#WhereIsMyName : le nom absent des femmes afghanes

Lassées d’être désignées comme « les filles de… », « les mères de… », « les femmes de… », des Afghanes mènent campagne sur les réseaux sociaux pour mettre fin à une tradition tribale. Celle-ci veut que le nom des femmes ne soit pas dévoilé en public. Rencontre avec Laleh Osmany, 25 ans, à l’origine du mouvement.

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Afghanes carte d'identité
Une femme afghane affiche sa carte d'identité d'électeur au bureau d'inscription des électeurs dans la Province de Parwan, au nord de Kaboul en 2008. Une carte d'identité sur laquelle ne figure pas son nom. 
(c) photo AP/Rafiq Maqbool)
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On les considère comme  « les soeurs de… », « les filles  de… », « les femmes de… ».  Jamais, en dehors de la cellule familiale, le prénom et le nom des Afghanes ne sont dévoilés. Ainsi lorsqu’une femme se marie, son prénom ne figure pas sur le faire-part. Seul le nom de son père et celui de son époux sont mentionnés. De même lorsqu’elle met au monde un bébé, nulle trace de son identité sur le certificat de naissance. Il arrive souvent que les enfants ignorent le patronyme de leur mère même lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte. Les prescriptions médicales sont quant à elles établies au nom exclusif du mari. Enfin, jusqu’à sa mort, sur sa propre pierre tombale, son nom demeure absent.
 

On nous appelle celles aux cheveux noirs, les faibles, ou tantes.

Bahar Sohaili, écrivaine afghane
« On considère une femme par rapport à son mari, son frère ou son enfant », confirme l’écrivaine Bahar Sohaili dans Marianne. « Notre pépiniériste me désigne toujours par le nom de mon fils. En public, on nous appelle celles aux cheveux noirs, les faibles, ou tantes  », poursuit la jeune femme de 30 ans devenue très vite l’une des porte-paroles de la campagne #WhereIsMyName (Où est mon nom ?).
 


Cette opération est née le 5 juillet 2017 à Herat, une commune de l’Ouest de l’Afghanistan, proche des frontières de l’Iran. Il s’agit de la 3ème ville du pays après Kaboul et Kandahar. C’est ici que Laleh Osmany a initié le mouvement. Décidée à rompre avec cette tradition qui invisibilise les femmes dans la société (Lire interview ci-dessous), cette jeune diplômée de la Faculté des sciences islamiques de l'Université d’Hérat explique que cette campagne ne constitue « qu’un premier pas » vers la réaffirmation de l’identité des femmes afghanes.  

D’après la logique tribale, l'important est la propriété du corps d'une femme
Hassan Rizayee, sociologue afghan

Selon la tradition, si le nom des femmes doit être tenu secret et se retrouve masqué par celui des hommes, c’est pour « éviter de déshonorer la famille ».
 
« D’après la logique tribale, l'important est la propriété du corps d'une femme », explique le sociologue afghan Hassan Rizayee au New York Times. « Le corps d'une femme appartient à un homme, et les autres personnes ne devraient même pas en disposer indirectement, même en la regardant. Sur la base de cette logique, le corps, le visage et le nom de la femme appartiennent à l'homme » conclut-il.
 
Cette tradition n’a pas cours dans l’ensemble du pays. Elle est appliquée en particulier dans les milieux ruraux où la privation de l’usage de leurs noms entraîne des conséquences dramatiques. « Cette pratique crée une situation où les femmes ne participent pas pleinement à la vie sociale », alerte Zuhra Bahman sur BBC News. 
 
L’objectif de ces activistes est donc clair : informer les femmes sur leur droit à être nommées par leurs prénoms et noms. Mais aussi inciter les hommes à prendre part à la lutte en usant publiquement du nom de leur mère et de leur sœur. Des milliers de femmes et d’hommes afghans, y compris de nombreuses célébrités, ont répondu à l’appel en partageant leur photo et leur nom avec le hashtag #WhereIsMyName.

 
Feryad Darya
Farhad Darya, l’un des chanteurs les plus célèbres en Afghanistan, s'affiche avec sa femme, Sultana Darya, en soutien à la campagne #WhereIsMyName

Résultat :  cette campagne qui a débuté petit à petit sur Facebook, avant de s’étendre sur Twitter, s’est imposée dans le débat public, les médias ayant largement relayé l’opération, au point de s’inviter dans les talk-show afghans.
 

Le mouvement a aussi son lot de détracteurs. Au début du mois d'août, un mois après le lancement de l’action, Laleh Osmany, « très inquiète » a révélé à Terriennes faire l’objet de « graves menaces anonymes ». Et le 4 août, l’activiste Tahmina Arian, qualifiée « de prostituée » suite à son implication, a elle aussi dénoncé les intimidations à son encontre sur la chaîne allemande DWnews.
 
 

Inscrire le nom des femmes sur les cartes d’identité

Reste à ancrer ce combat dans la durée. « Inverser des traditions aussi profondément enracinées prendra beaucoup de temps, y compris en modifiant ce que les enfants apprennent » prévient le sociologue Hassan Rizayee. Et les militantes le savent. Si elles veulent obtenir des avancées rapidement, leur action doit être accompagnée d’une volonté politique. Elles exigent du gouvernement l’inscription des prénoms et noms des femmes sur les documents officiels à commencer par les nouvelles cartes d’identité.
 
Les Afghanes ne sont pas les seules à lutter pour ce droit. Deux ans plus tôt, un autre pays avait engagé un combat quasi-identique. C’était en Egypte, en 2015, le hasthag #MyMotherNameIs (Le nom de ma mère est) avait été lancé par l’ONU pour dénoncer, comme en Afghanistan, le tabou autour du dévoilement du nom des femmes.


Notre nom constitue notre premier droit
Laleh Osmany

Samedi 20 août 2017, Laleh Osmany, 25 ans, à l’origine de la campagne #WhereIsMyName, nous a confié, via Internet, avoir reçu dans la journée de « graves menaces ». « Très inquiète », cette jeune diplômée de la faculté des Sciences Islamiques, n’entend pas pour autant arrêter son mouvement en faveur de l’identité des femmes afghanes. Il y a quelques années, elle avait travaillé comme bénévole pour lutter contre les violences faîtes aux femmes, c’est la première fois qu’elle lance une telle campagne. Entretien.
 
Pour quelles raisons avez-vous lancé le hashtag #WhereIsMyName ?
 
Laleh Osmany : Pour éradiquer les tabous, les mauvaises traditions, et toute censure qui entoure la femme et l’empêche d'être reconnue comme personne indépendante, à l’image  de l’homme. Etre appelées par nos prénoms et noms constitue le point de départ de nos droits. Il s’agit même de notre premier droit, comme pour tout être humain.
 
Vous avez déclaré avoir reçu de nombreux soutiens. Qui sont-ils ?
 
Laleh Osmany : Nos soutiens sont nombreux et c'est incroyable pour nous. Les partisans sont des personnes lambda. Des femmes, des hommes de différents groupes de la société. Même certains politiciens et célébrités, telles que Farhad Darya, l’un des chanteurs les plus renommés d’Afghanistan, Aryana Sayeed, Ghezaal Enayat chanteuses également, et l’actrice Leena Alam ont soutenu notre Hashtag pour que nous puissions réussir.
 
Le gouvernement afghan a-t-il également réagi ?

Laleh Osmany : Le gouvernement ne nous a pas aidés jusqu'à présent. Heureusement, nous avons réussi à élargir notre mouvement en dehors des réseaux sociaux. Et maintenant le débat est ouvert dans la communauté. Plusieurs conférences ont eu lieu sur la base de notre campagne. J’ai même reçu un prix de la direction de l'information et de la culture d’ Herat, le 12 août, à l'occasion de la Journée mondiale de la jeunesse.
 
Quelles suites allez-vous donner à cette action ?
 
Laleh Osmany : Je travaille en ce moment sur ce hashtag afin d’amplifier le mouvement avec peu de moyens. Je mène en effet cette campagne sans argent. Nous préparons une action qui devrait se dérouler dans les prochains jours sur Twitter. Et nous prévoyons également de travailler sur un autre hashtag pour lutter contre les violences à l’égard des femmes et s’attaquer à la racine de la discrimination sexuelle.