Fil d'Ariane
Le Réseau de solidarité est né de plusieurs rencontres, de femmes libanaises et rwandaises, d’abord, puis d’un peu partout dans le monde : Timor, Tchétchénie, Belgique, Maroc, Soudan, Chili, Mexique, Sahara occidental, Kurdistan, Turquie, Ex-Yougoslavie, Algérie… Mais aussi des femmes iraniennes, ouïgoures, afghanes, palestiniennes ou burkinabè.
Il y a ici des femmes de cultures et de pays différents, mais les souffrances sont les mêmes.
Rujin, du Comité des mères de la paix du Kurdistan
Ce réseau inédit s’est développé à partir de la Belgique, au sein de "Voix de Femmes", un festival entièrement dédié aux artistes qui s’identifient femmes, entre 2000 et 2009. Lors d’une première "réunion intime", le 11 avril 2000, quinze d’entre elles échangent sur leur expérience. Est présente Rujin, du Comité des mères de la paix du Kurdistan : "Il y a ici des femmes de cultures et de pays différents, mais les souffrances sont les mêmes."
Conflits armés, trafic d’êtres humains, dictature… Les participantes livrent ce jour-là des témoignages de luttes quotidiennes pour enfin obtenir des réponses sur le sort subi par leurs proches disparus, depuis quelques mois pour certaines, des dizaines d’années pour d’autres. Durant cette première étape, elles attendent de la "consolation" et de "l’union".
A la fin de la première rencontre, une "déclaration de naissance d’un réseau mondial de solidarité des mères, épouses, sœurs, filles, proches de disparus" est rédigée. Elles écrivent : "Cet échange a renforcé cette détermination à lutter sans relâche pour la vérité, la justice, la mémoire, la paix, la liberté, contre l’oubli, contre le silence complice. Nous lutterons désormais ensemble, unies à travers le monde par le réseau […]. La disparition forcée, le meurtre, le génocide, la torture, la répression, la pauvreté organisée, le maintien dans l’ignorance, l’analphabétisation, sont les moyens utilisés par certains pouvoirs pour contraindre les peuples au silence et à la soumission. Leurs moyens sont la terreur et l’oppression. Les nôtres sont la puissance de la lutte et de la solidarité." Elles demandent la libération des "détenus-disparus", l’identification des responsables, la suppression des lois d’impunité ou encore la fin de la complicité des États dits démocratiques, "qui ferment les yeux sur des pratiques indignes et sanguinaires".
Durant une dizaine d’années, le Réseau continuera d’exister à travers des rencontres organisées par le festival Voix de Femmes avant de peu à peu s’essouffler. Alors, quand Flo Vandenbeghe et Emilie Rouchon, les codirectrices, ont travaillé sur la programmation du trentième anniversaire, il leur a paru essentiel de pouvoir raviver les mémoires de ces combats.
C’est sous la forme d’une résidence artistique appelée "Mémoires vives", qu’a été relancé le Réseau lors des trente ans du festival Voix de Femmes (14-30 octobre 2021). L’idée était de travailler sur les archives, notamment le recueil de témoignages (paru aux éditions D’une Certaine Gaieté) et les enregistrements des rencontres et concerts passés du festival. Quatre artistes belges ont été choisies pour mener cette résidence : Lisette Lombé, Maïa Chauvier, Lara Persain et Catherine Wilkin, accompagnées par la créatrice sonore Rokia Bamba. "Disparitions, résistances politiques et artistiques, justice sociale, assassinats politiques, racisme… Toutes ces questions sont encore présentes aujourd’hui", explique Maïa Chauvet. "Cette mémoire résonne, poursuit Catherine Wilkin. Mais comment la restituer sans se faire les porte-parole de ces femmes, dont certaines sont décédées ? Comment ne pas écraser les paroles en tant qu’artiste ?"
Ça fait du bien d’être dans un dispositif féministe qui permet de prendre le temps, qui nous autorise à ingurgiter la matière, à recommencer, se tromper.
Lisette Lombé
Le jeudi 28 octobre, au Manège Fonck à Liège, elles ont partagé le fruit de ce long processus créatif en cours au sein d’une "assemblée de femmes actives dans les luttes actuelles". "Nous avons privilégié la formule non ouverte au public pour protéger la parole", précise Lisette Lombé. Dans un lieu décoré de tapis, de fleurs et de bougies, il a été question de passé, mais surtout d’avenir, et de l’importance de protéger les voix qui s’élèvent pour faire entendre celles qu’on n’entend plus. "Ça fait du bien d’être dans un dispositif féministe qui permet de prendre le temps, qui nous autorise à ingurgiter la matière, à recommencer, se tromper", poursuit-elle.
La journée était organisée en quatre parties : d’abord nommer, dire les noms des personnes qui ont participé au réseau ; puis rappeler les actions menées, l’organisation. La troisième partie était dédiée au commun, et enfin la dernière se concentrait sur l’espoir et la façon de s’organiser, aujourd’hui et pour les générations futures. Des poèmes et des chants ont aussi pu été partagés.
Près de soixante personnes ont participé à , en non-mixité, à Mémoires vives, dont un groupe de femmes zapatistes ou une association liégeoise de femmes yézidies. D’autres étaient issues du projet initial, comme Béatrice Mukamulindwa qui, à partir du réseau, a fondé sa propre association "Cri du cœur d’une mère qui espère" en 2011, pour la recherche des enfants disparus au Rwanda durant le génocide.
Dans l’assistance, c’est l’écoute qui a primé, dans une ambiance chaleureuse et douce. "On a précisé que c’était une première étape, ajoute Lara Persain. L’important est de continuer à tisser des liens à travers ce réseau. Je retiens des moments bouleversants de témoignages. Beaucoup de femmes ont pris la parole et ce qui en est ressorti, c’est le commun, que ce soit autour de la disparition, de la lutte contre les violences policières, de la lutte tout court."
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