Virginia Raggi, première femme élue maire de Rome, une ville fondée par une louve

Virginia Raggi, première femme élue maire de Rome, est une avocate de 37 ans, nouvelle figure montante du Mouvement 5 étoiles (M5S), ambitieuse formation populiste et anti-partis.
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Virginia Raggi, élue maire de Rome, candidate du mouvement 5 étoiles, glisse son bulletin de vote dans l''urne, le 19 juin 2016
AP Photo/Fabio Frustaci
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Dans la liste des cinq difficultés que la jeune nouvelle maire de Rome aura à affronter, le Guardian britannique a placé : "être une femme dans la politique italienne". Le quotidien rappelle ainsi le refus net de Silvio Berlusconi d'investir Giorgia Meloni, une femme, pour ces élections en vue de prendre la "ville éternelle", parce qu'enceinte, "elle était inapte à cette fonction". "La maternité et la politique ne sont pas compatibles", avait-il affirmé haut et fort, disant tout haut ce que nombre d'électeurs italiens pensent certainement tout bas...

Et donc, Virginia Raggi qui est mère, célibataire, a mis un soin particulier à ne pas se prévaloir de son sexe lors des municipales partielles de juin 2016, qui l'ont amenée au pouvoir sur une capitale qui est un livre d'histoire à ciel ouvert, toujours dominée par des hommes - pape, président, premier ministre. Une révolution donc dans un pays qui, même s'il compte des figures de femmes politiques fortes, telles Emma Bonino (à l'origine du droit à l'avortement en Italie), reste en retard en Europe, dans la place et la visibilité des femmes en politique (au 42ème rang sur 193, loin devant la France 60ème, cependant). 

De la louve et de Rome : Selon la mythologie, les jumeaux nouveaux nés Romulus et Rémus fils de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars, furent abandonnés dans un panier sur le fleuve, et furent découverts à l'entrée de la grotte du Lupercale, au pied du Palatin, par une louve qui les allaita. Et ainsi sauva les futurs fondateurs de Rome. Pas de louve, pas de Rome… selon les récits, pas forcément selon l'Histoire. Une internaute suggère que la louve était, à l'époque, l'allégorie pour désigner une prostituée.
 

Louve rome Raggi
Le clin d'oeil de Dilem sur la Louve, Rome et l'éclection d'une femme à sa tête, pour TV5MONDE

Exaspérée par la dégradation de la capitale


Totalement inconnue du grand public il y a encore quelques mois, y compris à Rome, cette élégante femme brune s'est pourtant imposée triomphalement dimanche 19 juin 2016. Née à Rome, elle est entrée en politique il y a seulement cinq ans, séduite par le discours radical et populiste (voir encadré) du M5S, qui s'est juré d'en finir, comme tant d'autres en Europe, avec la classe politique traditionnelle.

Et celle-ci est particulièrement discréditée à Rome, où l'ancien maire de centre-gauche a été poussé avec fracas à la démission fin 2015 après une affaire de fausses notes de frais.

C'est la naissance de son fils Matteo qui l'a convaincue qu'elle ne pouvait rester sans rien faire face à l'état de dégradation de la capitale, qui exaspère les près de trois millions de Romains, a-t-elle raconté dans un entretien avec l'AFP.

Eloquente et opiniâtre


Elue au conseil municipal en 2013, cette spécialiste de la propriété intellectuelle se fait vite remarquer pour son éloquence et son opiniâtreté.

De sa jeunesse dans le quartier de Saint-Jean de Latran, Virginia Raggi raconte qu'elle était surtout studieuse. "J'étais une jeune fille curieuse, intéressée par beaucoup de choses, mais toujours très concentrée sur ses objectifs, comme je le suis du reste aujourd'hui. En fait, la détermination ne m'a jamais manqué", explique-t-elle sur son site internet.

Elle dit aussi aimer la montagne, skier, nager et faire de la plongée sous-marine. Un accident l'a poussée à laisser sa moto au garage et c'est à vélo qu'elle se déplace maintenant, dans une ville où elle veut voir beaucoup plus de pistes cyclables.

En vue des élections municipales, elle remporte en début d'année les primaires, organisées sur internet conformément à la philosophie du M5S, et peu à peu les Romains découvrent le visage de cette brune aux yeux noirs, sur les affiches dans les couloirs du métro ou sur les bus. D'autant plus qu'ils ont le temps pour cela, face à des transports publics qu'ils jugent obsolètes et surtout rarement à l'heure.

C'est sur cette exaspération, après 20 ans d'immobilisme, de corruption et d'incurie administrative, que Virginia Raggi a construit son succès. Elle devra désormais faire la preuve de sa compétence dans une ville en plein désarroi, criblée de dettes et réputée ingérable.

Ce soir, les citoyens de Rome ont gagné
Virginia Raggi, le 19 juin 2016

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Figure montante du mouvement cinq étoiles

5 étoiles : un mouvement populiste, anti-patriarcal, écolo et xénophobe

Les cinq étoiles de ce mouvement fourre-tout symbolisent : l'eau publique, les transports « durables », le développement, la connectivité et l'environnement. Le mouvement, lancé par le comique Beppe Grillo, s'est construit en s'appuyant sur la force des réseaux sociaux. Il est affilié à l'alliance européenne Europe de la liberté et de la démocratie directe (donc pas à celui fondé par le Front national), et a noué des liens au Royaume-Uni avec le UKIP xénophobe et pro Brexit de Nigel Farage. Sa direction n'aime pas la dissidence et procède parfois à des remises au pas musclée au sein de ses adhérents… Le Mouvement 5 étoiles tient un discours anti-immigration, refusant par exemple le droit du sol pour les enfants d'immigrés et réclamant régulièrement un durcissement de politique envers l'immigration légale et clandestine. Mais ils sont les défenseurs des droits des homosexuels, de la gratuité des soins, de l'instauration d'un revenu universel, de la fin du cumul des mandats électifs, de la démocratie directe par la voie de la cyberdémocratie et s'affirment d'inspiration "anti-patriarcale".

Ce défi s'annonce de taille, y compris pour le M5S, un mouvement créé en 2009 qui joue aussi à Rome sa crédibilité alors qu'il ambitionne de gouverner un jour tout le pays. Maire de Rome, elle devient de fait la nouvelle figure montante de ce mouvement avec lequel son créateur, l'humoriste Beppe Grillo, a décidé de prendre quelque distance.

La froideur souvent affichée par cette juriste, diplômée de l'université de Rome, lors de la campagne électorale ne l'a pas desservie auprès des Romains. Lors d'un débat télévisé entre les cinq principaux candidats à Rome, Virginia Raggi, le regard noir et le visage dur, avait subi sans sourciller les attaques de ses adversaires, avant de se radoucir et de lancer: "Si vous voulez que rien ne change, votez pour eux".

Elle devra aussi convaincre de sa réelle autonomie face à un mouvement souvent accusé d'opacité et où le staff de Beppe Grillo a des pouvoirs étendus. Comme tous les candidats du M5S, elle a signé un code de bonne conduite qui l'oblige à demander l'autorisation à ce staff à chaque nomination de ses collaborateurs et à le consulter pour chaque acte administratif important. "Mieux vaut avoir quatre ou six yeux que deux pour mieux contrôler (...) mais je serai pleinement autonome", a-t-elle néanmoins assuré pendant la campagne.

Sur son compte twitter, elle a juste convié ses partisans sur la Via Avogrado, en guise d'annonce de victoire...
 

Virginia Raggi entre dans le club encore trop fermé des femmes ayant conquis les grandes villes du monde : Anne Hidalgo à Paris, Ana Botella à Madrid et Ada Colau à Barcelone (Espagne), Patricia de Lille au Cap (Afrique du Sud), Fumiko Hayashi à Yokohama (Japon), Celia Wade-Brown à Wellington (Nouvelle-Zélande), Yacinthe Wodobodé à Bangui (Centrafrique) ou Carolina Tohá à Santiago (Chili).

Et à Turin, Chiara Appendino, une jeune économiste, mère de famille, 5 étoiles aussi

Corriere della Sera
A la Une du Corriere della Sera du lundi 20 juin 2016, trois nouveaux visages de la vie politique municipale italienne, dont ceux de deux femmes, à Rome et à Turin : Virginia Raggi et Chiara Appendino, toutes deux ayant contribué au "triomphe du mouvement populiste 5 étoiles"

Mais elle n'est pas la seule femme à avoir triomphé lors de ces élections municipales partielles italiennes :  Chiara Appendino, autre candidate du "Mouvement 5 étoiles" a été élue à Turin, l'une des capitales économiques de la péninsule. A 31 ans a été élu grâce aux partis d'opposition aux sociaux démocrates de Matteo Renzi, très à droite et décidés à faire barrage au candidat du gouvernement. Diplômée en économie internationale et management de la prestigieuse université milanaise Bocconi, elle parle anglais, français et allemand, et raconte sur son site internet qu'elle aime « lire, voyager, la montagne davantage que la mer, et jouer au football », nous apprend la Tribune de Genève. Une passion qu'elle a pu assouvir à la Juventus Turin, champion d'Italie en titre, où elle a effectué son stage de fin d'étude et écrit une thèse sur « La gestion des coûts d'une équipe de football: l'évaluation de la valeur des joueurs ». Un atout certain dans une ville soudée autour de son équipe de foot… 

Elle était déjà conseillère municipale, depuis 2011, vice-présidente de la commission du budget de la municipalité. Mariée, Chiara Appendino a une fille âgée de six mois.
Des jeunes mères de famille à la tête de deux des plus grandes villes italiennes, de quoi encore fâcher Silvio Berlusconi...