Fil d'Ariane
"J'ai dit que je voulais devenir astronaute. Mais personne ne voulait me prendre. Je ne pensais pas aller là-haut un jour", déclare Wally Funk dans une vidéo postée sur le compte Instagram de Jeff Bezos.
Car c'est bien à 82 ans que Marie Wallace Funk, connue sous le diminutif de "Wally Funk", a enfin réalisé un vieux rêve, celui de voler dans l'espace. Elle devient la personne la plus âgée à le faire, le 20 juillet, à bord d'un vol de la société Blue Origin. Elle est la quatrième passagère, et l'unique femme, de ce premier vol habité de la société de tourisme spatial, aux côtés du milliardaire Jeff Bezos, de son frère Mark Bezos, et du gagnant d'une mise aux enchères dont le nom n'a pas encore été révélé.
"Personne n'a attendu aussi longtemps", a commenté Jeff Bezos sur les réseaux sociaux. "Bienvenue dans l'équipage, Wally."
Née à Las Vegas, Marie prend sa première leçon de pilotage à l'âge de neuf ans. Diplômée de l’université d’État de l’Oklahoma, Wally Funk devient pilote d’avion et instructrice de vol, et commence à voler dès ses 20 ans. Elle fait partie des Flying Aggies et reçoit plusieurs trophées. Devenue la première femme inspectrice de l'agence américaine de l'aviation, la FAA, elle cumule à ce jour près de 19 600 heures de vol. En tant qu’instructrice de vol professionnelle, elle a accompagné plus de 700 étudiants et environ 2000 pilotes privés et commerciaux.
Son rêve d'espace débute en février 1961. Wally Funk se porte volontaire pour le programme "Femmes dans l'espace". Vingt-cinq femmes ont été invitées, 19 inscrites et 13 obtiennent leur diplôme, dont Wally, qui est la plus jeune à 21 ans. Ce programme privé appelé "Mercury 13" fait passer aux candidates les mêmes tests que les astronautes masculins sélectionnés dans le cadre du programme "Mercury 7" de la Nasa pour envoyer les premiers Américains dans l'espace. "A l'époque, je ne savais même pas ce que signifiait le mot 'astronaute'" racontait l'aviatrice en 1999 dans un article publié par le service historique de la Nasa. "Mais je savais que c'était pour moi. Je voulais me lancer dans l'exploration."
"Je n'avais aucune idée préconçue de ce qui allait se passer" explique-t-elle. Parmi les test, le fameux Gimbal Ring, un engin qui tourne comme un manège souvent jusqu'à la perte de connaissance. "Ils nous poussaient dans nos retranchements", "j'ai enduré beaucoup de douleurs", se rappelle-t-elle dans cette interview. Mais "cela me rapprochait de l'espace, et c'était là où je voulais aller." On lui injecte de l'eau dans les oreilles pour provoquer une sensation de vertige, on lui fait ingérer des tubes en caoutchouc, on l'enferme dans une cuve à l'isolation phonique parfaite, remplie d'une eau à l'exacte température de son corps afin qu'elle ne sente plus rien, dans le noir. "J'étais sur le dos, flottant dans cette eau, sans pouvoir utiliser mes cinq sens (...) je devais juste rester là allongée", se souvient-elle. Elle bat le record en y restant 10 heures et 35 minutes. "Ils m'ont dit que j'avais fait le travail mieux et plus vite que n'importe lequel des hommes, ajoute la pilote. Mais la Nasa ne m'a pas sélectionnée. J'ai bien cru que je n'irais jamais dans l'espace".
[Portrait]
— Agence France-Presse (@afpfr) July 4, 2021
Le rêve spatial de Wally Funk bientôt accompli, 60 ans aprèshttps://t.co/OEe6vRIXqO #AFP pic.twitter.com/YLw8Iz88WU
A cette époque, l'égalité des sexes n'est pas vraiment d'actualité et c'est du bout des lèvres que l'agence spatiale américaine, la NASA, soutient ce projet, initié par un médecin de l'armée de l'air du programme spatial, William Randolph Lovelace. Bien que le groupe de femmes ait réussi l’ensemble des tests, haut la main, le programme est finalement stoppé avant son achèvement prévu.
Car si l'URSS envoie la première femme dans l'espace, Valentina Terechkova, en 1963, il faudra attendre le début des années 1980 pour que les Américains rattrapent leur retard avec Sally Ride, chargée des communications avec la Terre. Et c'est seulement en 1995 qu'une femme prendra pour la première fois les commandes, en la personne d'Eileen Collins, première femme à piloter une navette spatiale. "Un chien l'a fait. Un singe l'a fait. L'homme l'a fait. La femme peut le faire. Nous avons dû attendre une trentaine d'années qu'Eileen le fasse, nous le montre", déplore Wally Funk.
Wally Funk n'abandonne jamais son rêve. Par quatre fois, elle postule à la Nasa, et essuie quatre refus, notamment car elle n'a pas de diplôme d'ingénieur et ni suivi un programme de vol sur un avion de chasse militaire, chose impossible pour une femme à cette époque.
En 1995, elle est trop âgée pour postuler en tant que pilote de navette spatiale. Qu'à cela ne tienne. En 2012, avec les recettes de son livre et du film qui lui est consacré, elle achète un ticket pour être l'une des premières personnes à voler dans l'espace grâce aux vols suborbitaux de Virgin Galactic. Depuis dix ans, la compétition fait rage entre la société du milliardaire Richard Branson et celle de Jeff Bezos, toutes deux positionnées sur le créneau des vols courts de tourisme dans l’espace. Finalement, c'est en tant qu'invitée d’honneur à bord d'une fusée américaine de la société Blue Origin qu'elle partira, le 20 juillet.
Le voyage n'a rien d'une villégiature et s'annonce malgré tout assez éprouvant. Son âge pourrait-il poser problème ? "Pas vraiment, indique Glenn King, directeur du programme d’entraînement spatial du Nastar Center, une entreprise privée partenaire d’acteurs majeurs du secteur,cela dépend vraiment de l’état de santé de chacun.e". Et sur ce point, Wally Funk, véritable boule d'énergie aux cheveux courts argentés ne laisse guère place au doute, cette légende de l'aviation civile américaine se dit en pleine forme et fin prête à relever ce dernier grand défi de sa carrière, le rêve de sa vie.