Fil d'Ariane
En septembre 2022, une jeune femme travaillant sur l'Ile d'Amsterdam, territoire français de l'océan Indien, a déposé plainte contre un habitant pour harcèlement sexuel. Sur ces îles perdues, riches de ressources naturelles, scientifiques et archéologiques, une trentaine de chercheurs, militaires et employés des Taaf passent une année entière, ravitaillés quatre fois l'an par le navire Marion Dufresne. Là, isolement, vie en vase clos et mixité récente s'allient en une situation humaine à l'équilibre fragile.
"Je vous confirme le total engagement de l'administration des Taaf dans la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences d'ordre moral ou sexuel", assure la préfète Florence Jeanblanc-Risler dans un courrier adressé le 6 janvier 2023 aux hivernants de l'île d'Amsterdam. Reste que la plainte de la jeune femme a été classée. L'administration des Taaf (Terres australes et antarctiques françaises) lui a proposé de quitter cette île lointaine, située à 3000 km de La Réunion et à des milliers de kilomètres de la métropole. La jeune femme a finalement accepté de partir.
"Un choix qui lui inflige la double peine du harcèlement et du départ de la base", s'indignent dans une lettre ouverte une trentaine d'hivernants, qui soulignent l'ambiance "pesante et délétère" qui règne sur la base depuis les faits. Dans cette missive datée du 19 décembre 2022, ils expriment leur désarroi face "au traitement" dont font l'objet les "violences d'ordre sexiste et sexuel dans les Taaf". "Cette situation complexe a dégénéré, j'ai pris des mesures pour que la situation revienne à la normale", explique la préfète, précisant que la personne mise en cause allait aussi quitter l'île au printemps sur "décision administrative".
Plus au sud, des habitants de l'archipel Kerguelen, l'un des cinq districts formant les Taaf, se sont eux aussi mobilisés. A la suite de la lettre de leurs voisins d'Amsterdam, ils ont adressé à la préfète le 25 décembre 2022 une série de propositions de mesures préventives et d'accompagnement car, "les situations d'agressions et de harcèlement ne sont pas des cas isolés dans les Taaf".
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Tout en indiquant ne pas "voir dans ce qui a été fait de failles dans le dispositif", la préfète a promis d'engager dès janvier "une réflexion sur les modalités et moyens pour" approfondir "la partie des entretiens relative à la capacité des candidats à gérer une vie personnelle et professionnelle en milieu isolé", "renforcer les mesures de prévention et de sensibilisation", et nommer "un référent au siège sur ces sujets".
On est dans des milieux isolés avec un déséquilibre entre les hommes et les femmes. On attire la vigilance des personnes qui vont partir et on fait un parcours de sélection rigoureux.
Florence Jeanblanc-Risler, préfète
Dans leurs préconisations, les hivernants de Kerguelen proposent l'envoi régulier par les Taaf d'un questionnaire pour permettre d'établir des statistiques. Ils suggèrent aussi la mise en place d'une cellule d'écoute constituée d'un groupe de résidents volontaires et formés, une mesure destinée aux personnes ne souhaitant pas passer par les autorités pour les signalements.
La mixité dans les Taaf remonte à 1994 seulement pour les hivernants. Jusque-là, les femmes ne pouvaient venir à Crozet, Amsterdam ou Kerguelen que pour quelques mois, durant "la campagne d'été". C'est en 1995 seulement qu'une première femme et sa fille effectuaient un hivernage au sein de la 45e mission du district des Kerguelen. Reste que l'"on est dans des milieux isolés avec un déséquilibre entre les hommes et les femmes. On attire la vigilance des personnes qui vont partir et on fait un parcours de sélection rigoureux, qui peut certainement être renforcé", admet Florence Jeanblanc-Risler.
En 2020, Marion Kauffmann, contrôleuse des pêches, témoignait sur le site des Taaf à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Sur les îles, les responsables jouent la carte de la prévention. "La place des femmes est essentielle car elle oblige chacun à réfléchir à deux fois avant de dire quelque chose", souligne le chef de district de Crozet, Cyrille Jacob. Une présence féminine qui permet d'assurer un certain équilibre et aussi "d'éviter des comportements que certains qualifient de virils et que moi j'appelle aussi grivois. Cette mixité est essentielle", poursuit le responsable.
"J’ai dit au début 'il n'y a que 17 filles, on n'y touche pas', car c'est la minorité", confie pour sa part la cheffe de district de Kerguelen, Valérie Covacho, en précisant : "si les hommes étaient en minorité, c'est eux que je protégerais".
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