Fil d'Ariane
Cela fait plus de 25 ans que cet artiste fait danser autour de plusieurs thématiques, sexes, sexualités, sacré et corps. Après avoir étudié la danse classique et moderne à Hasselt, Bruxelles et Paris, Thierry Smits danse pendant quelques années dans différentes compagnies et fait aussi l'expérience du cabaret. En 1990, il fonde à Bruxelles, Thor, sa compagnie de danse au sein de laquelle il signe près de 17 créations. Ses œuvres ont été couronnées par plusieurs récompenses, V. Nightmares en 2008 a reçu le prix de la Critique du meilleur spectacle de danse décerné par la presse culturelle francophone de Belgique. Des spectacles forts, percutants connus aussi bien sur la scène nationale belge qu’internationale. Thierry Smits nous en dit plus sur la genèse de sa dernière création.
L’idée était de faire évoluer une communauté de "mecs" vers une communauté de femmes
Thierry Smits, chorégraphe
Terriennes : comment vous est venue cette idée de spectacle, et pourquoi avoir choisi de faire de vos danseurs des footballeurs… Un pied de nez à la Coupe du monde ?
Thierry Smits : Au départ, l’idée était de faire évoluer une communauté de "mecs" vers une communauté de femmes, on n’avait pas envie de travailler avec une communauté de militaires ou d’un groupement de gens ayant une autorité quelconque sur quelqu’un d’autre. On voulait en même temps quelque chose qui soit universel, et donc on s’est dit et bien on va prendre une équipe de foot. Moi j’ignorais qu’on allait arriver juste avant le Mondial, c’est un pur hasard. Comme c’est un hasard que ce spectacle intervienne dans le contexte des mouvements #MeToo ou #Balancetonporc, l’idée du spectacle m’est venue de manière totalement intuitive en novembre 2016.
Comment avez vous travaillé avec vos danseurs pour les amener vers cette féminité ?
Thierry Smits : Comme matière théorique, les danseurs ont eu droit à trois conférences. Trois gynécologues sont venus expliquer dans nos studios ce qu’était le corps féminin, depuis la naissance, en passant par la puberté jusqu’à la ménopause, en parlant aussi bien de l’avortement que des mutilations génitales féminines. Ensuite, c’est une historienne d’art qui a emmené la troupe au Musée des Arts royaux pour montrer l’utilisation du corps de la femme dans l’art, ou plutôt sa non représentation. Enfin une troisième intervenante, une sociologue du genre, est venue parler du genre.
Dans un processus de théâtralisation, on est obligé de passer par certains stéréotypes. (...) Mais à aucun moment et d’aucune manière, on n’a voulu offenser qui que ce soit, en tout cas de manière consciente.
Thierry Smits
Malgré toute cette préparation, vous n’avez pas eu peur de grossir les traits, de caricaturer, de tomber dans le cliché ?
Thierry Smits : Justement, on retrouve ces clichés et ces stéréotypes dans ce spectacle. C’est volontaire. Ce n’est pas anodin. Quand de jeunes gens cherchent leur identité à l’adolescence, et voudraient devenir un garçon s’ils sont une fille et inversement, ils vont utiliser ce genre de clichés. Pour devenir ce qu’ils sont ou veulent vraiment être. Pour faire la même chose dans un processus de théâtralisation, on est obligé de passer par certains stéréotypes. En même temps, Judith Butler (> philosophe, écrivaine américaine âgée aujourd'hui de 62 ans, dont les travaux ont constitué un apport majeur dans le champ des études féministes et queer, ndlr) a écrit « Le genre est une performance », donc on ne s’est pas gêné ! Mais à aucun moment et d’aucune manière, on n’a voulu offenser qui que ce soit, en tout cas de manière consciente. Qu’est ce qui est offensant, qu’est-ce qui ne l’est pas aujourd’hui ? C’est tellement compliqué. En tout cas pendant toute la préparation du spectacle on s’est posé la question de ce qu’étaient nos limites. Et cela a provoqué beaucoup de débat en interne.
Sachant que l’équipe est composée de 11 garçons venant de pays différents, pays du sud, du nord, de cultures extrêmement variées, chacun a travaillé sur ce qui pourrait être selon lui sa femme intérieure. On a voulu garder cette diversité, on a trouvé cela extrêmement important, et surtout ne pas exclure certaines identités, au contraire on les a cultivées. Il faut savoir que la diversité sexuelle dans le groupe est elle aussi très différente. Il y a des hétéros, des gays, effectivement il y a des garçons plus efféminés que d’autres et nous n’avons pas voulu gommer ce maniérisme féminin, car on est déjà dans une époque où l’on subdivise en petites cases, où la censure revient. Par exemple dans la communauté gay, il y a toujours ce truc de "follophobie", la peur de la "folle", comme si cela n’avait pas le droit d’exister. Et bien nous, on dit : il y a la place pour tout le monde.
De la place pour tout le monde, vraiment ? Il n’y a pas de femmes dans le spectacle, pourquoi ?
Thierry Smits : C’est vrai. Il faut savoir que la génèse de ce spectacle remonte en fait à la création précédente, Anima ardens, qui est fortement masculine, c’est la force mâle dans toute sa splendeur qui est mise en avant sur scène. Ma proposition vis-à-vis du groupe, c’était justement de dire, bon on vient de faire ça, est-ce que maintenant ce ne serait pas intéressant de travailler sur l’opposé total, travaillons sur l’autre genre !
Bien-sûr, on s’attendait à ce que ça fasse parler. Un gars qui fait un spectacle sur la féminité avec que des « mecs », on imaginait bien que ça susciterait des réactions.
Thierry Smits
Comment a réagi le public, quel accueil avez-vous reçu ?
Thierry Smits : Ce spectacle a généré du débat et de la polémique, il a eu aussi rencontré un vrai succès populaire, avec près de 4 500 spectateurs au total au cours de ces trois semaines de représentation, chacune affichait complet. C’est la réussite de ce spectacle. Je me dis qu’on a touché quelque chose d’actuel et sensible. Bien-sûr, on s’attendait à ce que ça fasse parler. Un gars qui fait un spectacle sur la féminité avec que des « mecs », on imaginait bien que ça susciterait des réactions, comme celle d’une journaliste qui a dit ironiquement, « C’est pas comme si un blanc qui fait un film sur la condition des noirs. »
Où se situe notre part de féminité et comment nous les hommes si nous étions femmes, on l’expierait. Le message, pour moi c’est un message d’acceptation de la diversité.
Thierry Smits
Diriez-vous que votre spectacle est féministe ?
Thierry Smits : Sous certains aspects certainement. Si j’utilise la définition du féminisme faite par Angela Davis, dans les interviews qu’elle a données récemment. (Retrouvez notre article >Angela Davis en France pour évoquer son "héritage" de Mai 68 ) Si être féministe c’est comme elle le dit, être antiraciste, anti-islamophobe, anti-discrimination de genre et même anti-capitaliste, le spectacle l’est, il va même au-delà de ça ! C’est un spectacle sous forme de comédie musicale populaire, avec des éléments d’humour, d’émotion, et c’est grand public. Où se situe notre part de féminité et comment nous les hommes si nous étions femmes, on l’expierait. Le message, pour moi c’est un message d’acceptation de la diversité.