On a vu souvent des mobilisations massives générées par des campagnes sur les réseaux sociaux, s’éteindre aussi vite qu’elles ont surgi. Et au fur et à mesure, des protestations parfois légitimes contre le #BalanceTonPorc critiqué en ce qu’il peut receler notamment une part de délation, qui n’a pas craint qu’on s’épuise pendant des jours à débattre de la forme employée, empêchant ensuite tout débat de fond.
Dans ce contexte, il était urgent d’éviter toute dépolitisation du sujet pour traiter l’enjeu de ce débat celui du système de domination et de pouvoir qui doit être combattu, condition préalable, si l’on veut, femmes et hommes, bâtir une société égalitaire. Et comme le rappelle la sénatrice Esther Benbassa dans une tribune du Huffington Post, « la parole, c’est déjà agir », « la parole, c’est le pouvoir. Et les femmes n’ont pas à la prendre seulement pour dénoncer ». « Et ne doit en aucun cas être réduite à une parole de victimes. »
L’éducation et le droit ne sont pas suffisants. La jouissance sexuelle fait partie de la jouissance du pouvoir, c'est l'imaginaire social qui doit changer
Geneviève Fraisse, philosophe
« Il faut passer par une analyse politique des choses, déclare également Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe, dans un entretien accordé au quotidien suisse Le Temps car, selon elle, « l’éducation et le droit ne sont pas suffisants ». Pour elle, l’affaire Weinstein, comme l’affaire Baupin, « c’est une affaire de sexualité, de libido, en lien avec le pouvoir » et « la jouissance sexuelle fait partie de la jouissance du pouvoir. C’est l’imaginaire social qui doit changer. »
Un plan d'urgence contre les violences sexuelles
De nombreuses féministes et personnalités publiques, nous entraînent sur cette voie en prenant la parole, à travers une tribune qui pourrait accélérer la mise en place de mesures politiques en matière de violences envers les femmes.Il en va ainsi de la pétition publiée dans le JDD, le 4 novembre 2017, et dans laquelle une centaine de femmes signataires militantes, cinéastes, écrivaines, artistes, médecins, philosophes et autres, issues de milieux très divers, ont appelé le Président de la République à agir contre les violences sexuelles visant les femmes. Parmi lesquelles, Rokhaya Diallo (journaliste), Valérie Donzelli (actrice, réalisatrice), Kee-Yoon Kim (comédienne, auteure), ou encore Caroline de Haas (militante féministe, auteure).

.@EmmanuelMacron : décrétez un plan d'urgence contre les violences sexuelles. #1femmesur2 https://t.co/QalbrjbkDc
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 4 novembre 2017
Les signataires vont encore plus loin dans la démarche en proposant « un plan d’attaque » avec cinq mesures concrètes: le doublement des subventions allouées aux associations de victimes de violence, une formation pour tous les spécialistes en contact avec elles (enseignant.e.s, magistrat.e.s, policier.e.s, corps médical, notamment de la santé au travail), un brevet de la non-violence sur le modèle du brevet de la sécurité routière, la formation obligatoire en entreprise contre le harcèlement sexuel au travail. Et enfin une campagne nationale de prévention aussi importante que celle sur la sécurité routière.
C'est ce que s'expliquait sur le plateau de TV5MONDE, le 10 novembre 2017, Marie Cervetti, membre du HCEfh (Haut conseil à l'égalité entre femmes et hommes) depuis 2013 et travailleuse sociale.
Réponse de Marlène Schiappa
Interrogée le 5 novembre, sur cet appel collectif, dans le 20 heures de France 2, la ministre a répondu cependant que « tout ce qui est demandé dans cette tribune, fait partie des engagements de campagne du président de la République ou des choses sur lesquelles nous sommes déjà en train de travailler, donc nous avions déjà annoncé la plupart de ces mesures de longue date, la loi sur les violences sexistes et sexuelles, la grande campagne de communication, les mesures d’éducation sensibilisation et d’autres… »Une façon de dire que le chef de l’Etat qui, rappelons-le, a réduit le ministère des Droits des femmes à un secrétariat d'Etat et abaissé le budget qui lui était alloué, n’a pas attendu cet appel pour agir. Le président Emmanuel Macron, silencieux jusqu’ici, pourrait bientôt s’exprimer sur le sujet, semblerait-il, à l’occasion du 25 novembre 2017, journée internationale de lutte contre les violences envers les femmes.
Affaire Tariq Ramadan
A cela s’ajoute une succession de tribunes de plusieurs personnalités de lasociété civile, qui enjoignent à dépasser l’extrême polarisation des réactions suscitées par l’affaire Tariq Ramadan.

Et pour cause. Depuis les dépôts de deux plaintes pour viol introduites à l’encontre du théologien suisse par deux Françaises et, depuis peu, les témoignages accablants, rapportés par la Tribune de Genève, de quatre anciennes élèves qui disent avoir été harcelées et même avoir eu des relations sexuelles avec lui alors qu’elles étaient encore mineures, l’affaire ne cesse d'être instrumentalisée par ses nombreux détracteurs, tout comme ses défenseurs inconditionnels, souvent « complotistes ».
Les analyses des féministes musulmanes et antiracistes
Mais plusieurs militantes, chercheuses, et personnalités publiques à la fois féminines et masculines ont cherché à sortir de ces récupérations de tout bords. En effet, dans une tribune publiée sur son site, Lallab affirme que « son soutien aux victimes est total ».L’association féministe a largement pris la défense des plaignantes en particulier Henda Ayari, ancienne salafiste, fondatrice de l’association féministe Libératrices, violemment « insultée, calmoniée et menacée de mort » , tout en condamnant également « toute récupération raciste et islamophobe du combat contre les violences de genre ». Henda Ayari a en effet dénoncé via Twitter les menaces graves dont elle est continuellement la cible depuis son dépot de plainte.
Quelques exemples de messages de menaces et insultes que je reçois chaque jour depuis plus de quinze jours,Une plainte sera déposée ! pic.twitter.com/5CTJY7kMOF
— Henda Ayari (@Henda_Ayari) 7 novembre 2017
Quelques jours plus tard, dans Le Monde, la co-présidente de Lallab, Sarah Zouak, a signé une nouvelle tribune en soutien aux plaignantes, cette fois aux côtés d’une dizaine d’autres féministes antiracistes et musulmanes - dont Zahra Ali (enseignante-chercheure à Rutgers University), Ndella Paye (membre fondatrice du collectif Maman toutes égales), Leila Alaouf (étudiante chercheure en littératures, genres et études postcoloniales à Sorbonne-Nouvelle).
Ajoutant que certaines d’entre elles « ont directement été confrontées au sexisme de Tariq Ramadan. Leurs interactions avec lui ont été marquées par des tentatives malsaines de séduction ».
Fatima Khemilat, chercheuse en sciences sociales
Alors qu’il est devenu systématique de voir une tempête d’injonctions « à se désolidariser » ou «à sortir du silence » s’abattre sur les musulmans dès lors que l’un d’eux est incriminé, on aurait pu imaginer que ces tribunes salutaires, où des voix musulmanes s’expriment sans détours sur le cas du prédicateur Tariq Ramadan et plus largement sur les violences sexuelles, soient davantage relayées.

Le cas Tariq Ramadan vu par des hommes
Deux tribunes signées cette fois par des hommes étayent la même affaire. A commencer par celle d’Edgar Morin, auteur de deux livres de discussion avec Tariq Ramadan, il pointe dans Mediapart, que « toute religion a ses Tartuffe, et l’Islam peut avoir les siens. Je sais aussi que les machos intempérants existent dans toutes les sphères de pouvoir, politique, économique ou spirituel (prêtres pédophiles). Mais je ne peux pas être moins ému par ce qu’ont souffert les victimes de Tariq Ramadan que par celles de Weinstein et autres victimes de viols et violences » .Enfin, dans Libération Abdelkrim Branine, journaliste et ancien rédacteur en chef de Beur FM et Réda Didi, président du Think Tank Graines de France, formulent une mise en garde : « éviter l’effet O.J Simpson ». Ces derniers rappellent « qu’en 1995 le procès de l’ancienne star de football américain a pris la forme d’un véritable enjeu national autour de la question raciale ». « Les démêlés judiciaires de Tariq Ramadan, accusé de viol, écrivent-ils, ne doivent pas nous mener à un cas de figure semblable en France». Ils invitent « les élites de notre pays, si promptes à désigner les bons et les mauvais leaders » à « se poser la question de savoir comment un Suisse issu de la bourgeoisie égyptienne est parvenu à occuper une place aussi importante pour des millions de concitoyens d’origine afro-maghrébine. »
Autant de voix qui se mêlent au flot des dénonciations qui continuent sur les réseaux sociaux ou de façon plus discrète dans les associations d’aide aux victimes de plus en plus sollicitées, pour une nécessaire approche politique et systémique des violences envers les femmes.
Suivez Lynda Zerouk sur Twitter : @lylyzerouk