Elles ont le verbe grinçant, la rime incisive et de la confiance en soi à revendre ... Ces jeunes femmes font partie des nouvelles ambassadrices françaises du mouvement hip-hop. Lili’O, Koretta, Bounty, chanteuses de rap ou de soul, sont en haut de l'affiche du festival Women Like Hip-Hop, une initiative de la ville de Saint-Denis. Rencontre avec la benjamine, Bounty.
Les femmes investissent la scène. C'était le choix des organisateurs de l'édition 2018 du Festival Hip-Hop et des Cultures Urbaines de Saint-Denis, ( 29, 30 et 6 juillet près de Paris), qui ont décidé de jouer la carte exclusivement féminine avec des scènes baptisées « Women like Hip Hop », « Rap au féminin », ou « Soul au féminin » vendredi 29 juin.
Créé dans les années 2000, ce festival de musique urbaine a vu défiler bon nombre d’artistes, masculins surtout ... Le festival est né d’un mouvement contestataire des jeunes de Saint-Denis il y a de cela dix-huit ans. Pour pallier le manque de représentation des musiques urbaines dans les concerts organisés par la ville, le maire de l'époque avait alors décidé de créer ce festival.
On essaye d’établir une parité dans ces festivals, ne serait-ce qu’au niveau des têtes d’affiche.
Yaya Bagayoko, mairie de St Denis
Pour Yaya Bagayoko, organisateur du concours pour choisir les artistes et agent à la mairie de Saint-Denis à la direction de la jeunesse, cette année, l’objectif était clair : amener plus de filles sur ce type d’évènements. « On essaye d’établir une parité dans ces festivals, ne serait-ce qu’au niveau des têtes d’affiche. Mais avec des scènes uniquement dédiées aux femmes, les jeunes filles se sentent plus représentées et ont des figures féminines à qui s’identifier ».
Le mouvement Women Like Hip-Hop a été fait pour rendre hommage aux femmes qui font le hip-hop : celles qui chantent, qui rappent, qui dansent, qui graffent et qui sont dans la mode.
Sandrine Loncle, fondatrice du mouvement "Women Like Hip-Hop"
Une initiative dont se réjouit Sandrine Loncle, fondatrice de l’association « Azalia » et qui accompagne au quotidien les femmes dans leurs projets personnels. « Yaya connaissait mon travail à l’association, il m’a fait confiance. C’est la deuxième année que je place des artistes dans ce festival ». « Les scènes Women Like Hip-Hop ont été faites pour rendre hommage aux femmes qui font le hip-hop : celles qui chantent, qui rappent, qui dansent, qui graffent et qui sont dans la mode. Le but : être les ambassadrices de la culture hip hop sur scène. »
« Moi je suis jeune, je suis une fille et je rappe »
Elle a l’afro d’Angela Davis, la voix grave de la rappeuse Diam’s et une guitare à la main. Cette année, c’est la benjamine du festival. A tout juste 19 ans, elle est auteure, compositrice, interprète, a déjà monté son propre label et manage trois artistes, plus vieux qu’elle. Elle s’appelle Bounty, un nom surprenant (ndlr dans l'argo français c'est une personne d'apparence noire qui se comporterait comme une personne d'apparence blanche ) pour une jeune fille qui se définit dans ses textes comme
« la plus noire des blanches », une des problématiques qu’elle aborde dans ses chansons.
Petite, c’est grâce aux influences de ses cousins que la native de Montreuil se tourne peu à peu vers le hip-hop. Mais avant le rap, c’est à travers une éducation musicale plus "classique"que la jeune femme se forge, notamment grâce à des cours de solfège, de guitare, de piano et de batterie. Dès l’âge de onze ans
, après avoir connu une expérience raciste qui la marque, elle se décide à écrire des textes conscients, de là naît son engagement. Des chansons qui parlent d’elle, de sa condition de femme, jeune, métisse, qui se lance dans le rap, un milieu à majorité masculine.
La question du genre, de l’identité, du passage de l’enfance à l’adolescence, Bounty, l’aborde frontalement dans ses chansons. Une identité qu’elle a eu pendant longtemps du mal à accepter,
« enfant, je portais souvent des survêtements, on ne savait pas si j’étais une fille ou un garçon ». « Depuis l’artiste Diam's, le trône est vide. Elle a ouvert la voie aux autres femmes dans le rap »
C’est un fait. En France, les années 2000 ont été marquées par l’émergence, enfin, d'un rap féminin incarné par une certaine Mélanie Georgiades, plus connue sous le nom de Diam’s. Aujourd’hui retirée de la scène musicale, l’ex-rappeuse révélée au grand public par le titre "DJ" a laissé derrière elle, la porte ouverte aux autres femmes.
« Une place sur le trône », comme le dit Bounty qui n’a pas été occupée depuis plus de dix ans. Avec un album vendu à 846 700 exemplaires en 2006, aucune autre artiste féminine de la scène rap française n’a réussi aujourd’hui à réaliser les mêmes ventes. De quoi motiver notre jeune rappeuse à écumer les scènes parisiennes pour gagner en notoriété.
« Quand on invite des rappeuses dans des émissions radio, ça reste des émissions 100% féminines. C’est un vrai problème. »
Une sous-représentation à la radio mais également sur scène. Elle raconte :
« Lors de ma première scène ouverte au café La Pêche à Montreuil, on attendait (ndlr avec les artistes)
pour monter sur scène et il y a un homme qui me bouscule. Je lui ai quand même signalé de faire attention. Il m’a alors dit que lui était artiste et qu’il devait passer en premier. Je lui ai répondu que moi aussi j’étais artiste. Il a commencé à se moquer de moi, l’air de dire tu es une fille et tu rappes. Au final j’ai eu un meilleur retour du public (rires). Mais ce qui est agaçant c’est qu’il faut toujours faire ses preuves sur scène en tant que fille, il faut en faire plus que les autres, on ne peut pas être à 50% ».
A la question de l’hyper-sexualisation des femmes dans le milieu du rap féminin (notamment aux Etats-Unis), la jeune femme a un avis partagé:
« Il faut de tout. Finalement, les filles qui sont dites "provocantes" divertissent, et aujourd’hui on a fait de la musique un divertissement ». Selon elle, du rap provoc’ au rap incisif en passant par le rap engagé, il y a (comme chez les hommes) autant de rap que de rappeuses.