Viols sur les campus américains : les Etats-Unis en émoi après une agression à Stanford

Le scandale autour de l'agression sexuelle d'une jeune femme par un étudiant à l'université Stanford, qui a retenti dans le monde entier, a ravivé aux Etats-Unis le débat sur le fléau des viols sur les campus.
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Standford viol
Le 10 juin 2016, Michele Dauber, professeure de droit à l'Université de Stanford parle devant des militantes qui viennent de remettre une pétition de plus de un million de signatures à la justice californienne, appelant à la destitution du juge Aarin Persky pour son jugement trop clément infligé à Brock Turner, ancien champion de natation, qui avait violé une jeune femme inconsciente.
AP Photo/Eric Risberg
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"Ce cas symbolise la culture du viol dans notre société", a dit Amy Ziering, productrice d'un documentaire sur ce sujet, celui des viols dans les établissements universitaires américains prestigieux, "The Hunting Ground" (Le terrain de chasse).

L'Amérique s'est d'abord émue de la légèreté de la condamnation annoncée le 2 juin 2016 pour le viol commis par un ancien étudiant de la célèbre université de Stanford, située au coeur de la Silicon Valley (Californie), et ancien champion de l'équipe de natation de la faculté si réputée, Brock Turner, sur une jeune femme inconsciente : six mois de prison dont trois fermes.

"20 minutes d'action"

Les propos tenus par le père de l'agresseur pour tenter d'en appeler à la clémence du juge en ont ensuite écoeuré plus d'un-e : il faisait valoir qu'envoyer son fils en prison pour "20 minutes d'action" était une sanction "trop dure".

Une lettre poignante de 12 pages écrite par la victime à Brock Turner, lue au tribunal puis publiée sur internet a ensuite ému tout le pays. Et dont voici quelques extraits.

Tu ne me connais pas, mais tu as été en moi

"Tu m’as pris ma valeur, ma vie privée, mon énergie, mon temps, ma sécurité, mon intimité, ma confiance en moi, ma voix même, jusqu’à aujourd’hui" (.../...).

"Ce matin-là; tout ce qu'on m'a dit, c'est que j'avais été retrouvée derrière une benne à ordures, que j'avais probablement été pénétrée par un arranger, et que je devais être subir un nouveau test pour le SIDA, parce que les résultats du premier devaient être confirmés. Mais pour l'heure, je devais rentrer à la maison et retourner à ma vie normale. Imaginez que vous devez faire vote retour dans le monde avec juste cette information. Ils me consolèrent et je marchais hors de l'hôpital, dans le parking, portant le t-shirt et le pantalon sweat qu'ils m'avaient procuré, me permettant seulement de garder mon collier et mes chaussures." (.../...)

"Durant l'audience, j'ai été réduite, matraqué par des questions qui ont disséqué ma vie personnelle, ma vie amoureuse, ma vie familiale, des questions ineptes, accumulant des détails triviaux pour tenter d'excuser cet homme qui m'a déshabillée et laisser à moitié nue avant même de me demander mon nom.
" (.../...)

"Et finalement, à vous les filles partout, je suis avec vous. Une nuit, quand vous vous sentirez seule, je serai avec vous? Quand les gens douteront de vous, vous rejetteront, je serai avec vous. Je me suis battue tous les jours pour vous. Alors vous non plus, n'arrêtez jamais de vous battre. Je vous crois. Comme l'a écrit Anne Lamott (romancière américaine, nldr) : 'Les lumières des maisons ne courent pas à travers une île pour chercher les bateaux à sauver : elles sont juste là pour nous éclairer.' Bien que je ne puisse pas sauver tous les bateaux, j'espère qu'en m'exprimant ainsi aujourd'hui, vous emporterez une petite dose de lumière, la capacité à ne pas rester silencieuses, une petite satisfaction, que la justice a été faite, une petite assurance que nous sommes quelque part, et la grande conscience que vous êtes importantes, que vous dites la vérité, que vous êtes intouchables, que vous êtes belles, que vous avez de la valeur, que vous êtes respectées, indéniablement, à chaque minute de chaque jour, que vous êtes puissantes, et que personne ne peut vous prendre tout ça. A toutes les filles, partout, je suis avec vous. Merci"

Une pétition pour demander le renvoi du juge Aaron Persky qui a décidé de la peine contre Turner, a attiré plus d'un million de signatures. "Le juge Persky a échoué à voir que le fait que Brick Turner soit un homme blanc et une star du sport dans une fameuse université ne lui donne pas le droit à la clémence. Il a également échoué à envoyer ce message : les agressions sexuelles sont des crimes, indépendamment de la classe sociale, de la race, du genre et autres facteurs ", écrivent les pétitionnaires.
Un phénomène qui n'est pas sans rappeler la mobilisation en France après la condamnation de Jacqueline Sauvage, meurtrière d'un mari violent, dont le sort avait amené un demi million de personnes à demander sa grâce par voie de pétition.

L'affaire a également suscité des commentaires sur les privilèges des blancs aux Etats-Unis.

Une militante pour les droits civiques, Misee Harris, a notamment posté sur sa page Facebook une photo de Turner à côté de celle d'un ex-footballer afro-américain de l'université Vanderbilt, Cory Batey, qui risque de 15 à 20 ans de prison pour avoir participé au viol d'une femme ivre.
 


Le cas est remonté au sommet de l'Etat. Le vice-président démocrate Joe Biden a écrit une lettre à la victime, aujourd'hui âgée de 23 ans. Il s'est dit "en admiration devant son courage" et "rempli de fureur". Joe Biden dénonce ainsi des viols devenus légion sur les campus. "Vous êtes une guerrière, dotée d'une colonne vertébrale en acier massif, lui a-t-il écrit. (.../...) Je ne connais pas votre nom - mais je vois votre esprit indomptable.

Je vois le potentiel illimité d'une jeune femme incroyablement talentueuse - pleine de possibilités. Je vois les épaules sur lesquelles nos rêves pour l'avenir reposent.

Je vous vois.

Vous ne serez jamais définie par ce que le père de l'accusé a cyniquement désigné de « 20 minutes d'action".

Son fils le sera.

Je me joins au choeur mondial de vos supporters, parce que nous ne pouvons jamais dire suffisamment aux survivantes : je vous crois. Ce n'est pas de votre faute.

Ce que vous avez enduré n'est jamais, jamais, jamais, JAMAIS la faute d'une femme.
(.../...) Je ne vous connais pas, mais je ne vous oublierai jamais. Comme les millions de personnes touchées par votre histoire ne nous oublierons jamais. Et je crois que vous nous avez aidé à construire un monde meilleur. " a conclu le vice-président.

Une émotion qui dépasse les clans politiques et les frontières


Un sénateur républicain de 67 ans, ancien procureur, lui a emboîté le pas dans un discours virulent de 5 minutes. Ted Poe explique que dans ses fonctions passées, en particulier pendant plus de 30 ans à la Cour criminelle du Texas, il a auditionné de nombreuses victimes de viol et a constaté à quel point "ces crimes dévastent leur vie". Après leur avoir parlé, il en a conclu que "parfois, pour elles, le viol est pire que la mort". Une raison suffisante pour cet élu de démettre de ses fonctions le juge : "Ce juge se trompe. La cour et le père de l'accusé voulaient un laisser-passer pour le violeur parce que c'est un nageur de compétition. Le juge doit être relevé de ses fonctions. Et le violeur devra rester en prison pour cet acte ignoble qu'il a commis ce soir-là. (.../...)  J'espère que la cour d'appel annulera cette condamnation pathétique et lui infligera la punition qu'il mérite."
 

Les échos se sont fait entendre au delà des frontières. En Chine, des étudiantes ont envoyé des selfies en guise de soutien à leurs condisciples américaines...
 

Ne prenez même pas la peine d'appeler la police...

"De manière générale, les universités et établissements d'enseignement supérieur gèrent très mal les agressions sexuelles sur les campus, à la fois dans la prévention et la réponse", estime Michele Dauber, professeur de droit de Stanford, très active dans la campagne pour faire démettre le juge Persky.

Elle-même amie de la victime, elle estime que la peine de six mois de prison pour Brock Turner minimise le sérieux des faits.

"Nous avons ici la victime 'parfaite' qui a tout fait comme il se doit, aller à la police, porter plainte, se soumettre à un examen médical (...) elle avait même des témoins (...) et malgré ça elle n'a pas obtenu justice", poursuit Mme Dauber.

"Le message que ça envoie, c'est : 'ne prenez même pas la peine d'appeler la police', estime-t-elle.

Une Américaine sur six victime d'agression sexuelle

LAT rape
La Une du Los Angeles Times revenait le 11 juin 2016 sur les contradictions du jeune Brock Turner auteur de l'agression sexuelle sur une condisciple inconsciente...

D'après une enquête nationale, environ une femme sur six aux Etats-Unis est victime d'agression sexuelle. Une autre étude de l'université Brown (Rhode-Island), menée en 2015, avait constaté que plus d'une femme sur six était violée pendant sa première année universitaire, le plus souvent en état d'ébriété ou dans l'incapacité de se défendre.

Amy Ziering, productrice d'un autre documentaire célèbre sur les agressions sexuelles dans l'armée, The Invisible War (la guerre invisible), estime que le scandale de Stanford donne une visibilité "sans précédent" au problème.

"14 millions de personnes en cinq jours ont lu la lettre (de la victime) en ligne (...). Cela a généré un débat sur le privilège, le fait de se sentir autorisé à tout", détaille-t-elle.

A Stanford, certains ont aussi dénoncé l'attitude de l'université : la direction de l'établissement "n'a pas présenté d'excuses ou exprimé de compassion", note ainsi Mme Dauber.

Une autre pétition, inititée par deux étudiants, circule en ligne pour demander que la faculté publie les noms d'étudiants ayant commis des agressions sexuelles. Plusieurs manifestations étaient aussi prévues le dimanche 12 juin 2016 en marge des cérémonies de remise de diplômes de fin d'année.

La faculté avait écrit dans un communiqué avoir fait "tout en son pouvoir pour s'assurer que justice soit faite".

Quant à Turner, il a été placé en détention protégée par crainte pour sa sécurité, et interdit à vie de participer à des compétitions de natation. Un fait divers et ses suites judiciaires qui peuvent donner à penser que l'émotion l'emporterait sur la raison, comme dans le cas français de Jacqueline Sauvage... Et qui repose cette question : la justice populaire doit-elle remplacer celle des tribunaux ?