Fil d'Ariane
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Les combattantes du royaume du Dahomey, autrefois situé au centre du Bénin, sont érigées en modèle, après la sortie au cinéma de la superproduction The Woman King (2022). Le conseiller historique du film, Leonard Wantchekon, veut déconstruire le mythe "d'Amazones" dénuées d'humanité.
1892. Les troupes françaises coloniales sont regroupées sur le littoral de Cotonou, au large des côtes de l’actuel Bénin. En octobre, elles décident d’entamer une percée fulgurante à l’intérieur des terres, vers le centre du Bénin actuel, le Dahomey. L’objectif : vaincre le roi Béhanzin qui s’accrochait à l’indépendance de son fief. Mais les troupes françaises sont loin d’imaginer ce qui les attend, à 50 km d'Abomey, la capitale du royaume.
Elles tombent nez à nez face à une armée d’élite composée uniquement de femmes, les Agojie. Ces femmes sont à l’affiche de la prochaine superproduction hollywoodienne, The Woman King (2022), qui vient de sortir dans les salles françaises ce mercredi 28 septembre.
Le film veut rendre hommage à leur histoire. “Les écrits de certains historiens européens ont vraiment transformé la réalité, explique le conseiller historique du film, lui même originaire du Dahomey et économiste politique à Princeton, Leonard Wantchekon. Ils les ont présenté comme des extraterrestres, des monstres. Ils les ont déshumanisées.” Il préfère d'ailleurs le terme de combattantes au terme d'"Amazones", nom donné par les colons français et emprunté de la Grèce antique. Selon lui, ces femmes, étaient des "femmes ordinaires" venues combattre pour le royaume.
C’était un corps d’élite dans l’armée, conditionné, préparé et c’est tout.
Leonard Wantchekon, conseiller historique du film The Woman King
Certaines de ces femmes venaient de classes moyennes, d’autres de classes supérieures, d’autres de la famille royale. D'autres encore étaient des captives de guerre reconverties dans l’armée. “Elles étaient des femmes plus ou moins ordinaires et, à cause de leur caractère, elles étaient recrutées.”
Selon l’Unesco, les troupes d'élite des femmes soldats Agojie ont probablement été créées au début du 18e siècle. Elles ont contribué à la puissance militaire du Royaume du Dahomey aux 18e et 19e siècles.
À la fin du 19e siècle, 4000 guerrières pouvaient être mobilisées en cas de conflit.
Elles se sont distinguées pendant les batailles de Savi (1727), d’Abéokouta (1851 et 1864), de Ketou (1886), mais aussi au cours des guerres coloniales contre les Français. En 1892, le royaume d’Abomey disparaît et avec lui ses combattantes.
Des recruteurs étaient détachés pour identifier et essayer d’enrôler des filles connues pour leur indépendance et leur bravoure. “Le palais royal était à 10 minutes à pied de là où je suis né, c’est comme ça qu’une personne de ma famille s’est faite enrôlée, raconte Leonard Wantchekon. Elle n’était pas particulièrement imposante par son physique mais elle était connue par son caractère et son courage.”
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L’autre point commun : leur jeune âge, entre 20 ans et 25 ans. Ce qui les amenait, après leur service, à vivre une vie normale tout le reste du temps.
Elles étaient entrepreneuses, commerçantes. Celle de ma grande famille fabriquait de la moutarde.
Leonard Wantchekon, conseiller historique du film The Woman King
Leonard Wantchekon termine actuellement un livre contenant les biographies de plus de 50 Agojie, basées sur des entretiens avec leurs descendants et leurs communautés. “L’écrasante majorité des Agodjie dont nous avons les biographies ont eu des enfants”, explique le conseiller historique du film."Après leur service, elles étaient entrepreneures, commerçantes. Celle de ma grande famille fabriquait de la moutarde.”
Bien sûr, comme le film le suggère, ces "femmes ordinaires" n'étaient des tendres. "C'était un corps d'élite dans l'armée, conditionné et préparé, et c'est tout", explique Leonard Wantchekon. Et ce, en dépit d'une société patriarcale qui a quand même investi pour les former.
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Au royaume du Dahomey, au 19e siècle, il y a évidemment des normes patriarcales, comme aujourd'hui. Viols impunis, mariages forcés, éviction des femmes des héritages, manque de représentativité des femmes dans les instances de décision,... Les hommes ne sont pas les égaux des femmes.
Mais des normes sociales plus inclusives précédaient déjà le 19e siècle, période d’apogée des Agojie, particulièrement au royaume de Dahomey, au centre du Bénin. “Le patriarcat à Dahomey n’était pas le même à Calabar, au Nigéria, par exemple, nuance Leonard Wantechekon. Les garçons et les filles jouaient ensemble. Le commerce était et reste d’ailleurs dominé par les femmes, encore aujourd’hui.” Le poste de Premier ministre se partageait également entre une femme et un homme.
Il faut la croyance que la femme peut être l’égale de l’homme. Mais il faut aussi créer les institutions pour le permettre.
Leonard Wantchekon, conseiller historique du film The Woman King
À l'époque, la reine Tassi Hangbe (1708-1711) initie le recrutement des femmes guerrières. Lorsque le roi Guézo (1818 - 1858) arrive au pouvoir un siècles plus tard, il décide avec l’aide de sa femme, “d’étendre ce corps militaire qui existait déjà, afin qu’il devienne un corps dominant”, explique Leonard Wantchekon.
Les rois ont alors créé des structures pour recruter des femmes dans l'armée. “Il faut la croyance que la femme peut être l’égale de l’homme. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi créer les institutions pour le permettre”, ajoute Leonard Wantchekon. “On peut l’appliquer dans le domaine des mathématiques, de la littérature.” Et c’est tout la force du royaume de Dahomey à cette époque-là.
Elles sont devenues ce qu'elles sont devenues, aussi parce que les décideurs du royaume ont fait le choix de leur donner les armes et d'investir sur elles pour les former. Crâne rasé, longues tuniques bleues, pantalon bouffant, elles étaient à la fois entraînées au combat, au maniement des armes, mais aussi à la résistance psychologique.
“Dans le combat au corps-à -corps, elles étaient formidables", rappelle Leonard Wantchekon. Souvent même plus douées que les hommes.
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"Je pense que c'est quelque chose qui, même aujourd'hui, serait considéré comme révolutionnaire", explique Leonard Wantchekon au Time. "Parce que tout l'entraînement qu'il a fallu, toute la préparation qu'il a fallu, c'est vraiment quelque chose qui s'est passé. Ce n'est pas inventé."
Uu patrimoine qui fait en tout cas la fierté des Béninois aujourd'hui, à l'image statue de bronze de plus de 30 mètres de haut représentant une de ces vaillantes guerrières, le 30 juillet dernier. "Cette statue sera à nos yeux et à celles de nos visiteurs, le symbole de la femme béninoise, celle d'aujourd'hui et celle de demain", a-t-il déclaré.