Femmes, entrepreneures, et avant-tout Africaines ! Avec 27 % d'entrepreneures, l'Afrique détient le record du monde de l'entrepreneuriat féminin. Alors en quoi les femmes africaines engagent-elles le monde ? C'est la question qui sera posée à Marrakech les 28 et 29 juin 2019 pour ce sommet "Women in Africa".
"Nous nous réunissons à un moment où la montée des femmes partout dans le monde n’est plus une aspiration, comme elle l'était encore lors de la Conférence de Beijing en 1994. Elle est maintenant reconnue comme un fait. La relation entre hommes et femmes se rapproche progressivement du partenariat, signe de la fin de siècles de patriarcat de l'âge agricole. La question n'est plus de savoir si les femmes auront l’équité, mais quand et comment," pose d'emblée Hafsat Abiola, présidente de
Women In Africa (WIA).
L'engagement des femmes va changer la donne !
Hafsat Abiola, présidente de Women In Africa
Les femmes représentent la moitié de la population africaine et produisent 62 % des biens économiques,
mais elles ne sont que 8,5 % à être salariées. L'Afrique est devenue,
en quelques années, le premier continent de l'entrepreneuriat féminin : 27 % des femmes y créent une entreprise, soit
le taux le plus important à l'échelle mondiale.
En Ouganda, 38 % des sociétés enregistrées appartiennent à des femmes. Lorsque les femmes occupent des postes de direction, le rendement est de 34 % supérieur à la moyenne, selon l’étude de Roland Berger de 2016 New deal, new game for Women in Africa.
"Nous pensons que l'engagement des femmes va changer la donne", ajoute Hafsat Abiola sur le site de WIA en guise de préhambule au sommet qui se tient les 27 et 28 juin 2019 à Marrakech, au Maroc, avec Terriennes :
Jeunesse et fracture numérique
La population de jeunes augmente rapidement sur le continent : d’ici 2050, elle devrait doubler pour atteindre plus de 830 millions de personnes. Pourtant, la fracture numérique en Afrique persiste.
WIA a créé un projet pour l’éducation des jeunes filles au codage, qui s’est concrétisé par un pilote lancé en mars 2019 au Sénégal. Patricia Nzolantima est l'ambassadrice de ce dossier baptisé Hub Working Ladies & WIA. Le premier a vu le jour en République démocratique du Congo à Kinshasa en avril 2019. Il consiste en un lieu de soutien à l’entrepreneuriat, un centre de formation et une école de codage. Ce premier accélérateur congolais d’entreprises créé par et pour les femmes favorise une croissance inclusive en soutenant les entrepreneures tout au long de leurs projets : aide juridique, expertise, financements, formation, tutorat, investisseurs providentiels, parrainage. 53 autres hubs devraient voir le jour sur le continent d’ici 2030.
Depuis avril 2018, l'application
WIA Link offre une plateforme numérique d’échange inédite et exclusive entre les membres de la communauté WIA. Elle leur permet de se localiser lors de leurs déplacements en Afrique et ailleurs, de partager des idées, de tisser des synergies autour de projets et de proposer des formations en ligne.
Dans le même esprit, les meilleures startups africaines dirigées par des femmes se retrouvent à Marrakech, à l'occasion du sommet.
Femmes, agriculture et climat
Un projet pour les femmes dans l’agriculture sera lancé en septembre. Le prix de la "Femme africaine agricole de l’année" dont la première édition aura lieu en 2020. Aujourd'hui, l'Afrique détient jusqu'à 65 % des terres arables non cultivées du monde, mais ses parts sur le marché mondial des produits agricoles sont limitées à 2 % et, d'ici 2025, les importations pourraient atteindre 110 millions de dollars.
La position des femmes dans l’économie agricole est d’autant plus importante qu’elles représentent souvent plus de la moitié de la main-d’œuvre agricole, mais elles n’ont pas d'accès équitable aux ressources productives. En Afrique subsaharienne, par exemple, 62 % des femmes de ce secteur ont une productivité nettement inférieure à celle des hommes, avec des écarts allant de 4 % à 25 % selon les pays et les cultures.
Autre thématique abordée lors de ce sommet : les femmes actrices de la sauvegarde de l'environnement. Avec seulement 4% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique est néanmoins le continent qui paie le plus lourd tribut au dérèglement climatique. Les prévisions les plus pessimistes estiment que d'ici 2050, la production agricole pourrait y diminuer de 7 % à 49 %. En plus de menacer la sécurité alimentaire du continent, les aléas climatiques impactent directement les femmes. La raréfaction des ressources en eau les contraint à parcourir des distances plus longues, au détriment du temps qu'elles pourraient consacrer à des activités rémunératrices.
Militantes et femmes leaders
Autour de la présidente Hafsat Abiola, la Sénégalaise Awa Ndiaye Seck, représentante ONU femmes en RDC,
Jacqueline Moudeina, avocate et activiste des droits humains au Tchad, et Vivian Onano, du Kenya, prix "Let Girls Learn" 2015 de Michèle Obama, donneront le ton du sommet lors de la cérémonie d’ouverture. Parmi les invité.e.s, des figures montantes de l'entrepreneuriat féminin du continent viendront également évoquer leur expérience et leurs projets.
Comme
Aïssata Diakité Aïssata, classée parmi les 30 jeunes les plus influents d’Afrique de moins de 30 ans par le magazine
Forbes Afrique en 2018. Elle a fondé le groupe Zabbaan, une entreprise de production de jus de fruits basée au Mali et en France. Elle se classe parmi les meilleures entreprises agroalimentaires innovantes d’Afrique de l’Ouest. Formée au Mali, en France et en Angleterre, diplômée de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, cette passionnée d’agriculture s’est associée à d’autres entreprises en Afrique de l’Ouest pour lancer le réseau NALA "Nouvelle Génération de Leaders dans l’Agri-business".
Francine Ntoumi est née à Brazzaville. Première femme africaine responsable du secrétariat de l’initiative multilatérale sur le paludisme, elle a d’abord fait ses études à l’institut Pasteur de Paris et au Gabon, avant d’intégrer l’Institut de Médecine tropicale de l’Université de Tübingen en Allemagne. Là-bas, elle forme en priorité des chercheurs africains. Après avoir occupé des postes à responsabilités en Europe puis en Afrique, sa notoriété s’accroît. Les récompenses ne tardent pas à suivre : notamment le prix Christophe-Mérieux décerné par l’Académie des Sciences, ou encore le prix Kwame-Nkrumah de l’Union Africaine. En 2008, Francine Ntoumi crée la Fondation congolaise pour la recherche médicale. Son projet phare, Femmes & Sciences, lancé en 2016 (sponsorisé par L’Oréal et l’Union Européenne, ndlr) mène des campagnes de sensibilisation dans toutes les écoles du Congo, afin de stimuler l’engagement des jeunes africaines dans des carrières scientifiques.
L'Américaine
Allison Shapira, fondatrice et directrice de Global Public Speaking va tenir une session très particulière, puisqu'il s'agit d'y apprendre à s'exprimer, à "s'empouvoirer" par la parole. Cette séance interactive a pour but de mettre en avant les techniques oratoires, ce qui ne consiste pas seulement à faire un discours mais surtout à exercer un leadership avec la voix.
Investissement genré
Chaque année, la problématique de l’inégalité entre les genres coûte 95 milliards de dollars à l'Afrique subsaharienne.
Au Sénégal, l'entrepreneuriat féminin représente une source largement inexploitée de création d'emplois et de croissance économique, avec seulement 32,8 % des entrepreneures sénégalaises. Le
Women’s Investment Club (WIC) Sénégal, lancé en 2016, est le premier club d’investissement avec une optique genre au Sénégal et dans la zone UEMOA.
Sa fondatrice et directrice,
Ndeye Madjiguène Sock a créé un fonds dédié aux entreprises dirigées par des femmes, ainsi qu'une structure d’assistance technique aux femmes entrepreneures à la tête de PME.
Enfin, les hommes sont évidemment attendus au cours de ce sommet, des sessions
Men with Women donnent la parole à ceux qui agissent en faveur de l'entrepreneuriat féminin. Le prix
African Man of the Year sera décerné au cours de l'année.
Au coeur de cette conférence, deux questions : "Comment les femmes africaines engagent le monde et créent un nouveau paradigme ?" Tout un programme...
Aude de Thuin, féministe pragmatique
Née dans le Finistère en septembre 1950, dans une famille de six filles, elle rejoint une tante à Paris à l'âge de 17 ans et entame des études de psychologie, qu'elle sera contrainte d'interrompre. Elle travaille ensuite dans un centre médico-pédagogique, où elle rencontre François Dolto. Entrepreneure dans l'âme et autodidacte, elle nous raconte ce qui fut à l'origine de son engagement : un coup de colère.
"Le déclencheur ? Ce fut lorsqu'on refusa ma présence à Davos, au Forum économique mondial, alors que mon entreprise faisait déjà partie du CAC 40. Je me suis dit 'puisque c'est comme ça, vous allez voir !' C’est ainsi qu’est née l’idée du Women’s Forum. J’ai réuni un groupe de femmes et on a mis 18 mois à préparer le premier." Depuis ce jour, elle n'a jamais rangé son baton de pèlerin.
L'aventurière et écrivaine Alexandra David Neel, Simone Veil ou Gisèle Halimi sont les modèles auxquelles elle aime se référer. Quant au féminisme, elle l'applique de manière pragmatique en prônant la complémentarité femmes-hommes.
Son proverbe africain préféré : "Les poules savent quand le jour se lève mais elles laissent le soin aux coqs de l'annoncer".► Retrouvez l'entretien d'Aude de Thuin dans "Et si vous me disiez toute la vérité" avec Denise Epoté, le 8 juin 2019 sur le plateau de TV5monde.