un plaidoyer lors des législatives demandant des aides d'urgence sous condition de ressources, une aide directe sans passer par le prêt, "il me semble important qu'il y ait une aide d'urgence directe pour ces femmes pendant un petit temps donné pour pouvoir rebondir comme cela existe en Espagne, pour repartir le temps de se reconstruire, retrouver un emploi, et faire face à ces difficultés financières. Sans oublier les femmes en situation irrégulière qui n'ont pas droit aux allocations du fait de leur situation."

"Ce dispositif n'est pas négatif, c'est un élément de plus pour soutenir les femmes en situation de précarisation due aux violences",
conclut-elle. 
 

Juridiction spécialisée : une autre loi qui fait débat

Un autre projet de loi a été adopté à l'automne dernier - à l'arrachée(à 23 heures 59, par 41 voix pour et 40 contre, ndlr) - proposé par le député LR (Les Républicains, droite parlementaire) Aurélien Pradié, il prévoit la création d'une "juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales". 
 
Adopté en première lecture, ce texte, qui relance le débat de la prise en charge des violences conjugales en France devrait être transmis au Sénat. Cependant, il n'est pas certain d'aboutir, car il contesté par des membres du gouvernement, jugeant ce texte "pas prêt", selon les mots du Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti ou fait "à la va vite", selon la ministre Isabelle Rome .

Lors du vote le 1er décembre 2022, l'élu a expliqué qu'il voulait s'appuyer sur le modèle de l'Espagne, associant "les pouvoirs du juge civil et du juge pénal", en s'appuyant "sur des référents au sein de chaque parquet". Depuis le vote de la loi "Mesure de protection intégrale contre les violences conjugales"en 2004, l'Espagne a vu le nombre de féminicides baisser de 25%. La juridiction spécialisée sera aussi une nouvelle fois en débat lors de l’examen du projet loi de programmation pour la justice, dont la présentation, prévue pour cet automne, a été reportée.

Notre article ►​"MASCARILLA-19" : l'Espagne met en place un dispositif de signalement des violences pendant le confinement

Aurélien Pradié a été à l'origine d'un autre texte voté en 2019 à la quasi-unanimité des députés sur le déploiement du bracelet électronique anti-rapprochement.

En France, 106 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en 2022, 122 en 2021, selon le décompte du collectif "Féminicides par compagnon ou ex".