Voilées ou nues, changer le regard sur les femmes, via les réseaux sociaux

De plus en plus, les droits des femmes se plaident sur les réseaux sociaux, avec un # qui fuse comme un feu d'artifice visible du monde entier. Voici les deux derniers arrivés : #StripForJackie, depuis le Liban, et #mipsterz en provenance des Etats-Unis. Le premier mot clé veut contrer les anathèmes qui se sont abattus contre Jackie Chamoun, après le dévoilement de photos et une vidéo (supprimée depuis) où l'on voit dévêtue la skieuse libanaise, présente aux jeux olympiques de Sotchi. Le deuxième a été lancé par des jeunes américaines musulmanes, coiffées du foulard, décontractées et modernes, fières de leur hijab. Dans un cas comme dans l'autre, elles proclament leur choix de se montrer comme bon leur semble.
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Voilées ou nues, changer le regard sur les femmes, via les réseaux sociaux
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En Europe, à la faveur de la loi annoncée contre l'avortement en Espagne, est apparu #IVGmoncorpsmondroit pour défendre l'IVG. A l'hiver 2013, du Proche Orient au Maghreb, la bassin méditerranéen a été balayé du #GlobalProtestFeb12 pour soutenir les femmes des révolutions arabes, en particulier contre le harcèlement sexuel. Au mois d'août dernier, la toile suédoise s'est mise à vibrer autour de #Hijabuppropet, pour dénoncer les agressions à répétition contre les femmes voilées.

Jackie Chamoun se serait bien passée de toute cette publicité, comme elle s'en est expliquée, depuis Sotchi : "Ces photos et cette vidéo, prises dans les coulisses de ce tournage vieux de trois ans, n'auraient jamais dues être publiées". Après une première campagne via Twitter et Facebook autour de #StripForJackie, des photos de personnes plus ou moins dévêtues (mais jamais indécentes) , les géants des réseaux sociaux, qui a pris comme un feu de paille, des jeunes Libanais ont décidé d'aller plus loin.

Voilées ou nues, changer le regard sur les femmes, via les réseaux sociaux
Une séance de “shooting“ avec l'équipe de I am not naked - © Melinda Trochu
Quatre jeunes Libanais ont lancé le mouvement de "I am not naked" (je ne suis pas nu). Dans son studio photo de Beyrouth, Tarek Moukaddem accueille avec ses trois amis ceux qui veulent « se déshabiller pour Jackie et pour le changement ».  « Notre pays est géré par une minorité d’extrémistes et personne ne nous écoute. On veut que la jeunesse soit écoutée. On existe ! » lance-t-il. « Et puis si les gens se bougent aujourd’hui jusqu’à notre studio, peut-être que demain ils le feront pour manifester. »

Michel et Paul, tous deux âgés de 22 ans, sont venus participer avec leur bande de copains. « A force d’essayer de changer les choses, on va finir par y arriver, il ne faut pas abandonner » assure Michel. Paul, lui, aimerait que les mœurs se libèrent. « Il faut aussi qu’on change notre système politique. Les Libanais ne sont pas libres. Et les femmes ? Socialement, oui, elles le sont. Mais en fait, elles ne sont protégées par aucune loi… »

Cynthia-Maria Aramouni, la seule fille de l’équipe, avoue qu’ils ont pris des mesures de précaution autour du studio au cas où des extrémistes viendraient s’en prendre à eux. Elle explique : « On a fait ce mouvement car le scandale autour de Jackie est ridicule. Ce qui est vraiment ridicule c’est qu’une femme puisse se faire battre à mort et que son mari puisse être libre. N’importe qui peut me tuer et s’en sortir. Il faut changer les choses. » La jeune femme fait référence à deux dernières affaires de femmes battues (Manal et Roula) qui ont choqué bon nombre de Libanais mais sans ébranler la classe politique amorphe.

Demander aux Libanais de se mettre nu c’est surtout l’occasion d’attraper l’attention des Libanais et des médias. Et ça marche : des milliers de likes en quelques jours.

Des séances photos sont prévues à Londres, New York, Sao Paulo, Montréal… Avec l’espoir qu’enfin la classe politique libanaise s’occupe des vrais problèmes et pas des seins de Jackie Chamoun.

Voici quelques clichés de “I am not naked“



Quelques semaines avant ce tolu bohu virtuel, un autre buzz avait enflammé les clics de clavier. Les #mipsterz avaient posté une vidéo sur youtube, déclenchant une avalanche de réactions, critiques ou apologétiques, sur Internet. Mais que veulent ces jeunes filles qui slaloment en talons hauts et hijabs colorés sur des planches à roulettes, au rythme d'un rap endiablé "Somewhere in América" (quelque part en Amérique) ?


Comme l'a expliqué l'une d'entre elles, la canadienne Aminah Sheikh, dans une tribune publiée par un site de réflexion sur "la vie musulmane"

"Je suis allée à New York, l'année dernière en mai (2013) pour participer au tournage de la vidéo #Mipsterz. J'avais envoyé des photos et j'ai été invitée à rejoindre le projet. Le tournage a été long, fatigant, mais très amusant. Toutes les femmes de la vidéo se racontaient leur propre « histoire de hijab. Pour une fois, je me sentais dans mon élément - en harmonie et jolie. Je ne pensais pas que j'avais été sélectionnée pour être une sorte de modèle. Je me sentais spéciale et heureuse. Au cours des trois dernières années, j'ai vraiment du me battre pour garder mon hijab. Je le porte depuis environ 10 ans, c'est un choix que j'ai fait quand j'ai obtenu mon diplôme d'études secondaires. Il y  a eu alors des répercussions à la fois positives et négatives. Pour moi, le port du hijab est un geste de contre-culture, contre la politique réactionnaire, entrelacé avec mon développement spirituel. Le Hijab, c'est mon choix. Je viens d'une famille où personne n'a vraiment observé ce précepte de se couvrir la tête. Le Hijab m'a donné un sens, et a servi de frein au harcèlement des hommes. En hijab, les non-musulmans comme les musulmans me traitaient avec grand respect. (.../...) Mais au fil du temps, je me suis mise parfois à éprouver des sentiments contradictoires pour mon hijab. Parfois je l'aimais, parfois je le détestais, et je n'arrivais plus à l'enlever même devant les autres femmes, parce que je me trouvais moins bien qu'elles. La possibilité de tourner la vidéo #mipsterz a été un empêchement à la marginalisation qui me guettait… "

Cette mise au point, Aminah l'a écrite pour faire face au flot de critiques qui se sont déversées contre les "actrices" du clip. Le terme Mipsterz a été crée par contraction des mots "muslim" et "hipster" (un concept qui remonte aux années 40, au temps du jazz, une attitude "cool" dans la vie et anticonformiste), c'est à dire des hipsters musulmans.



Les coups sont venus de conservateurs musulmans ou de voix anti- consuméristes. Sana Saeed, rédactrice en chef du site Islamic Monthly pense que ce geste ne fait finalement pas grand chose pour lutter contre les stéréotypes, et dénonce le fait que ce soit des hommes qui l’ont produite, créée et réalisée : "Eh les gars musulmans: nous n’avons pas besoin que vous nous aidiez à être des objets au nom de la lutte contre les stéréotypes. Merci"

Nul doute que la discussion rebondira ailleurs, au rythme d'un nouvel effet papillon...
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Ce à quoi Atif Waseem Khan a répondu via Twitter : "Je viens juste de regarder la ?# Mipsterz ? vidéo "Quelque part en Amérique" et je ne suis pas surpris par le nombre de critiques qu'elle a reçues. Certes, peut-être le choix de chanson n'était pas le meilleur, mais avant de critiquer, demandez-vous ceci : si la vidéo avait montré un groupe de jeunes hommes musulmans barbus, se déhanchant en jeans sur des planches à roulettes, votre opinion serait-elle différente ? Il me semble que cette vidéo en dit beaucoup plus sur les gens qui regardent que sur ceux qui l'ont réalisée… Mais en tout cas, elle a déclenché une conversation nécessaire dans la communauté musulmane ... parce que quelque part dans l'Amérique des gens se demandent pourquoi les musulmans ne parlent pas de l'oppression, de viol ou de la violence conjugale avec autant de passion". 
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Hanane Karimi, porte-parole du collectif Les femmes dans la mosquée et Hajer Naili, membre des Mipsterz, depuis New York, étaient invitées dans le 64', l'une sur le plateau de TV5MONDE, l'autre via skype depuis New York. Toutes deux revendiquent un islam pluriel au féminin, où le foulard peut même devenir un accessoire de mode, comme à Téhéran, capitale de la République islamique d'Iran.