"Wonder Woman 1984", le retour d'une super-héroïne féministe, ou pas?

Dans Wonder Woman 1984, l'actrice israélienne Gal Gadot reprend son lasso magique d'Amazone pour incarner Diana Prince, jeune femme à la vie apparemment paisible, avec pour simple et unique ambition de sauver le monde, sur fond d'Amérique des années 1980. Une super-héroïne, cela reste encore rare sur les écrans. Combattante, elle se doit aussi d'être belle et sexy car les stéréotypes ont l'armure solide. 

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Wonder Woman, incarnée à l'écran par l'actrice israélienne Gal Gadot, revient pour un nouvel opus Wonder Woman 1984.
©capture d'ecran/ Facebook Wonder Woman
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Quatre ans après le succès mondial des premières aventures de la super héroïne de comic, Gal Gadot retrouve Diana Prince, alias Wonder Woman, une guerrière amazone élevée sur une île isolée de la civilisation humaine. L'actrice se dit fière que cette héroïne aide à faire émerger "des personnages féminins forts", qui vont influencer de façon "puissante" le public. "Les filles ne se battent pas comme des garçons, nos corps sont différents, ajoute-t-elle, on le fait de notre façon, et c'est bien qu'on puisse le voir à l'écran".

Les filles ne se battent pas comme des garçons, nos corps sont différents, on le fait de notre façon, et c'est bien qu'on puisse le voir à l'écran.
Gal Gadot, actrice

Après le succès du premier épisode, qui a rapporté 822 millions de dollars, DC Comics a confié Wonder Woman 1984 au même duo de femmes : l'actrice israélienne Gal Gadot enfile de nouveau son armure sexy à souhait et l'Américaine Patty Jenkins reprend la réalisation derrière la caméra.

En France, le film ne sera disponible que sur des plateformes en ligne, les salles restant fermées, crise de la Covid oblige.

Une super-héroïne, anonyme et tranquille

Les adeptes du genre, qui avaient découvert la super-héroïne dans un décor de Première Guerre mondiale, retrouvent Diana Prince en 1984, dans l'Amérique du consumérisme triomphant. Elle mène une vie anonyme et tranquille, jusqu'à ce que les événements l'obligent à chevaucher à nouveau la foudre. Armée de son lasso de vérité, elle doit rétablir la paix, la justice, et éviter l'apocalypse. Tout un programme...

Etre un héros n'est pas facile, c'est même super-difficile d'autant qu'elle n'est pas parfaite elle-même et doit lutter pour faire les choses comme il faut.
Patty Jenkins, réalisatrice

Si le premier film narrait la naissance de Wonder Woman, celui-ci veut creuser la psychologie d'une super-héroïne qui n'a qu'une ambition : "aider l'humanité à s'améliorer", a résumé la réalisatrice lors d'une conférence de presse en ligne. "Etre un héros n'est pas facile, c'est même super difficile" d'autant "qu'elle n'est pas parfaite elle-même et doit lutter pour faire les choses comme il faut", a-t-elle ajouté.

Wonder Woman 1984 reste un film de comics. La recette est la même :  un peu d'humour et surtout une succession de combats et de cascades, aux voltiges spectaculaires. "Nous avons utilisé le moins d'effets spéciaux possibles, le maximum de ce que vous voyez est vrai", a promis Gal Gadot, racontant avoir vécu en huit mois "le tournage le plus difficile" de sa carrière. De nombreuses cascades ont été tournées "à l'ancienne" au moyen de câbles et de poulies, sans trucage numérique.

Mais Wonder Woman n'est pas là uniquement pour afficher sa plastique, même si cela fait évidemment partie du contrat de ce style cinématographique, et ne va pas se cantonner à battre pas seulement pour les beaux yeux turquoises de son cher et tendre, Chris Pine. Gal Gadot est celle qui se bat, seule, contre les méchant-e-s. Et oui, là encore comme dans le premier volet, il y a aussi une femme du côté sombre. Voilà donc notre héroïne lancée dans une course poursuite avec une armée de chars dans le désert, ou dans un combat aérien face à Cheetah (Kristen Wiig). Cette dernière forme l'axe du mal avec l'homme d'affaires "Max Lord", interprété par un Pedro Pascal inspiré en magnat ivre de pouvoir, à la Donald Trump, mais au bord de la faillite.

Patty Jenkins, la réalisatrice aux pouvoirs "super-rentables"

Aux Etats-Unis, Wonder Woman 1984 est sorti à la fois en ligne (HBO Max) et dans les salles qui étaient ouvertes, illustration des nouvelles stratégies des studios. Le film a rapporté 165 millions de dollars au box-office (140 millions d'euros), dont 45 millions aux Etats-Unis, selon la base de données professionnelle IMDB. Au Canada également, le film est sorti à la fois sur les plates-formes en ligne et dans un nombre restreint de salles. 

Aujourd’hui, elle figure sur la liste 'A' des producteurs qui n’hésitent pas à lui confier des films à grand budget, ouvrant la voie à ses consœurs.
Le Soleil

En 2017, Wonder Woman est devenu le film le plus rentable jamais réalisé par une femme, totalisant des recettes de 553 millions d'euros dans le monde entier. "La réalisatrice-scénariste de 49 ans (Patty Jenkins) a bien souvent persuadé des gens de changer leur fusil d’épaule. Aujourd’hui, elle figure sur la liste 'A' des producteurs qui n’hésitent pas à lui confier des films à grand budget, ouvrant la voie à ses consœurs. Bientôt, Jenkins deviendra la première réalisatrice à tourner un film de la série Star Wars", lit-on sur le site du journal canadien Le Soleil.

Pour ce deuxième opus, elle devait toucher un salaire de 4,5 à 6 millions d'euros, une somme encore jamais accordée à une réalisatrice. "Je n’ai jamais été quelqu’un qui parle d’argent. Je n’ai jamais pensé me retrouver dans une telle situation, raconte-t-elle. Cependant, le film était extrêmement réussi et je savais que je n’étais pas payé à égalité avec mes pairs. C’est donc devenu quelque chose de plus important que ma petite personne. Si je ne le fais pas, qui va le faire ? C’était à la fois une question personnelle et une sorte de devoir", a-t-elle déclaré dans la presse.

Wonder Woman, as du féminisme ? 

Malgré le succès du personnage, les super-héroïnes sont loin d'avoir accédé à la parité, et leurs homologues masculins continuent de dominer le cinéma, explique Sophie Bonadè, spécialiste de ce pan de culture populaire et des questions de genre. "Dans les années 2000, il y avait l'idée que les films sur les super-héroïnes ne se vendaient pas. Il y a eu des échecs cuisants, comme "Supergirl", "Catwoman" ou "Elektra". Mais plutôt que de se demander s'il n'y avait pas des problèmes (de qualité) dans ces films eux-mêmes, il y avait cette idée que (ce genre de films) ne se vendait pas", estime la spécialiste, autrice d'une thèse sur les stéréotypes chez les super-héros et super-héroïnes. Dans cette thèse, l'autrice évoquait déjà le "bad girl art", autrement dit l'art des mauvaises filles. Un style bien connu chez les comics, selon lequel les dessinateurs insistent sur les poitrines et les fessiers des personnages féminins, qu’ils moulent dans des costumes qui les hyper sexualisent encore d’avantage.

Selon elle, quelque chose a tout de même changé au cours de ces dernières années, il pourrait se résumer en un mot : le succès. "Le genre super-héroïque a été beaucoup exploré par le cinéma, et il a fallu se renouveler. DC Comics avait besoin de concurrencer Marvel. Dans la Justice League, il y a Batman, Superman, et le troisième personnage principal, c'est Wonder Woman. Il était logique qu'ils finissent aussi par l'adapter au cinéma. Le succès du premier Wonder Woman semble avoir surpris (ses producteurs). Il a aussi encouragé Marvel à lancer Captain Marvel (avec Brie Larson). Le succès a permis de changer les choses, et s'est ajoutée l'ambiance de l'époque, notamment aux Etats-Unis, où les paroles féministes se font entendre depuis les années 2010".
 
La sur-sexualisation, le fait d'être toujours mises dans des relations amoureuses... Elles restent souvent cantonnées à des rôles secondaires, ou ce sont des personnages rajoutés, pas les premiers auxquels on pense. La super-héroïne reste une variation du super-héros.
Sophie Bonadè, spécialiste de cinéma et des questions de genre
Selon l'experte, on est encore loin d'une réelle émancipation, car même si l'on nous donne à voir à l 'écran des femmes qui combattent des hommes et si cela donne "un imaginaire de femmes d'action",  les stéréotypes ont l'armure solide "la sur-sexualisation, le fait d'être toujours mises dans des relations amoureuses... Elles restent souvent cantonnées à des rôles secondaires, ou ce sont des personnages rajoutés, pas les premiers auxquels on pense. La super-héroïne reste une variation du super-héros".  Sophie Bonadè espère qu'en multipliant les films, on finira par voir moins de stéréotypes et plus de diversité : "Ce serait intéressant de voir des femmes qui n'ont pas le même âge ou qui viennent d'autres origines. Pour l'instant, c'est Brie Larson (Captain Marvel) ou Gal Gadot (Wonder Woman), des femmes blanches dans la trentaine, en parfaite santé physique. Alors que chez les hommes, les âges sont plus variés et on commence à avoir de la diversité".

Par exemple, pour trouver des super-héroïnes homosexuelles ou bisexuelles, "cela ne se fera pas dans les blockbusters de cinéma, mais plutôt à la télé ou dans les comics. Ces derniers ne visent pas le plus large public, mais un public qui vient voir des personnages différents, des super-héroïnes représentatives. On peut par ailleurs trouver des comics avec des super-héroïnes droguées, alcooliques, et ce n'est pas tout à fait ce qui ira en premier lieu au cinéma".

Selon la chercheure, le fait que ce soit une réalisatrice, Patty Jenkins, qui signe Wonder Woman, ne change pas vraiment la donne, car dans les films de super-héros, la marge de manoeuvre des réalisateurs est réduite. Malgré tout, si on l'a embauchée, "c'est quand même qu'on veut qu'elle apporte quelque chose. Et ça permet aussi à une femme d'avoir un énorme budget entre les mains, c'est important parce que c'est rare".
 

Retrouvez ici la prestation de Sophie Bonadè lors de la finale de "Ma Thèse en 180 secondes" de l'Université Paris-Saclay, édition 2017, intitulée "Super-héros, super-héroïnes et stéréotypes" :