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"Les violences morales, sexistes et sexuelles dans le monde de la culture sont systémiques, endémiques et persistantes" : tel est le constat, sans appel, de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale qui a auditionné pendant six mois près de 350 personnalités du cinéma, de l'audiovisuel ou du spectacle vivant.
Judith Godreche, au centre, pose avec les mains couvrant sa bouche à son arrivée à la première du film « Furiosa : A Mad Max Saga » au 77e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, mercredi 15 mai 2024.
Porte-voix du mouvement MeToo dans le cinéma français, Judith Godrèche s'est dite peu surprise par ce constat "impressionnant et assez terrifiant", car "je ne m'attendais pas à mieux", a-t-elle déclaré sur Franceinfo.
La comédienne a appelé le monde politique à s'emparer du sujet afin que "plus personne ne puisse dire 'On ne savait pas'". "Il faut qu'elle (la commission, ndlr) (...) se traduise en loi, en législation, qu'elle ne soit pas rangée dans les bureaux de l'Assemblée nationale". Pour rappel, l'actrice a accusé début 2024 les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon de l'avoir violée alors qu'elle était mineure.
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"Dans notre pays, on a un culte du talent et du génie créateur", commente Erwan Balanant, député centriste et rapporteur de la commission. "Et ce génie créateur a une sorte de quitus pour créer son œuvre, qui serait, pour certains, plus important que les règles de notre république".
Tout le monde se tient et plus personne ne parle. Erwan Balanant, député centriste et rapporteur de la commission
Il décrit aussi, comme facteur propice aux violences, un environnement marqué par "l'entre-soi" : "on connaît tout le monde", ce qui fait que "tout le monde se tient et plus personne ne parle", ajoute-t-il sur France Inter, tandis que Sandrine Rousseau parle d'"omerta". "Neuf dixièmes" des personnes que la commission a souhaité interroger "ont refusé de venir par peur et parce qu'elles étaient terrorisées pour leur carrière", a-t-elle précisé.
Pour la ministre de la Culture Rachida Dati, qui a été auditionnée et "a suivi les travaux" de la commission, ces questions sont "une priorité" et la ministre "n'a pas attendu ce rapport pour agir", a déclaré une source gouvernementale à l'AFP.
Dans ses 86 recommandations, la commission appelle à interdire la "sexualisation" des mineurs à l'écran, réglementer les castings, le travail des enfants acteurs ou encore les scènes d'intimité. "Trop nombreux sont les directeurs de casting et les agents artistiques à profiter de l'extrême vulnérabilité (des acteurs et actrices) pour obtenir, de gré ou de force, des faveurs sexuelles", estime le rapport. La commission recommande également d'étendre la présence obligatoire d'un responsable des enfants "à toutes les productions artistiques", alors que la présence de référents mineurs sur les tournages était encore facultative jusqu'à très récemment en France.
Un enfant a besoin d'être extrêmement entouré sur un plateau. Judith Godrèche
"Un enfant a besoin d'être extrêmement entouré sur un plateau (...) Il y a un cadre à créer qui va coûter des sous, il est important que le CNC (Centre national du cinéma, ndlr) s'implique et que le ministère de la Culture" s'implique aussi, plaide Judith Godrèche.
Pour les majeurs, elle recommande d'encadrer les scènes d'intimité en imposant "des clauses détaillées au contrat" et la possibilité pour les comédiens d'avoir recours à un coordinateur dédié et formé, une profession encore balbutiante en France.
L'une de ces recommandations prône aussi d'inscrire dans le code de procédure pénale une obligation pour les employeurs de signaler les faits de VHSS (violences et harcèlements sexistes et sexuels) portés à leur connaissance. Une mesure à laquelle Judith Godrèche s'est dite favorable, soulignant la nécessité "que les gens qui ont le plus de pouvoir sur un plateau s'emparent de la détresse de celles et ceux qui en ont le moins".
Du côté des institutions, la commission étrille le fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, vivier réputé de jeunes chanteurs d'opéra dont le chef Gaël Darchen est visé par cinq plaintes pour agressions sexuelles. "Un gâchis humain et un désastre moral", cingle le rapport.
La commission indique également avoir saisi la justice au sujet du Théâtre du Soleil, après qu'une comédienne a affirmé en audition avoir été victime d'une tentative de viol en 2010, dans un climat de "pression sexuelle constante". La troupe fondée en 1964 par Ariane Mnouchkine a fait part de sa "sidération" et lancé une enquête interne.
"La violence s’ancre en vous et vous ronge" : à l’instar de Nina Meurisse, des actrices ont profondément marqué la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en racontant les violences subies durant leur carrière. Ces prises de parole sous serment, d’Anna Mouglalis à Sara Forestier, sont la "partie émergée" de l’iceberg, tient à préciser la présidente de la commission, l’écologiste Sandrine Rousseau. D’autres, comme Virginie Efira, Noémie Merlant ou Juliette Binoche ont témoigné à huis clos, et des dizaines se sont manifestées auprès des députés, pour livrer leurs expériences douloureuses.
On ne voit pas forcément tout – et on n'a peut-être pas envie de voir. Je pense que le mouvement MeToo aura été utile de ce point de vue-là. Jean Dujardin
L'actrice doublement césarisée Sara Forestier a ainsi raconté les metteurs en scène qui "voulaient coucher (avec elle) en (la) menaçant de (lui) retirer un rôle", tandis que Judith Godrèche a déploré le "silence" des personnes de pouvoir dans le cinéma.
Parfois accusés de frilosité sur le sujet, des acteurs stars sont venus faire amende honorable. "On ne voit pas forcément tout – et on n'a peut-être pas envie de voir. Je pense que le mouvement MeToo aura été utile de ce point de vue-là", a déclaré Jean Dujardin.
Plus généralement, et malgré les critiques d'avocats dénonçant des atteintes à la présomption d'innocence, la commission se félicite d'avoir "levé enfin le voile sur les insécurités et dérives" dans la culture, en faisant entendre des témoignages de victimes.
Sandrine Rousseau et Erwan Balanant ont rappelé sur France Inter ne pas avoir pas auditionné de personnes mises en cause devant la justice, appliquant "à la lettre les règles d'une commission d'enquête", à savoir que "nous ne devons pas empiéter sur le domaine judiciaire". Alors que 19 avocats ont publié dans Marianne une tribune dans laquelle ils reprochent à la commission d'avoir empiété, lors de certaines auditions, sur des procédures judiciaires en cours, Erwan Balanant a démenti, assurant que c'était "une négation de la réalité".
Interrogés par l'AFP, ni Erwan Balanant ni Sandrine Rousseau n'imaginent toutefois que leurs propositions puissent à elles seules mettre un terme aux "dysfonctionnements systémiques" du monde de la culture, qui nourrissent le fléau des violences sexuelles.
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