Fil d'Ariane
Depuis la signature de l'accord de paix avec le gouvernement colombien, en septembre 2016, les anciens rebelles des FARC continuent à vivre dans la jungle, confinés dans des camps. Là, guerriers et guerrières ont commencé une nouvelle vie. Pendant plus de cinquante ans de guerre, les fractions armées ont interdit à leurs combattantes d’avoir des enfants. Celles qui tombaient enceintes devaient soit avorter, soit abandonner le bébé à une famille d’accueil.
« Dans le meilleur des cas, elles confiaient l’enfant à leur mère ou à leur grand-mère. Mais pendant toute la durée de leur grossesse, elles continuaient à cheminer dans les montagnes dix heures par jour, en portant de gros sacs », expliquait en 2017 la pétillante reportère Catalina Martin-Chico, alors lauréate du prix Canon de la femme photojournaliste pour ce même reportage.
La photojournaliste Catalina Martin-Chico suit les hommes et femmes, anciens #FARC. Depuis les accords de paix, ces femmes ont choisi de donner la vie. La #Colombie parle désormais de baby-boom dans la jungle. @Visapourlimage @AuberiEdler @alexackoun #naître #renaître pic.twitter.com/8PvSxTyZ6N
— Anne Latour (@AM_Latour) 7 septembre 2018
L'accord historique avec le gouvernement autorise enfin les rebelles à devenir mères, scellant une étape sans retour vers la paix. Car avec un enfant dans les bras comment reprendre les armes ? Coïncidence du calendrier : la naissance des bébés et la remise des armes par les fractions rebelles à l'ONU ont eu lieu en même temps, à l'été 2017. C'est à ces nouvelles familles que la photographe franco-espagnole consacre l'exposition (Re)naître, à découvrir jusqu'au 16 septembre dans le cadre du festival
► Visa pour l'Image, à Perpignan
Et sur les femmes face à la guerre civile en Colombie, à retrouver dans Terriennes :
> Mère, députée, veuve, déplacée : visages féminins de la guerre et de la paix entre Etat et Farc en Colombie
> Bianca Nieves Meneses, victime des paramilitaires en Colombie
> En marge de l'accord de paix entre les FARC et la Colombie, la psychologue Elsa Castañeda soigne les enfants de la guerre
Voici trente ans que "Visa pour l'Image", tout au sud de la France, offre une fenêtre ouverte sur les drames humains qui se jouent dans le monde : guerres, famines, cataclysmes... Considéré comme le premier festival de photojournalisme au monde, pour la cinquième fois en trene ans, il vient, ce 8 septembre, de récompenser du Visa d'Or News la Française Véronique de Viguerie pour son photoreportage au Yémen. Elle rejoint ainsi le club très fermé des lauréates de ce prix prestigieux : Nadia Benchallal (France, 1994), Carol Guzy (Etats-Unis, 1995), Yunghi Kim (Corée du Sud, 1997) et Alexandra Boulat (France, 1998). "Il était temps, et je suis encore plus fière," a-t-elle déclaré.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par veronique de viguerie (@veroniquedeviguerie) le 8 Mars 2018 à 3 :18 PST
Interrogée par TV5MONDE juste après avoir appris sa récompense, Véronique de Viguerie ne cachait pas sa fierté, que l'on parle à cette occasion de la guerre oubliée du Yémen.
Première femme en vingt ans à remporter le #Visa d'or News : @vero2v raconte la guerre oubliée au #Yémen #photojournalisme #Perpignan @Visapourlimage pic.twitter.com/hcpusa27SY
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) 9 septembre 2018
Catalina Martin-Chico, elle, ne croit pas à un regard propre au genre féminin : "Ce qu'on appelle la sensibilité féminine, un homme peut l'avoir aussi", assure-t-elle."
La sensibilité n'est pas le domaine des femmes par excellence. Le courage n'est pas le domaine des hommes par excellence.
Catalina Martin-Chico, photographe/reportère
Elle souligne néanmoins les avantages qu'il y a, parfois, à être femme pour travailler : "Je n'ai pas eu de problèmes en tant que femme, mais toujours des avantages. Notamment parce que je peux raconter des histoires de femmes dans des pays conservateurs, traditionnels, au Moyen-Orient, par exemple". En Colombie, pour son reportage sur la maternité des anciennes combattantes des FARC, elle a pu, en tant que femme, "apporter ce petit plus de pouvoir dormir dans leur lit, être dans leur chambre, pouvoir discuter des détails de l'avortement dans la jungle. Des choses qu'elles auraient racontées différemment ou pas racontées du tout à un homme", souligne-t-elle.
Son reportage au Yémen, Véronique de Viguerie, elle, l'a réalisé en abaya, portée telle une cape d'invisibilité permettant de travailler sans être inquiétée : "Bien évidemment, on a pas besoin d'être un homme pour faire ce métier. Mais être une femme peut aussi être pratique, dans certains pays comme le Yémen ou l'Afghanistan, car on on peut se cacher sous une abaya ou une burqa, on a accès aux femmes et personne ne vous adresse la parole." Et d'ajouter : "On est la première génération à revendiquer le droit d'être (photo)reporter mais aussi d'être une femme. Moi je suis maman de deux petites filles".
On est la première génération à revendiquer le droit d'être (photo)reporter, mais aussi d'être une femme.
Véronique de Viguerie, photographe/reportère
Véronique de Viguerie est la première femme depuis 20 ans à décrocher le prestigieux prix décerné par "Visa pour l'Image" et seulement la cinquième depuis la première édition du festival, en 1989.
A la question de la sous-représentation des femmes, le directeur et cofondateur Jean-François Leroy répond sans mâcher ses mots : "Je reçois 4 500 propositions par an, je regarde les photos et si elles me plaisent, je les retiens. Je ne regarde jamais si c'est un mec, une femme, un black, un blanc, un asiatique... L'an dernier, on a reçu 22 % de dossiers féminins. La proportion (des photographes femmes exposées) est à la hauteur de ce que je reçois".
N'empêche, cette édition 2018 qui décerne sa plus haute récompense à une femme est saluée par la ministre de la Culture française Françoise Nyssen qui ne se prive pas de rappeler la rareté d'un tel choix...
Dans le photojournalisme comme dans trop d'autres métiers, les femmes sont moins nombreuses, moins visibles, moins récompensées. Le Visa d'Or News décerné à Véronique de Viguerie salue son talent et honore, enfin, les femmes. Merci @vero2v de nous informer sur la guerre au Yémen.
— Francoise Nyssen (@FrancoiseNyssen) 9 septembre 2018
Reste que dans certains pays, le photojournalisme au féminin reste très difficile à vivre au quotidien. Au Pakistan, par exemple, elles sont très rares à exercer un métier dominé par les hommes dans une société très conservatrice. Comme Sara Farid, qui a dû quitter son pays avec son mari journaliste. Elle-même a été journaliste pendant 15 ans, dont 7 comme photographe : "C'est possible mais tu dois toujours te battre, te battre contre ta famille, contre la société..."