Mieux adapter les villes aux femmes, c'est le programme de "Womenability". Cette association française visite une vingtaine de villes dans le monde, à la recherche de modèles à adopter.
Infrastructures ou événements sportifs investis par les hommes, éclairage public insuffisant pour garantir la sécurité nocturne, équipements pour bébé réservés aux espaces féminins... "
Les villes sont majoritairement faites pour les hommes, et par des hommes", explique Charline, l'une des fondatrices de l'association Womenability (en français : "
ce que peuvent les femmes").
Au moment où elles créent
Womenability, il y a tout juste un an, Charline Ouarraki et Audrey Noeltner, l'une spécialiste de l'évaluation des politiques publiques et l'autre urbaniste, veulent donner aux femmes la même place que celle investie par les hommes dans les villes.
Elles partent de leur propre expérience du milieu urbain. Elles constatent que les femmes sont contraintes dans leurs déplacements et leur façon de se comporter et "
veulent que cela change" : "
A la Courneuve, par exemple, où on travaillait toutes les deux quand on s'est rencontrées, Audrey raconte souvent qu'elle faisait des détours pour ne pas passer dans certaines rues, où elle avait peur, avant d'arriver au boulot", relate sa collègue.
Elles s'appuient aussi sur les travaux du
géographe Yves Raibaud. Le chercheur de l'université de Bordeaux a montré, par exemple, que les infrastructures de loisirs des villes s'adressaient à 70% pour les garçons ou étaient utilisées par les garçons (terrains de foot, skate park...) Les villes présentent aussi une insécurité plus grande pour les femmes. Enfin, beaucoup de préjugés font que les villes ne traitent pas les hommes et les femmes de la même façon.
Un tour du monde des villes
Womenability est une association à but non lucratif. Ses fondateurs, tous entre 25 et 30 ans, se consacrent bénévolement à améliorer les villes pour les femmes, à travers des marches exploratoires, qu'ils mènent dans le monde entier.
Leur principal sponsor est une fondation suisse contre les discriminations, Pro victimis, qui leur accorde 45 000 euros pour monter leur projet fou : visiter une vingtaine de villes du monde, pour rapporter les meilleures pratiques et sensibiliser les décideurs politiques locaux au fait que les villes sont plus adaptées aux hommes qu'aux femmes.
L'équipe de Womenability a choisi des villes de plus de 100 000 habitants dirigées par une maire, femme. Aujourd'hui, l'équipe a déjà exploré Paris, Zurich en Suisse, Malmö en Suède, Prague en République tchèque et
Sofia en Bulgarie. Jusqu'en août 2016, elle continuera ses marches à New Haven, Baltimore et Houston aux Etats-Unis, Montevideo en Uruguay, Rosario au Chili, Capecoast au Ghana, Libreville au Gabon, Le Cap en Afrique du Sud, Francistown au Botswana, Barcelone et Madrid en Espagne, Presov en Slovaquie, Yokohama au Japon, Kaifeng en Chine, Vadodara et Ahmedabad en Inde.
Échanges de bonnes idées
Paris a donné à ses nouvelles stations de tramway des noms de femmes. Une façon de mettre les femmes à l'honneur et de montrer qu'elles sont, au même titre que les hommes, présentes dans l'histoire et la culture du pays. On retrouve cette idée à
Zurich, où des visites en bus sont organisés autour des femmes qui ont marqué la ville.
A Malmö, en Suède, autre "
bonne idée" : le skate park de la ville est réservé aux filles tous les lundis. "
On peut ainsi s'améliorer sans craindre d'être bousculer par les garçons, expliquait une jeune fille rencontrée sur place, rapporte Charline Ouarraki.
Ce qui ne nous empêche pas, ensuite, de faire du skate avec eux les autres jours de la semaine. "
La ville organise aussi un tournoi de foot, qui n'a lieu que s'il n'y a pas au moins une équipe de filles. Malmö pratique aussi le "gender budgeting", qui consiste à allouer des budgets équivalents aux hommes et aux femmes. Chaque décision municipale est vérifiée selon ce principe.
D'autres "bonnes pratiques" ont déjà été identifiées dans d'autres villes, que Womenability ne visite pas. "
A Hambourg, raconte la fondatrice de l'association,
les vélos mis à disposition par la ville ont un porte-bébé. Les toilettes des hommes, comme celles des femmes, sont équipées de table à langer. A Montréal, les bus peuvent s'arrêter entre deux stations pour déposer les femmes plus près de chez elles. Au Japon, des sièges bébé sont installés dans les toilettes."
Objectif de Womenability : donner des idées aux responsables politiques locaux. L'association veut que "
les choses vivent après son passage" explique un de ses membres. Elle forme quelques associations de développement local à la technique des marches exploratoires, pour qu'elles puissent elles-même mener des améliorations en faveur des femmes dans leur ville.
L'association construit pas à pas son réseau, sur twitter, facebook et à travers un site, tout en anglais, "
car nous voulons que notre expérience soit internationale", explique Charline Ouarraki.
Un réseau sur les femmes dans la ville
Ce mercredi soir, deux membres de Womenability ont profité de leur retour à Paris pendant quelques jours pour donner rendez-vous aux "
bénévoles intéressés par leur démarche" au Point Ephémère, à Paris. S'ils ont choisi ce bar-salle de concert du nord de la ville, sur les bords du canal Saint-Martin, c'est que : "
Avant, on avait nos bureaux juste à côté". Des bureaux mis à disposition gratuitement par un mécène, une entreprise "
séduite par le projet des jeunes engagés. C'est fou comme il y a pleins de gens prêts à donner un coup de main, de l'argent... ", explique Julien Fernandez, le troisième fondateur de l'association.
Sept femmes, toutes à peine plus de 20 ans, arrivent une à une. Parmi elles, Marissa, étudiante américaine pour deux ans à Paris. Elle prépare le master de Sciences-po Paris intitulé "
gouverner les grandes villes". Lorsqu'elle a entendu parler de Womenability par ses professeurs, elle a tout de suite voulu leur proposer son aide : "
Je traduis en anglais, quand ils ont besoin de corrections" raconte-t-elle.
D'autres sont venues se faire connaître et collaborer, comme Adèle Dauxais et Margot Charon. Les deux étudiantes en "gouvernance urbaine", elles aussi à Sciences Po, présentent leur association "
A nous la nuit", pour "
sensibiliser les gens aux problèmes d'insécurité la nuit que rencontrent les femmes et la communauté gay."
Alma Guirao, elle, présente une nouvelle application. Son projet devrait voir le jour dans quelques mois : "
il s'agit de tendre une main citoyenne et de lever le voile sur les agressions sexistes".
Toutes veulent mutualiser leur énergie pour trouver des solutions aux problèmes que rencontrent les femmes dans leurs villes. Elles attendent impatiemment les résultats de l'étude planétaire de Womenability !