A-Wa chante la liberté

Les sœurs Haim forment le groupe A-Wa. Avec une incroyable modernité, ces israéliennes revisitent en arabe d’anciennes chansons yéménites qui célèbrent les femmes et leur féminité. Rencontre.
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A-Wa
©Tomer Yosef
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Elles sont femmes, juives, israéliennes et chantent en arabe. Un grand oui. C’est ce que signifie le nom de leur groupe, A-Wa, en arabe (NDLR, à prononcer aywa). Tagel, Liron et Tair Haim, sont trois sœurs nées et élevées à Shaharut, un village israélien près de la frontière avec l’Egypte. Depuis plus d’un an, elles font danser leur public, dans une énergie haute en couleur, avec leurs reprises de chansons traditionnelles yéménites.
 
En 1949, leurs grands-parents quittent le Yémen pour Israël avec dans leurs bagages bijoux, danses et chants faits par et pour les femmes. Ce folklore, avec lequel les sœurs ont grandi, est remis au goût du jour par les A-Wa. Influencées le hip hop, le jazz, le rock et le R’n B, le résultat est un subtil accord entre tradition et modernité. Un succès partagé par leur grand-mère qui avait presque cessé d’utiliser son dialecte yéménite à son arrivée en Israël en 1949. Elle s'est remise à parler arabe. De ce mélange, elles font une force créatrice... et de paix aussi. Elles répètent que leur plus grand souhait, "c’est de connecter les gens et de construire ce pont afin qu’ils puissent apprécier la musique, d’où qu’ils viennent".
 
Leur premier extrait, Habib Galbi, est sorti le 6 novembre tandis que leur album complet sortira au printemps 2016. Enregistré à Tel-Aviv, le disque est uniquement composé de chants folkloriques yéménites. De passage à Paris, en ce mois de novembre, elles enchaînent les concerts. Et les interviews. Dont une avec Terriennes. C'était avant les attentats du 13 novembre, qui ont endeuillé la France et le monde.

 

Cet album célèbre les femmes du Yémen et leur histoire.

Quatre questions à Tagel, Liron et Tair Haim d'A-Wa, attachées à leurs racines et sensibles à la place que les femmes occupent aujourd'hui.


Que raconte votre premier album ?
 
Cet album célèbre les femmes du Yémen et leur histoire. Les chansons ont été créées par des femmes yéménites il y a plusieurs générations. Elles ont su y raconter avec justesse leurs émotions et leur quotidien. Ces chants traditionnels, mais pas religieux, ont été transmis par des femmes à d’autres femmes. C’est important. Tout le monde peut s'identifier dans nos chansons.

Nous conservons le côté folklorique de chaque chanson tout en y apportant notre touche de modernité, notre créativité. Nous popularisons une tradition habituellement réservée aux mariages et autres cérémonies. Cette idée plait beaucoup à notre producteur, l'Israélien Tom Yosef, ce qui nous enthousiasme encore plus.  Nous pouvons ainsi faire pleinement ce qui nous tient à cœur : donner de l’espoir aux femmes, mais aussi aux hommes, pour qu’ils réalisent leurs rêves.
 
Que pensez-vous de la condition des femmes dans des pays comme le Yémen, où elles ne sont pas libres comme vous ?
 
Avec A-Wa, nous voulons dire « oui » à la liberté et à l’égalité entre les sexes. Il est important pour nous de valoriser les femmes grâce à nos chansons. Nous pensons que les femmes sont égales aux hommes. Qu’elles devraient pouvoir faire ce qu’elles veulent.

En Israël, les gens sont très libéraux à ce sujet mais ce n’est pas le cas dans le reste du Moyen-Orient. Beaucoup de femmes, bien souvent à cause de la religion, ne peuvent pas faire ce qu’elles souhaitent. C’est affligeant de savoir que certaines femmes n’ont même pas la liberté de s’habiller comme elles l’entendent.

Les femmes, peu importe où elles vivent, méritent le respect de tous rien que parce qu’elles donnent la vie.

Sur scène, nous ne voulons pas porter de talons. Nous sommes en baskets et en djellabas pour pouvoir danser et sauter. C’est une forme de liberté.

C’est très touchant de savoir que nous sommes des modèles pour les jeunes filles du Yémen


Vous êtes donc d’origine yéménite. Que pensez-vous de la situation là-bas ?
 
Nous ne sommes pas politiciennes, mais cela nous attriste de voir que le pays de nos grands-parents traverse une violente crise. En tant qu’artistes, nous souhaitons apporter un peu de réconfort et d’amour au peuple du Yémen qui nous suit de près. Nous aimerions nous produire là-bas, mais malheureusement c’est impossible tant qu’il y a cette guerre…

A Berlin, un fan nous a confié que les petites yéménites avaient l’impression que nous racontions leur histoire. Nous sommes, en quelque sorte, leur porte-parole puisqu’elles n’ont pas la possibilité de parler librement. Une étudiante yéménite en France est également venue nous voir après un concert à Dijon pour nous dire que nos chansons étaient très populaires au Yémen. Cela fait chaud au cœur de pouvoir leur envoyer des ondes positives avec notre musique.

Nous n’avons pas la prétention d’être des modèles, mais c’est très touchant de savoir que nous en sommes pour les jeunes filles du Yémen.
 
Vous êtes israéliennes, et chantez en arabe. Est-ce un problème ?
 
Absolument pas. En Israël, de nombreux Juifs sont originaires de pays arabes. Comme la France, c’est un pays d’immigration et différentes cultures se côtoient. Certes il y a le conflit israélo-palestinien, mais les Israéliens sont ouverts d’esprits et vivent avec un mélange d’arabe et d’hébreu constant.

Nous avons grandi avec les cultures arabe et israélienne. Quand nous étions petites, nous écoutions et regardions beaucoup de musiques et de films égyptiens. Cela nous a évidemment inspiré.

Aujourd’hui, nous faisons des concerts en Israël mais aussi en Europe. Nous espérons pouvoir, un jour, nous produire en Egypte, en Jordanie ou au Yémen évidemment.