"Vous êtes le diable" : Joël Le Scouarnec, le pédocriminel face à la justice

Joël Le Scouarnec a été condamné à 20 ans de prison dont deux tiers de peine de sûreté. Accusé d'avoir violé ou agressé sexuellement 299 patients, l'ancien chirurgien a été reconnu coupable. Des actes commis durant plusieurs décennies de pratique médicale dans divers hôpitaux en France. Retour sur le parcours du pire prédateur sexuel de l'histoire judiciaire du pays. 

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Procès Scouarnec : 312 victimes

L'étude des carnets du chirurgien français Joël Le Scouarnec, avec noms de patients et descriptions des agressions, met au jour 312 victimes âgées en moyenne de 11 ans entre 1986 et 2014, la plupart en "état d'endormissement".

 


 

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"Vous devrez déclarer coupable M. Le Scouarnec", avait lancé Stéphane Kellenberger lors de son réquisitoire. Toute peine en deçà des 20 ans requis "n'aurait aucun sens (...) pour les victimes et l'accusé lui-même". 

Sans surprise, l'ex-chirurgien a donc été condamné à la peine maximale soit 20 ans de réclusion ce mercredi 28 mai 2025 à l'issue d'un procès fleuve de trois mois. Les cinq magistrats professionnels de la cour criminelle du Morbihan l'ont jugé coupable des 111 viols et 188 agressions sexuelles pour lesquels il était jugé. Des faits commis entre 1989 et 2014 sur des patients âgés de 11 ans en moyenne. 

"Il a été tenu compte que les faits commis sont d'une particulière gravité en raison à la fois du nombre de victimes, de leur jeune âge et du caractère compulsif" des actes de l'ancien chirurgien de 74 ans, a indiqué la cour criminelle dans son délibéré. Le Scouarnec échappe à la rétention de sûreté, mesure qui permet de placer dans un centre un criminel présentant un risque élevé de récidive après la fin de sa peine, compte tenu notamment de sa "volonté de réparer" et de son âge.

Joël Le Scouarnec a reconnu avoir perpétré ces actes dans leur intégralité au cours du procès. 

Procès Le Scouarnec

Manifestation devant le palais de justice de Vannes, dans l'ouest de la France, le jour de l'ouverture du procès du chirurgien français Joël Le Scouarnec, accusé d'avoir violé ou abusé de 299 personnes, pour la plupart des patients enfants, lundi 24 février 2025. 

 

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Victimes oubliées et "silence politique"

Des victimes ont déployé une banderole devant le tribunal judiciaire de Vannes. La banderole représente 355 victimes du chirurgien, comprenant les 299 concernées par ce procès ainsi que "les victimes oubliées et celles prescrites", a précisé Manon Lemoine, membre du collectif de victimes qui dénonce le "silence politique" entourant le procès. 

Derrière ce chiffre (...), c'est avant tout des individus. Chaque pancarte qu'on montre ici, c'est une victime de Joël Le Scouarnec. Gabriel Trouvé, une victime

"Nous voulons être tous ensemble", a-t-elle dit. "Derrière ce chiffre (...), c'est avant tout des individus. Chaque pancarte qu'on montre ici, c'est une victime de Joël Le Scouarnec", a expliqué Gabriel Trouvé, 34 ans, une autre victime de l'ancien médecin.

Le collectif doit être reçu le 11 juin avec le ministre de la Santé Yannick Neuder. "Je vais agir avec le ministre de la Justice (Gérald Darmanin, NDLR) pour que plus jamais (...) on ne puisse se retrouver à avoir exposé des patients, des enfants vulnérables" à des "prédateurs sexuels", a-t-il déclaré. "Ce qu'on a envie de dire, c'est plus jamais ça. Comment a-t-on pu en arriver à une situation comme celle-ci ?", s'est-il interrogé sur France Info.

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Parcours de prédateur

En décembre 2004, les gendarmes se rendent chez Joël Le Scouarnec près de Vannes. Sa carte bancaire a laissé des traces sur un site pédopornographique. Le 17 novembre 2005, il est condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques, sans obligation de soin, ni interdiction d'exercer.

En 2006, un psychiatre de l'hôpital de Quimperlé où travaille Le Scouarnec alerte la direction sur sa condamnation et sa "dangerosité". L'ordre des médecins du Finistère, la Ddass, l'Agence régionale d'hospitalisation de Bretagne, la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos), au ministère de la Santé, la directrice de l'hôpital de Jonzac sont avisés. Le Scouarnec continue d'exercer. 

Ce n'est que plus de dix ans plus tard que ce spécialiste de la chirurgie digestive est de nouveau inquiété : le 25 avril 2017, une de ses voisines dépose plainte à la gendarmerie de Jonzac (Charente-Maritime) pour des faits d'exhibition sexuelle commis la veille devant sa fille de six ans. Interrogée, la fillette relate également un viol digital (confirmé par une expertise gynécologique).

Le 2 mai 2017, le chirurgien, alors âgé de 66 ans, est interpellé puis mis en examen et incarcéré. Les gendarmes découvrent chez lui des poupées et des accessoires de nature sexuelle, 300.000 images pédopornographiques et des journaux intimes où il consignait jour après jour des récits pédopornographiques ou zoophiles glaçants. Dans le bureau du juge, Joël Le Scouarnec fait remonter les premiers "attouchements" aux années "1985-1986" sur l'une de ses nièces. 

Il assure que sa femme est au courant depuis 1996, ce qu'elle nie. L'enquête révélera que dès 2000, une des nièces avait confié à sa mère être violée par "tonton". Cette dernière confronte son frère qui admet les faits, mais ne dépose pas plainte.

Le Scouarnec, protégé ?

Des manifestants se sont rassemblés devant le palais de justice de Vannes, dans l'ouest de la France, le jour de l'ouverture du procès du chirurgien français Joël Le Scouarnec, accusé d'avoir violé ou abusé de 299 personnes, pour la plupart des patients enfants, lundi 24 février 2025. 

 

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"Vulvettes" et "Quéquettes" 

Le 15 octobre 2020, le chirurgien est mis en examen dans une deuxième procédure. Des recherches et des auditions, s'appuyant sur les carnets intimes où il consignait scrupuleusement les noms de ses victimes, associés à des descriptions d'agressions ont mis au jour 312 victimes entre 1986 et 2014, âgées en moyenne de 11 ans, la plupart en "état d'endormissement".

Comme le révèlent des éléments d'enquête dont a eu connaissance l'AFP, Le Scouarnec, bon professionnel, amateur d'opéra, a consigné sa longue dérive par écrit, méthodiquement.
 Il y a d'abord deux listes, intitulées "Vulvettes" et "Quéquettes" répertoriant les noms de 250 fillettes et garçons entre 1984 et 2006, associés à des descriptions d'agressions présumées : cunnilingus, caresses, pénétrations digitales ou rectales. Il s'interdit toute pénétration avec son sexe, notent les enquêteurs.
Il y a aussi ces journaux intimes, sur des milliers de pages. De 1990 à 2017, le récit au quotidien de possibles sévices sur de jeunes patients, parfois endormis, dans leur chambre, au bloc ou en salle de réveil.

Le 3 décembre 2020, la cour d'assises de la Charente-Maritime le condamne à 15 ans de réclusion criminelle pour les viols d'une de ses nièces et de sa voisine ainsi que pour des agressions sexuelles sur une autre nièce et une patiente de quatre ans. Une peine assortie d'une obligation de suivi sociojudiciaire de trois ans et d'une injonction de soins.

En 2022, l'association Face à l'inceste dépose plainte, mettant en cause l'institution judiciaire et les autorités de santé. Elle dénonce "le silence et l'inaction" après la condamnation de 2005. En avril 2023, l'association La Voix de l'enfant fait de même.

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Concentré de perversion

Joël Le Scouarnec est renvoyé en septembre 2024 devant la cour criminelle du Morbihan pour 111 viols aggravés et 189 agressions sexuelles aggravées sur 299 victimes, 158 de sexe masculin et 141 de sexe féminin, commis entre janvier 1989 et janvier 2014. 

Vous êtes le diable ! Stéphane Kellenberger, avocat général dans le procès Le Souarnec

Le procès s'ouvre le 24 février 2025. Quatre jours après, l'accusé reconnaît devant l'un de ses fils des violences sexuelles sur la fille de ce dernier. Le 20 mars, le parquet général de Rennes annonce ouvrir une nouvelle enquête préliminaire concernant des victimes éventuellement non identifiées ou nouvellement déclarées. Le même jour, Joël Le Scouarnec reconnaît en bloc l'ensemble des faits pour lesquels il est jugé. Deux mois plus tard, lors de son ultime interrogatoire, il se juge également "responsable" de la mort de deux de ses victimes. Une probable "autre procédure" concernant d'autres victimes potentielles pourrait s'ouvrir, selon l'avocat général.

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"Vous êtes le diable", a lancé l'avocat général dans son réquisitoire, estimant que malgré une défense au "travail véritablement extraordinaire", Joël Le Scouarnec était, lui, "resté au milieu du gué", tenant "en suspens (les victimes) par sa parole", croyant "qu'il les contrôle encore".

L'accusé, aujourd'hui âgé de 74 ans, a habitué la cour à n'exprimer que peu d'émotions au cours du procès, répétant souvent les mêmes mots. Maigre est donc l'espoir qu'il révèle d'ici le verdict un nouvel aspect de sa personnalité, qu'un expert a qualifiée de "concentré" de perversion.

Sur l'un de ses carnets, il a écrit : "Tout en fumant ma cigarette du matin, j'ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste [...], voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste [...], pédophile. Et j'en suis très heureux".

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