Voyageuses, mères ou guerrières, les Européennes de la préhistoire intéressent enfin les archéologues

Des généticiens archéologues allemands sont arrivés à une conclusion édifiante : les femmes de l'âge de bronze voyageaient, permettaient aux techniques nouvelles de circuler, produisaient. Tandis qu'à la même époque, les hommes, immobiles, se contentaient de chasser ou de faire la guerre. 
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Le Lech, affluent du Danube, lorsqu'il arrive à Augsbourg, en Bavière, sur les rives duquel les archéologues ont interrogé les restes de femmes de l'âge de bronze.
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L'ADN ne mentirait pas. Les enquêteurs/enquêtrices du 21ème siècle ont fait parler les génomes mitochondriaux qui ont traversé le temps, entre 40 et 50 siècles, dans des sépultures bavaroises, au coeur d'une verte vallée, celle de la Lech, près de Augsburg. Ce creux tranquille est propice aux fouilles archéologiques et recèle des trésors humains dont les technologies modernes parviennent à extraire la substantifique moelle, celle qui permet de remonter l'histoire de l'humanité, en particulier de ses mouvements.
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Voici 4000 ans, des femmes européennes voyageaient, loin de leur village natal, pour fonder une famille, permettant aux objets et aux idées de circuler, ainsi que l'attestent les découvertes en Bavière  

(c) Stadtarchäologie Augsburg
Et de ces restes, des archéologues/généticiens allemands, tirent une hypothèse, déjà proposée par d'autres, mais cette fois étayée par des exemples plus nombreux : entre 2500 et 1700 ans avant Jésus Christ, durant environ 800 ans, les femmes de cette région seraient pour la plupart venues d'ailleurs. Cette migration n'enrichissait pas seulement la population locale à l'occasion de leurs unions avec des hommes sédentaires, puis de leurs descendances, elles étaient vecteurs de modernité, ouvrant la circulation aux techniques nouvelles, en particulier dans l'art de la poterie. Ce qui expliquerait peut-être en partie la vitesse des transformations "industrielles" à cette époque, celle que l'on nomme "âge de bronze" dans nos encyclopédies .

Une découverte qui enthousiasme les internautes féministes : "Aujourd'hui, nous savons donc qu'à l'âge de bronze, les femme voyageaient tandis que les hommes restaient à la maison. Pourquoi donc a-t-il fallu attendre si longtemps ? #Patriarchie", s'interroge l'une d'entre elles. 
Et dire qu'aujourd'hui certain.e.s veulent entraver la liberté de mouvement des femmes et des hommes. La publication des chercheurs allemands ne pourra que confirmer l'ouverture de leur pays aux migrants, dont on rappellera au passage qu'elle a entrainé un bond de 1,9% du PIB outre-Rhin, en 2016... Aujourd'hui comme autrefois, l'ouverture aux autres est donc gage de richesse.

La génétique croisée au genre, une combinaison en vogue 

Les recherches archéologiques qui croisent aujourd'hui une approche génétique et celle du genre au microscope et à l'analyse de toujours, ont le vent en poupe dans l'introspection humaine. Peut-être parfois à l'excès. C'est en tout cas ce que pense une jeune archéologue française qui a lu l'étude. Et qui regrette que les outils traditionnels de l'archéologie aient été quelque peu négligés dans cette recherche.

Elle se demande comment de ces "découvertes", on passe à l'interprétation sans étayer plus avant les hypothèses soutenues : "En termes scientifiques, l'étude est très argumentée et bien construite, les échantillons sont significatifs et l’analyse semble pertinente. La partie interprétation est un peu courte (mais c’est le format de la revue qui l’impose aussi) et surtout abrupte : comment passent-ils des résultats des analyses au rôle des femmes dans la diffusion des innovations ? Après tout pourquoi pas, c’est une hypothèse ! On attendrait quand même un peu plus d’informations sur les aspects culturels de cette région, à cette période, qui doivent être très bien connus grâces aux données archéologiques qui sont ici presque totalement absentes. Les phénomènes de transmission, d’innovation, de diffusion sont accessibles et étudiés par les archéologues qui travaillent sur la technique, à partir de l’étude des structures d’habitat, de la céramique, des outillages lithiques…pourquoi se priver de ses informations ? "

La mobilité des femmes durant 800 ans, entre 2500 et 1700 avant Jésus Christ fut une force motrice dans les communications régionales et dans les échanges, à l'aube de l'âge de bronze
Groupe de chercheur.es allemand.es

Revenons sur les découvertes exposées. Dans une étude de six pages publiée au début du mois de septembre 2017, par la revue PNAS ("Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America", c'est à dire "Comptes-rendus de l'Académie nationale des sciences des États-Unis d'Amérique"), une équipe de onze chercheur.se.s allemands (six femmes, cinq hommes) affirment avoir mis au jour "la mobilité des femmes durant 800 ans, entre 2500 et 1700 avant Jésus Christ" et que celle-ci fut "une force motrice dans les communications régionales ou supra-régionales, et dans les échanges à l'aube de l'âge de bronze". Cette "mobilité humaine si cruciale aux transformations sociétales", surtout en période de transition, telle celle étudiée, entre la fin du Néolithique (énéolithique ou culture à céramique cordée) et le début de l’âge du Bronze (ou campaniforme).

Ces hypothèses se fondent sur un riche matériau : plus de 400 tombes rassemblées dans la région d'Augsburg, au sud de la vallée du Lech, sur une petite portion de territoire : 10 kms du Nord au Sud, et 6 kms d'Est en Ouest). De ces sépultures ils ont pu extraire 86 squelettes, sur deux périodes différentes, qu'il était encore possible de soumettre "aux analyses ADN (surtout le mitochondrial qui n’est transmis que par la mère) et isotopiques (sur les dents) qui donnent des informations indirectes sur l’alimentation et donc sur l’environnement où les gens ont vécu et/ou grandi", comme nous l'explique encore notre jeune archéologue. "Les résultats de l’analyse Adn ont permis d’une part d’identifier le sexe des individus et de « remonter » les lignées maternelles. On voit une très grande diversité de celles-ci, ce qui indique une forte exogamie des femmes. Les résultats des isotopes montrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes, au sein de l’échantillon, à avoir temporairement vécu dans un environnement différent que celui de la vallée de Lech. Ils en concluent donc que les deux sociétés, racontées par ces tombes, étaient patrilinéaires et que les femmes devaient être plus mobiles."

La mobilité des femmes, très jeunes, des adolescentes, s'explique d'abord par l'exogamie - les hommes de cette région d'Europe centrale faisaient venir leurs épouses pour nouer des alliances, établir des stratégies de pouvoir. Les chercheurs notent aussi qu'elles enfantaient en moyenne chaque année. Ces femmes, selon leurs origines établies, des Alpes, de la Forêt noire, ou encore de Bohême, apportaient dans leurs bagages des savoir-faire, en particulier sur les techniques de céramique. Ce qui conduit les chercheurs à réaffirmer une fois encore, en conclusion comme en introduction, "la mobilité des femmes, force majeure dans la transmission de savoirs  à une période d'innovations majeures".

Une mobilité qui avait déjà été mise en lumière en 2015 au Danemark avec l'étude des restes de la fille Egtved, une jeune femme de haute lignée, une "Europe trotter" venue de la Forêt noire pour être enterrée au Danemark après avoir parcouru le continent. Mais ce que l'on aimerait savoir, c'est si ces femmes étaient des actrices décidées ou des agentes passives de cette diffusion...  

Femme du Pléistocène à mobilité réduite : la division du travail entre les sexes mise en oeuvre

L'examen de la mobilité des femmes intéresse décidément les archéologues du 21ème siècle. En juillet 2017, un moi avant les Allemands, six chercheurs italiens (trois femmes, trois hommes) mettaient au jour une dent. Mais pas n'importe quelle dent : "la plus ancienne jamais découverte en Italie", celle d'une femme, enceinte, ayant vécu dans la région du site archéologique de Isernia la Pineta (sud-est de Rome) au Pléistocène moyen, c'est à dire quelque part entre entre −781 000 et −126 000 ans, ce qui ne nous rajeunit pas...  

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La dent d'une femme enceinte du Pleisctocène moyen analysée par les chercheurs itraliens pour comprendre sa mobilité
DR

Là aussi les chercheurs insistent sur la mobilité humaine comme facteur essentiel des transformations sociales : "La mobilité humaine des communautés anciennes et l'interaction qui en résulte avec l'environnement et/ou d'autres populations sont souvent difficiles à définir en raison du manque de données concrètes. Ceci est particulièrement vrai pour le Pléistocène moyen, compte tenu du très faible nombre de sites et découvertes et du manque de matériaux conservés. Généralement, l'étude de la mobilité passée des hominiens a été menée grâce à différentes preuves indirectes telles la morphologie des membres inférieurs, l'approvisionnement en matières premières, l'exploitation de ressources faunesques, ou encore la taille des campements. Cependant, ces approches donnent un aperçu incomplet de l'exploitation des ressources et de l'adaptation aux changements environnementaux. Par exemple, on ne sait pas si les stratégies de subsistance observées indiquent une occupation à court terme de la zone en raison de l'épuisement des ressources locales, et donc le besoin de se déplacer vers d'autres régions, ou si le groupe a limité ses déménagements pour exploiter plus intensivement les ressources disponibles."

Les femmes restent généralement au camp pour s'occuper des enfants, suivant rarement les hommes lors de longs voyages
Groupe de chercheur.es italien.nes

Mais en l'occurence, le résultat laisse songeur : là où les grands mammifères se déplacent de 50 kms, la porteuse de dent a bougé de... 10 kms.  Et ce petit déplacement indique une autre "habitude", à l'inverse des voyageuses de l'Europe centrale : la division du travail entre les sexes - aux hommes la chasse, aux femmes les gosses. « Le groupe humain d'Isernia La Pineta, comme la plupart des contemporains, semble peu mobile, exploitant probablement les ressources locales, une stratégie qui s'apparente vraisemblablement à celle des cueilleurs modernes. (…/…) En termes de stratégie de groupe, la mobilité limitée probable des femmes enceintes/mères aurait également pu avoir un impact considérable sur leur rôle au sein de la société et sur la répartition des tâches entre les sexes. Dans les communautés récentes de chasseurs-cueilleurs, la forme générale sous laquelle le travail est subdivisé peut se résumer ainsi : les hommes chassent et recherchent des ressources naturelles, tandis que les femmes et les enfants rassemblent et exploitent les ressources locales. De plus, les femmes restent généralement au camp pour s'occuper des enfants, suivant rarement les hommes lors de longs voyages. (…/…) Ainsi, la mobilité réduite présumée de la femme enceinte  d'Isernia au Pléistocène moyen pourrait correspondre à la division du travail observée dans les groupes modernes de chasseurs-cueilleurs, un comportement qui s'est peut-être installé plus tôt que nous le pensions dans l'évolution humaine. »

Mais le viking était une guerrière...

A peine avions-nous fini de nous interroger sur les analyses divergentes de la mobilité des Européennes à la préhistoire, qu'une correction majeure de l'histoire des vikings (donc beaucoup plus proche de nous, entre le 8ème et le 10ème siècle de notre ère) nous sautait à la figure. Plus d'un siècle après sa découverte, dix chercheur.se.s suédois.es (cinq femmes, cinq hommes) annonçaient que le squelette d'un guerrier viking était en fait celui d'UNE viking ! 

Dans les années 1880, des archéologues scandinaves avaient mis au jour une tombe contenant tous les instruments nécessaires au combat, y compris des boucliers, une hache, une lance, une épée et un arc avec de lourdes flèches, ainsi que les restes de deux chevaux - une jument et un étalon. Un ensemble de pièces qui a longtemps conduit les chercheurs à croire qu'il s'agissait de la sépulture d'un guerrier viking et donc naturellement celle d'un homme. Il a été désigné, et continue d'être désigné, sous le nom de Bj 581.

Jusqu'à présent, le sexe masculin était automatiquement associé au genre des guerriers
Groupe de chercheur.e.s suédois.es

Les historiens généticiens du 21ème siècle ont voulu en avoir le coeur net, parce qu'il y avait déjà eu dispute : "L'objectif de cette étude était de confirmer le sexe et les liens de parenté d'un individu enterré dans une tombe de guerrier bien dotée (Bj 581), dans la ville viking de Birka, en Suède. Jusqu'à présent, le sexe masculin était associé au genre du guerrier, comme c'était le cas pour BJ 581. Une classification osseuse antérieure de l'individu en tant que femme avait suscité une controverse historique et archéologique. Une confirmation génomique du sexe biologique de l'individu a été jugée nécessaire pour résoudre le problème."

"Comment la guerrière viking a été exclue de l'histoire" titre le Guardian. Tandis que le Washington Post se félicite : "Super Woman a bien existé. Le squelette d'un guerrier viking identifié 128 ans après sa découverte comme celui... d'une guerrière !"

Non seulement les femmes sont invisibles, mais les hommes sont déterministes, et toute l'histoire humaine est désagréable, brutale et courte
Holly Norton, The Guardian

La chroniqueuse-archéologue-geek Holly Norton du Guardian n’y va pas de main morte pour analyser ce que cette mystification dit de l’archéologie : « Supposer sans critique que les hommes seuls sont des guerriers mène à une cascade d'autres hypothèses sur les comportements humains qui rendent notre tentative de comprendre ces comportements quelque peu sans intérêt. Ces hypothèses nuisent à l'effort scientifique de l'archéologie. Les hypothèses à l’aune de rôles genrés ne rendent pas seulement les femmes invisibles dans les travaux archéologiques, mais diluent aussi notre compréhension des sociétés passées et de l'énorme complexité de l’histoire des réalisations et activités humaines. Non seulement les femmes sont invisibles, mais les hommes sont déterministes, et toute l'histoire humaine est désagréable, brutale et courte. »

Mais cet androcentrisme pointé du doigt par le quotidien britannique n’est sans doute pas le seul défaut de l’archéologie occidentale toujours dominante. 
Rappelons qu’en Egypte, au moment où les Européennes tentaient d’affiner la fabrication de leurs poteries diverses, en 2700 av. J.-C la physicienne Peseshet dirigeait un corps de médecins égyptiennes, tandis qu'un millénaire et quelque plus tard, en 1478 av. J.-C, la reine Hatchepsout montait sur le trône des pharaons… Tout est relatif. 

Suivez Sylvie Braibant sur twitter > @braibant1