Fil d'Ariane
Tiffany Mazars, 30 ans, mère de deux enfants, est devenue entrepreneuse, souffrant d'un handicap invisible, la fibromyalgie. Ici lors de notre rencontre dans les bureaux de Terriennes à TV5monde, à Paris, le 14 mai 2024.
Tiffany Mazars est atteinte de fibromyalgie, cette maladie qui fait tant souffrir et qui ne se voit pas. La jeune femme lourdement handicapée va trouver le moyen de quitter son fauteuil roulant jusqu'à gravir le Piton de la Fournaise. Un pari gagné à force de tenacité, qu'elle partage aujourd'hui dans le monde entier.
"Chaque jour, c'est la loterie ! Je me lève, sans savoir comment va se dérouler la journée que j'ai prévue. Il y a une intention qui est celle de me dépasser, de me dire 'allez je vais faire ça, ça et ça'... J'essaye à chaque fois d'aller un peu plus loin dans mes retranchements, de me dépasser, pour me prouver que je suis capable aussi de faire des choses, de tenir et de jouer avec l'énergie de mon corps. Mais des fois, ça me rattrape", raconte Tiffany Mazars.
Arrivée au stade grave de la maladie en 2021, elle ne pouvait pas faire plus de 500 mètres sans fauteuil roulant. Après un burnout, elle décide de voir sa kinésithérapeute deux fois par semaine.
A un moment donné, quand on est en fauteuil, on se limite. On n'ose pas rêver à ce genre de choses. Tiffany Mazars
Se dépasser, Tiffany Mazars y parviendra, jusqu'au sommet du Piton de la Fournaise, à l'Île de la Réunion. Un coup de folie, décidé avec son nouveau compagnon, alors qu'ils projetaient leurs premières vacances ensemble. Grâce à l'accompagnement de sa kinésithérapeute, elle va tout faire pour mobiliser corps et esprit. "A un moment donné, quand on est en fauteuil, on se limite. On n'ose pas rêver à ce genre de choses. Je suis allée voir ma kiné, que je vois deux fois par semaine depuis des années, et là on s'est mise en mode activité physique adaptée. C'est un accompagnement sportif adapté par rapport aux douleurs. Aujourd'hui, je le prône tellement, car c'est grâce à cet accompagnement que j'ai pu, trois mois plus tard, gravir le Piton de la Fournaise". Malgré des troubles cardiorespiratoires, une faiblesse musculaire, une fatigue chronique importante, elle atteint son objectif : 6 heures de randonnée pour l’ascension et le retour.
Il y aura un avant après cette aventure : Tiffany Mazars a quitté son fauteuil et, depuis, elle parcourt le monde entier en délivrant un message d’optimisme, positif et d’espoir.
Pour Tiffany Mazars, tout commence lorsqu'elle a quinze ans. Les médecins qu'elle consulte alors mettent ses douleurs sur le compte du stress, des études : "On me dit de faire de la kiné et des massages, a priori pour me détendre car, selon eux, je suis stressée". Un discours qu'on va lui répéter pendant sept ans.
Le diagnostic n'arrivera qu'à ses vingt-deux ans. Un matin, elle n'arrive tout simplement pas à se lever. Débute alors ce qu'on appelle un diagnostic par élimination, elle se voit contrainte d'enchainer une batterie d'examens médicaux. Mais "tout allait bien ! Ce qui était un peu perturbant, car je voulais des réponses et savoir ce qui provoquait ces douleurs et ce malaise au quotidien". Un rhumatologue finit par conclure et reconnaitre qu'il s'agit du syndrôme fibromyalgique.
"La fibromyalgie n'est pas une maladie, il s'agit d'un syndrôme, la différence, c'est que la maladie a des biomarqueurs, et que le syndrôme n'en a pas", précise-t-elle.
Il n'y a pas d'examen qui prouve qu'on a la fibromyalgie et bien souvent le corps médical nous dit que c'est psychosomatique ! Tiffany Mazars
Bien que reconnue par l’Organisation mondiale de la santé depuis 1992, la fibromyalgie ne fait, en revanche, l’objet d’aucune prise en charge de la part de la sécurité sociale. En cause, l’absence d’études en France sur la recherche de biomarqueurs : c'est ce qui empêche la protection sociale de considérer le "syndrome fibromyalgique" comme une pathologie, et de déclencher la recherche de traitements adaptés. Une situation qui amplifie la solitude des patients, de par le manque de reconnaissance du corps médical.
"Ce qui laisse beaucoup de personnes en errance médicale, c'est qu'il n'y a pas d'examen qui prouve qu'on a la fibromyalgie et bien souvent le corps médical nous dit que c'est psychosomatique. Cela nous emporte dans l'isolement social et l'incompréhension de soi, et rend difficile de faire comprendre à l'autre ce qu'on endure", ajoute-t-elle.
Le Canada, l’Angleterre et l’Allemagne se sont emparés du sujet au travers d’études médicales. Ces pays ont identifié un marqueur auto-immune. De quoi susciter de l'espoir, faudrait-il encore que le monde médical et la recherche s'empare de cet handicap invisible.
"C'est une maladie de femme ! C'est dans la tête !" Encore aujourd'hui, ces paroles résonnent trop souvent aux oreilles des malades atteints de ce syndrôme.
Et bien oui, on a mal ! Est-ce qu'il faut attendre cette expérimentation de l'homme pour avaliser et légitimiter de la douleur féminine, ou est-ce qu'on peut nous croire ? Tiffany Mazars
"Aujourd'hui en France, sur 2 à 3 millions de personnes souffrant de fibromyalgie, 80% sont des femmes, rappelle la jeune femme. La parole des femmes, leur notion de la douleur sont des sujets qui ne concernent pas seulement la fibromyalgie, mais les femmes de manière générale, ne serait-ce qu'avec la menstruation. Des journalistes -hommes - vont même jusqu'à tester ce que font les douleurs menstruelles pour se rendre compte de ce que c'est. Et bien oui, on a mal ! Est-ce qu'il faut attendre cette expérimentation de l'homme pour avaliser et légitimer la douleur féminine, ou est-ce qu'on peut nous croire ? Parce que je n'ai pas l'impression que c'est notre souhait à toutes d'avoir mal, on a envie de vivre pleinement notre vie".
Être entendue, être crue : cela revient à un parcours de combattante face au personnel médical. "On me propose de prendre des antidépresseurs, parce qu'il me faut ça pour me détendre", explique Tiffany Mazars, qui regrette que trop souvent les médecins aient recours à ce type de médication pour soigner les personnes atteintes de fibromyalgie, estimant que c'est à cause du stress qu'elles souffrent. "C'est l'inverse, c'est parce qu'on a tellement de douleurs dans notre quotidien, qu'au bout d'un moment, ça nous pète au casque !", relève-t-elle en souriant.
"Avoir mal quand on est une femme, c’est normal" : le sexisme derrière la fibromyalgie
"Ça ne se soigne pas" : admettre que cette maladie n'a pas de traitement, c'est très dur, et cela demande tout un travail d'acceptation, nous confie la jeune femme. Les antalgiques, les anti-inflammatoires, "c'est une béquille bien sûr, reconnait-elle, certaines personnes ont même recours à la morphine ou sont sous kétamine".
Le mouvement ! Alors que lorsqu'on pourrait se dire, quand on a des douleurs chroniques, 'il faut que je me repose, j'ai mal partout'. Tiffany Mazars
D'autres voies sont néammoins possibles, et une en priorité : "l'activité physique adaptée". "Le mouvement ! Alors qu'on pourrait se dire, quand on a des douleurs chroniques, 'il faut que je me repose, j'ai mal partout'. J'ai été dans ce cas-là, donc je sais de quoi je parle", explique-t-elle. L'activité du corps va secréter des endorphines, qui sont des anti-inflammatoires naturels, de la vitamine D, avec le soleil, qui secrète de la sérotonine, l'hormone du bonheur, qui va permettre d'améliorer le mental, ainsi que la qualité du sommeil. "On a des douleurs, on se réveille tout le temps, on n'a jamais de sommeil récupérateur, voilà pourquoi il faut bouger".
C'est ce que confirment les données santé : le mouvement permet de contribuer naturellement à réduire les douleurs et à augmenter l’estime de soi, la confiance en soi, souvent entravée par ce parcours d’errance médicale.
"Il faut être proactif de sa santé, car on ne peut pas attendre du ministère de la Santé ou du corps médical d'agir, mais c'est très compliqué d'être soi-même acteur. On doit s'exprimer auprès des médecins, qui ne sont pas toujours dans la compréhension, mais aussi auprès de son entourage, qui va émettre des doutes sur la légitimité du mal, parce que ça ne se voit pas, et nous dire : 'Pourquoi il y a deux jours tu dansais et aujourd'hui tu es clouée au canapé ?'", raconte Tiffany Mazars.
Et puis une autre question s'impose aux personnes malades : comment avoir un travail "comme tout le monde" ? Tiffany Mazars, elle, a fait le choix de la transparence et de ne pas passer sous silence sa maladie. "J'ai décidé d'en parler et d'obtenir une RQTH, une reconnaissance qualité travailleur handicapé." Une franchise qui va lui coûter cher. "Quand j'ai dit à mon patron que j'avais une RQTH, qu'il n'y avait aucun frais, car cela est pris en charge par un organisme spécialisé, mais que j'avais besoin d'avoir un bureau et d'aménager mes horaires pour mes séances de kiné", ce dernier lui a répondu : "Désolé, je n'ai pas envie".
En plein Covid, Tiffany Mazars va créer le buzz en publiant sur les réseaux sociaux une petite annonce vidéo. Selon elle, le problème devrait être pris en compte par les ressources humaines, pour que les employeurs comprennent l'intérêt qu'il y a à embaucher des personnes sous RQTH, en termes de performance pour l'employé et pour l'entreprise, "ça ne devrait même plus être un sujet !"
Maman de deux enfants, la trentenaire est aujourd'hui devenue entrepreneuse. Elle tient des conférences sur TedX. Cofondatrice d’une association pour soulager les douleurs chroniques par l'activité physique, elle est aussi en train de créer un mouvement pour l’acceptation du handicap invisible et des singularités.
Alors après le Piton, un autre rêve ? "Continuer à communiquer et transmettre ce message d'amour au plus grand nombre ! Un livre, et puis aussi le Kilimandjaro !"
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