Violences faites aux femmes : l'excision en Australie aussi

Le 25 novembre 2015, Journée internationale contre les violences faites aux femmes, les Nations Unies ont lancé deux semaines d'action pour prévenir ce fléau planétaire, au sein duquel l'excision tient sa place. L'Australie, que l'on aurait pu croire exempte de MGF sort d'un procès difficile, autour de cette pratique. Place à la prévention...
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Excision anatomy
Une anatomie de femme utilisée dans les formations/ateliers par le Multicultural Centre for Women's Health pour lutter contre les MGF.
Melinda Trochu
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C'est un procès qui aura duré plusieurs semaines. En Australie, les mutilations génitales féminines (MGF) sont illégales avec des peines allant de 7 à 21 ans de prison dans les six états australiens. Mais jusqu'à cet automne 2015, nulle plainte, nulle poursuite, nulle condamnation en vertu de cette législation n'avait retenti dans les prétoires. Tandis qu'en France, ces procédures sont menées depuis 1982 contre celles et ceux qui pratiquent ces amputations, les Australiens n'avaient jamais pris le chemin des tribunaux pour en juger.

Cela fait partie de notre culture et cela arrive à toutes les filles

En septembre 2015, trois personnes membres de la petite communauté musulmane indienne des Dawoodi Bohras (chiites) installés en Australie ont comparu devant la Cour suprême australienne pour avoir infliger l'excision à deux petites filles mineures, deux sœurs âgées de 7 ans lorsqu'elle furent mutilées. Interrogées en août 2012 par un travailleur social, après des doutes sur leur intégrité corporelle, les deux petites filles avaient admis avoir été «  coupées  ». L'ainée, âgée de 9 ans à cette époque, avait alors expliqué  : «  Cela fait partie de notre culture et cela arrive à toutes les filles.  »

La Cour suprême a donc jugé à la mi novembre 2015 que, sur son territoire, il ne pouvait être question de perpétuer ces traditions et a déclaré coupables la mère des fillettes, l'exciseuse de 68 ans et le chef religieux de la communauté. Les peines seront communiquées et administrées en février 2015.

Alors que dans le monde, cette pratique touche environ 140 millions de femmes, en Australie, il n'y a pas de statistiques. Pourtant, depuis vingt ans, des associations luttent pour faire prendre conscience aux Australiens du risque qu'encourent certaines jeunes filles. Si la fin (ne plus pratiquer l'excision) est la même pour toutes, les moyens pour y parvenir ne font pas l'unanimité.
 

Nimco Ali
Nimco Ali, britannique d'origine somalienne, invitée par Anne Summers, une figure féministe australienne, pour une série de conférences...
Melinda Trochu

Provoquer pour changer les pratiques


Dans la salle, en majorité constituée de femmes, des dizaines de nationalités sont représentées. Toutes attendent Nimco Ali, britannique d'origine somalienne, invitée par Anne Summers, une figure féministe australienne, pour une série de conférences. Le but : lever le voile sur les mutilations génitales féminines et rappeler qu'en Australie, comme dans de nombreux autres pays, cette pratique est illégale.

A sept ans, Nimco Ali est emmenée par sa mère à Djibouti et y subit une MGF de type III (les Nations Unies recensent quatre types de MGF, dont l'excision type II). De retour à l'école, elle se confie à son institutrice qui lui répond que "cela arrive aux filles comme elle". Pendant de longues années, la jeune femme ne souhaitera plus en parler à quiconque. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve horrifiée face à une audience de 14 jeunes filles britanniques en 2006. "13 des 14 adolescentes avaient subi une MGF" assène-t-elle.

La diplômée en droit devient alors activiste, fonde "Daughters of Eve" (Les filles d'Eve) et n'hésite pas à manifester dans un costume géant en forme de vagin dans les rues de Londres. Une campagne provocatrice qu'elle assume complètement. "Dans ce déguisement, ma tête est positionnée à la place du clitoris. Vous le prenez donc en pleine face" rigole-t-elle. Plus sérieusement, elle reprend : "Je voulais que les gens arrêtent d'être embarrassés et que les femmes cessent d'avoir honte. C'est quelque chose qui m'est arrivé, pas quelque chose qui me définit."
 



Dans l'audience, les questions fusent. Chacun annonce son pays d'origine : Égypte, Zimbabwe, Somalie, Soudan, Kenya, etc. La jeune femme, inlassablement, le répète : "si vous pouvez sauver ne serait-ce qu'une fille, faites-le; non, il n'y a aucune justification pour les MGF; et oui, il y a des hommes de notre côté et parfois des femmes pro-MGF". La courageuse trentenaire annonce son prochain combat contre Google. Elle souhaite que le moteur de recherche supprimes les photos insoutenables de MGF.

Dans mon pays, Singapour, on pratique les MGF, et c'est peu connu

                                                                                                           Zubaidah Shaburdin

Zubaidah Shaburdin
Zubaidah Shaburdin, travailleuse sociale chez le Multicultural Centre for Women's Health de Melbourne, est originaire de Singapour
Melinda Trochu

Abandonner les pratiques dangereuses, pas la culture


Zubaidah Shaburdin, travailleuse sociale chez le Multicultural Centre for Women's Health (Centre multiculturel pour la santé des femmes) de Melbourne, est originaire de Singapour. "Dans mon pays, on pratique les MGF, et c'est peu connu. En Malaisie, à Singapour, aux Philippines, il n'y a aucune campagne pour arrêter cette pratique."  Son organisation a récemment recensé les meilleures pratiques mondiales pour mettre un terme aux MGF. Un guide, NEFTA, accessible sur Internet, est disponible. Il a été envoyé un peu partout en Australie. "Nous encourageons les travailleurs sociaux à parler des MGF pendant des fêtes culturelles. Car le but n'est pas que les communautés abandonnent leurs cultures, juste les pratiques dangereuses."

Comment savoir le nombre de femmes affectées en Australie ? Difficile, car aucune donnée n'est disponible. "Nous sommes contre les statistiques" explique Zubaidah Shaburdin "car nous ne voulons pas pointer du doigt certaines communautés. Et de toute manière, en Australie, nous allons continuer d'être concernés, car nous accueillons beaucoup de migrants." En Australie, un quart de la population est né à l'étranger.

83 000 filles en Australie sont susceptibles d'avoir une MGF  

                                                                                                                       Paula Ferrari

Paula Ferrari
Paula Ferrari, fondatrice de "No-FGM" en Australie
Melinda Trochu

Rendre visibles les mutilations génitales féminines pour mieux les combattre


Paula Ferrari, elle, n'est pas d'accord. La fondatrice de "No-FGM" aimerait avoir des chiffres. L'organisation a d'ailleurs recoupé les statistiques des communautés présentes en Australie avec des données de l'Unicef. "Notre estimation est que 83 000 filles en Australie sont susceptibles d'avoir une MGF." L'orthophoniste engagée a également été institutrice : "Quand je pense à certaines conversations avec mes écolières, je me dis que j'aurai dû faire plus attention. Mais je ne savais pas. En Australie, personne n'est au courant de ces pratiques."

Pourtant, les choses avancent. En septembre, un numéro d'écoute a été lancé. Le Royal Women’s Hospital est le seul hôpital d'Australie a pratiquer la procédure de désinfibulation. Une enquête menée par l'Australian Paediatric Surveillance Unit (Unité de surveillance pédiatrique australienne) a démontré que 10% des pédiatres ont rencontré dans leur carrière une jeune fille ayant subi une MGF. Et pour la première fois dans l'histoire de l'Australie, un procès est en cours depuis mi-septembre.

"Vous savez, ici, nous ne parlons pas de manière ouverte de sexualité, on ne parle pas de vagins. Mais la vérité, c'est que cela peut arriver à n'importe quelle Australienne, sur notre territoire ou à l'étranger. Et vous ne pouvez pas arrêter quelque chose si le problème est invisible" considère Paula Ferrari. La quarantenaire prône un contrôle régulier des enfants chez le médecin et le suivi particulier des petites filles dont la mère a eu une MGF. Désabusée, elle assène : "C'est très courant en Australie que les enfants ne soient pas retirés de familles abusives. La vérité ? Si la question MGF concernait les filles blanches, ce serait réellement considéré comme des sévices sexuels!"