Violeurs exonérés de leur crime au Liban : article 522, chronique d'une fin annoncée

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récit TV5MONDE, Philippe Randrianarimanana, 1'28
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Après une action conjointe dans la rue et au Parlement, les députés libanais pourraient vider de ses effets un article de loi, le numéro 522 du code pénal, qui permettait à un violeur d'échapper à des poursuites s'il épousait sa victime.

La roue tourne. Au moment même où la Turquie aimerait adopter un tel dispositif, malgré les protestations populaires et massives, le Liban s'engage sur la voie de son abrogation. Le calamiteux article 522 du code pénal libanais prévoit d'exonérer de toute condamnation un violeur s'il consent à épouser sa victime, l'assignant elle, ainsi, à une double peine. Comme cela existait au Maroc jusqu'en 2014, juqu'à ce qu'une adolescente de 16 ans se suicide pour échapper à cette sentence à vie, un mariage avec son violeur. Comme cela est suggéré par un animateur de télévision tunisien à son infortunée jeune invitée... Comme cela a été assénée par la justice tunisienne ce 13 décembre 2016 qui a autorisé, au nom de l'article 227 bis du Code pénal tunisien ("le mariage du coupable avec la victime de moins de 15 ans (...) arrête les poursuites"), le mariage d'une fille de 13 ans avec un proche l'ayant mise enceinte, provoquant l'indignation d'organisations qui jugent qu'elle a été violée.

L'ONG libanaise Abaad avait bien préparé sa campagne : panneaux d'affichage dans les rues de Beyrouth, vidéo virale, et performance aux marches du Gouvernement libanais. Accompagnés d'un slogan et de mots dièses qui ont vite été repris, au delà du Proche Orient : “Une robe blanche n’efface pas un viol”, #undress522 (déshabillez le 522) et le plus direct #abolish522 (abolissez le 522).

Depuis 2011, ce "Centre de ressources pour l’égalité des sexes" se bat sur tous les fronts pour promouvoir l'égalité des genres comme moteur du développement au Moyen Orient. Nous avions rencontré leurs membres sur le terrain, à la rencontre de réfugiées syriennes et palestinennes, alors que cette organisation mettait en place des structures spécifiques pour accueillir ces femmes, et leurs enfants, chassées par les guerres. 

Afin de pousser les élus à sauter le pas pour défaire l'article 522, "maintenant, nous nous mobilisons pour tenter de convaincre les députés.  Nous voulons leur mettre un maximum de pression pour réussir à abolir une bonne fois pour toutes cet article 522”, explique l'association sur sa page Facebook.

Cette disposition pénale est ainsi rédigée :
"Article 522. Dans le cas d’un mariage légal entre la personne ayant commis un des crimes mentionnés dans ce chapitre [y compris le viol, l’enlèvement et le viol tel que défini par la loi], et la victime, les poursuites judiciaires seront arrêtées et si un jugement a été prononcé, l’exécution dudit jugement sera suspendue contre la personne qui en a fait l’objet.
Les poursuites judiciaires reprendront et la sentence sera de nouveau applicable avant l’expiration  de trois années dans des cas de délits, et de cinq années dans des cas d’infractions majeures, dans l’éventualité où un tel mariage se terminerait par le divorce de la femme sans raison légitime ou par un divorce prononcé par la cour en faveur de la femme.
"

Une robe blanche immaculée, comme un mensonge. Le film commence par un viol et se termine par un autre
Danielle Rizkallah, réalisatrice

L'Orient le jour, quotidien francophone de Beyrouth, salue, avec un éditorial vibrant, la campagne lancée par Abaad, ce "coup de poing dans nos lois d'un autre temps qui sévissent encore, et qui donnent toutes les excuses et le droit aux auteurs de viol de persévérer dans l'inadmissible. Grâce à cette manifestation organisée par l'ONG Abaad, aux réactions de plusieurs députés pour faire bouger la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, et une proposition de loi présentée par le député Élie Keyrouz, dont l'objectif est d'annuler cet article complètement insensé". L'éditorialiste salue aussi le travail des créateurs de cette campagne : "Abaad a lancé une vidéo, visionnée et partagée des centaines de milliers de fois, qui a ébranlé les réseaux sociaux en quelques heures. On y voit une femme dont on panse les blessures à grand renfort de compresses et bandelettes blanches. Elle finit par apparaître habillée en mariée. Très justement réalisé par (la passionnée) Danielle Rizkallah, engagée dans toutes les causes humanitaires, ce sont quelques minutes qui décrivent ce cauchemar. « J'ai adoré faire ce petit film que je considère majeur, à un niveau humain d'abord et ensuite personnel. Je ne suis pas une victime, mais dans ma nouvelle carrière de réalisatrice, je l'estime essentiel.» Une femme se fait couvrir les plaies du viol par de la gaze médicale blanche, qui finit par se transformer en robe de mariée, « blanche immaculée, comme un mensonge. Le film commence par un viol et se termine par un autre » dit encore la cinéaste.

Le clip se présente ainsi : "Qui la loi protège-t-elle ? La victime ou le violeur ?"


Au vu de certaines circonstances, nous devons nous interroger sur la façon dont des femmes poussent les hommes à les violer
Elie Marouni, député libanais, septembre 2016

Rien n'était pourtant gagné ce 7 décembre 2016 lorsque la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice s'est réunie pour examiner la proposition de loi, présentée par le député Élie Keyrouz, membre des "Forces libanaises" (un parti chrétien issu d'une milice chrétienne principalement d'obédience maronite). Début septembre 2016, un autre élu, Elie Marouni, membre des Phalanges libanaises (parti chrétien issu d'un mouvement impliqué dans des massacres de la guerre civile) avait lancé, en toute tranquillité, à l'occasion d'une table ronde consacrée à l'article 522 :  "Au vu de certaines circonstances, nous devons nous interroger sur la façon dont des femmes poussent les hommes à les violer".

campagne #undress abaad 2
Quatre "actrices" de la douzaines de Libanaises qui se tenaient en robe de mariées ensanglantées devant les institutions libanaises, ici le siège du gouvernement, à Beyrouth le 6 décembre 2016, pour obtenir l'abrogation de l'article 522
AP Photo/Bilal Hussein

L'article 522 supprimé ? Le "rapt consenti" ajouté ?


Cette fois, confortés peut-être par  la performance de Abaad qui s'était déroulée sous leurs fenêtres la veille, au cours de laquelle se tenaient par la main douze jeunes femmes ensanglantées sous leurs robes de mariées, cette commission, entièrement masculine, a annoncé vouloir faire évoluer le droit : "La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice s'oriente vers l'abrogation de l'article 522 du code pénal", a commenté son président le député Robert Ghanem (élu du "Courant du futur").
Mais un bémol a aussitôt été ajouté : « À l'heure actuelle, les associations pour les droits de la femme demandent son abrogation totale. Mais l'ordre des avocats penche vers l'annulation des effets de cet article dans le cas de viols et d'agressions, et lorsque les victimes sont des mineures ou des personnes handicapées. Il demande en revanche de maintenir ce texte dans les cas où il n'y a pas de crime. » Par exemple lors de rapts de jeunes femmes consentantes, par leurs prétendants, parce que leurs familles sont opposées au mariage. Ces cas-là ne devraient pas être considérés comme des « crimes », selon les membres de la commission.

La Commission doit donc poursuivre ses travaux avant de soumettre sa proposition au vote du Parlement. En attendant, Abaad entend bien maintenir la pression sur les réseaux sociaux. Une action saluée bien au delà du pays du Cèdre, comme par cette universitaire de l'université d'Alger  : "Très importante campagne au Liban pour en finir avec l'article 522 qui permet aux violeurs d'échapper à leur crime en épousant leur victime".
 

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