"Writing Hawa", ou l'envol brisé des Afghanes

Quarante ans et cinq enfants après un mariage arrangé, Hawa peut enfin envisager une vie indépendante : apprendre à lire et à écrire, monter un petit commerce de textile... Mais en 2021, le retour au pouvoir des talibans anéantit ses projets. Dans Writing Hawa, Najiba Noori filme les désillusions des femmes de sa famille – celles de toutes les Afghanes. Rencontre dans le cadre de la 23e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève.

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affiche de Writing Hawa

Hawa et sa petite-fille Zahra. Détail de l'affiche de Writing Hawa.

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Le film documentaire Writing Hawa, réalisé par Najiba Noori et présenté en mars 2025 au Festival international des droits humains, est l'histoire de trois générations d'Afghanes hazaras à travers leurs tentatives d'émancipation du patriarcat. Trois destins liés aux soubresauts politiques qui agitent le pays. Writing Hawa raconte l'avant et l'après l'arrivée des talibans au plus près du quotidien et de l'intime des femmes, à commencer par Hawa, mère de la réalisatrice. Il est aussi une rare fenêtre ouverte sur la vie d'une famille hazara en Afghanistan sur plusieurs années.

Mariée à 13 ans, Hawa a 52 ans lorsqu'elle commence à apprendre à lire et à écrire. C'est une femme forte qui exprime avec sincérité et émotion l'espoir et la tristesse, les grands revers et les petites réussites. "Les rêves de ma mère ont été volés, et elle a passé des années à tenir le ménage et à élever ses enfants, mais elle n'a jamais perdu sa curiosité et sa motivation pour apprendre et expérimenter la vie. Elle a beaucoup pleuré, aspirant à un amour véritable et romantique", dit sa fille Najiba, réalisatrice de Writing Hawa.

Hawa est une femme intelligente, qui a tout misé sur l'éducation de ses enfants. Trois fils et deux filles "éduqués, autonomes et libres", dit Najiba, qui lui vouent un amour et un soutien inconditionnels. C'est avec leur aide que Hawa lance une petite entreprise de textile : elle recherche des broderies traditionnelles hazara dans la région de Bamiyan et les transforme en robes modernes, qu'elle vend à Kaboul. 

Nous assistons au tournant de l'histoire de l'Afghanistan depuis la fenêtre d'une famille. Najiba Noori 

L'une des filles de Hawa, Najiba, fait des études de cinéma ; sa petite-fille, Zahra, vit avec un père violent dans un village reculé du pays, où ses horizons se limitent à un mariage arrangé. Hawa réussit à la soustraire à ce destin qu'elle ne connaît que trop bien pour l'avoir vécu. Ensemble, à Kaboul, grand-mère et petite-fille étudient et parlent d'avenir. Najiba filme.

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A la croisée des chemins

En août 2021, tout s'arrête avec l'arrivée au pouvoir des talibans : la petite Zahra doit retourner dans le village d'où elle s'est échappée, tandis que sa tante Najiba s'enfuit d'Afghanistan aux premières heures de l'offensive talibane. 

Réfugiée en France, elle soutient Hawa, de loin, qui tente de garder la tête hors de l'eau alors que les nouveaux maîtres du pays s'attachent à annihiler un à un les droits des femmes afghanes et à les effacer de la société. La guerre, la violence, le manque d'accès à l'éducation et les mariages forcés étaient déjà des fléaux pour d'innombrables Afghanes depuis des décennies. Avec les talibans, c'est l'asphyxie programmée qui est en marche.

En regardant Writing Hawa, "nous assistons au tournant de l'histoire de l'Afghanistan depuis la fenêtre d'une famille", explique la réalisatrice. Zahra, Hawa et Najiba sont aujourd'hui à la croisée des chemins. 

Le documentaire Wrinting Hawa a reçu le Prix du Jury des jeunes – Documentaire du FIFDH 2025 : "Nous remettons ce prix à un documentaire qui révèle la résilience d’une femme face à une société afghane de plus en plus patriarcale, où les droits humains les plus fondamentaux — liberté, égalité, éducation et bien d’autres — sont bafoués. Des droits qui nous semblent acquis mais qui, dans le contexte actuel, sont plus que jamais menacés par la montée de l’extrémisme. En nous invitant à partager leurs mots, leurs rires et leurs larmes, ce documentaire nous plonge dans l’intimité d’une famille et de son histoire, similaire à tant d’autres. Le contraste créé entre les images douces du film et le contexte effroyable dans lequel il se déroule contribue à transmettre un message poignant et essentiel."

Retrouvez toutes les informations du Festival international du film des droits humains 2025 sur le site officiel du FIFDH.

Entretien avec Najiba Noori

Terriennes : Au Festival international des droits humains, à Genève, comment votre film a-t-il été accueilli ?  

Najiba Noori : J’ai rencontré un public très ému. Les gens m'embrassaient, avec des paroles de soutien, des mots gentils. Certains m'ont demandé ce qu'ils pouvaient faire pour nous aider. C'était génial, très agréable.

Najiba Noori

Najiba Noori en février 2025 au Helsinki Documentary Film Festival.

Capture d'écran Instagram

Comment vous sentez-vous, aujourd’hui, dans votre vie en exil ?

J'ai quitté l’Afghanistan juste après l'arrivée des talibans, en 2021. Je suis d’abord arrivée en France, puis je suis partie au Royaume-Uni et j’ai fait un tour du monde à la voile sur un bateau anglais, puis je suis revenue en France. Ma base est ici, en France. Je vis à Paris et sincèrement, je m’y sens bien. Ce n'étais pas facile, mais au moins j’ai réussi à faire ce film.  

Je me souviens de mes premiers jours en France, j'étais mal. Je n’étais pas prête à quitter l'Afghanistan comme ça, du jour au lendemain. Et puis j’étais rongée de culpabilité : comment pouvais-je, moi, vivre en sécurité ? Qu'allaient devenir les autres femmes et filles d'Afghanistan ? Je ne me sentais vraiment pas bien. Puis j'ai repris mon travail sur le film, et je l’ai terminé. Aujourd'hui, je me sens mieux, car j’ai accompli quelque chose, mais je reste minée par ce qui se passe en Afghanistan. 
 

Faire ce film vous a aidée à surmonter cette culpabilité ?

Tourner m'a fait l’effet d’une sorte de thérapie. Cela m'a beaucoup aidée de me plonger dans l'histoire de ma mère, avant les talibans, cette histoire qui est celle de toutes les femmes d'Afghanistan.  

C'est une thérapie, et c’est aussi un message. Un message fort : même en exil, les femmes d'Afghanistan résistent. Elles font ce qu'elles peuvent pour lutter contre les talibans. Je suis en contact avec d'autres exilées afghanes, dont certaines que je connaissais déjà en Afghanistan. Toutes sont arrivées en 2021. J’ai des amies artistes, par exemple, dont les œuvres portent surtout sur les femmes. 

Où se trouve Hawa, votre mère, aujourd’hui ?

Elle est en France. Ma famille est arrivée l'année dernière. C'est difficile, pour elle, de trouver sa place dans un nouveau pays, de s'adapter à une nouvelle culture, une nouvelle langue. Mais elle est très forte. Elle a commencé à apprendre le français. Elle était perdue en arrivant, mais maintenant, elle se sent bien. Aussi, parce que toute la famille est en sécurité, ici. Mes frères, surtout mes frères, étaient en danger en Afghanistan. L'un d'eux, Rasul, a coréalisé ce film avec moi. Il a été arrêté par les talibans deux fois et emprisonné. C'est l'une des raisons pour lesquelles il a quitté le pays. 

Hawa n’a pas peur. Elle connait le contexte, elle sait que c'est difficile, elle connait notre situation, mais elle accepte le risque et elle y va. Najiba Noori 

Avez-vous des nouvelles de votre nièce, Zahra ?  

Nous sommes en contact avec elle et ma soeur la voit, en Afghanistan. Elle est mariée, même si ce n’était pas son choix. La seule chose positive, c’est que son mari est jeune ; il n'a que deux ou trois ans de plus qu'elle. On lui a dit qu’elle devait s’estimer heureuse. 

Qu'est-ce qui vous impressionne le plus chez Hawa, chez votre mère ?

J'ai toujours été impressionnée par la détermination avec laquelle elle sait ce qu'elle veut : l'éducation, devenir une femme intelligente. Aujourd'hui encore, elle dit qu’elle a toujours envie d'apprendre. A écrire et à lire. “Pour moi, ce n'est pas trop tard, dit-elle. Je crois que je peux toujours faire quelque chose pour moi-même. Je peux commencer un travail. Etre une femme indépendante.” 

J'aime la façon dont notre mère nous a élevés. Elle a tout fait pour que nous ayons une éducation, et nous l'avons fait. Pour elle, c'était très important. Elle reste très curieuse intellectuellement. Elle veut apprendre, elle veut savoir, elle veut faire. C'est une personnalité très inspirante, forte et résiliente. C’est une sorte de lutteuse. Et elle n’a pas peur. Elle connait le contexte, elle sait que c'est difficile, elle connait notre situation, mais elle accepte le risque et elle y va. 

Quel est son point faible ?

Sa faiblesse, ce sont les autres, c’est le patriarcat. Par exemple, son père, qui a décidé à sa place quand elle était petite. Les hommes de la famille décidaient de l’avenir des filles, de ce qu'elles feraient. Il a simplement décidé qu'au lieu d'aller à l'école, elle devait se marier avec un homme de 30 ans de plus qu’elle. 

Dans le film, vos frères aident et soutiennent votre mère lorsqu’elle veut monter son petit commerce. C’est inattendu. Est-ce particulier à la communauté hazara ?

C'est une surprise pour beaucoup. Les gens ne s'attendent pas à voir les hommes afghans se comporter ainsi. Ils ont cette image occidentale de l’homme afghan... Je dirais que les Hazaras sont plutôt ouverts d’esprit, mais comme d'autres ethnies. Tous les hommes ne sont pas comme ça, mais beaucoup le sont. Je ne dirais pas que je compte sur tous les hommes d’Afghanistan, mais je compte sur mes frères. 

Tellement d'Afghanes ont vécu la même expérience qu’Hawa... Elles ne pouvaient pas aller à l'école, elles n'avaient pas le droit, elles étaient forcées de se marier. Najiba Noori 

Comment l’histoire de Hawa est liée à celle des femmes afghanes?  

Dans sa génération, tellement d'Afghanes ont vécu la même expérience qu’Hawa. A cause du patriarcat, elles ne pouvaient pas aller à l'école, elles n'avaient pas le droit, elles étaient forcées de se marier. Leurs rêves étaient les mêmes que ceux d’Hawa. Et croyez-moi, dès qu’elles ont du soutien, dès qu’elles ont l’occasion, les femmes y vont, comme Hawa. C'est très impressionnant. 

Le voyage d’Hawa n’a pas duré longtemps. Il venait juste de commencer quand les talibans y ont mis fin. Leur arrivée a changé l'histoire de toutes les Afghanes. Les femmes de ma génération ont travaillé pour le pays et pour elles-mêmes, pour un avenir meilleur. Nous avons réalisé tellement de choses que nous avons perdues en quelques heures. Ma génération, la génération de ma mère, et surtout, la génération actuelle.  

Quels sont vos projets d'avenir ?  

Je travaille sur un nouveau projet, un deuxième film, qui est aussi l'histoire d'une Afghane. Ma compétence, c’est de faire des films. Et je pense que c'est un média très fort pour raconter des histoires. Comme celle d’Hawa, qui étonne beaucoup : “Il y a des femmes comme ça en Afghanistan ?”

Pour Writing Hawa, j'ai filmé pendant plusieurs années en Afghanistan. Mon nouveau personnage est en France, c'est une jeune femme en exil, dont la vie a commencé en Afghanistan.  

Pensez-vous rester en France ?  

Oui, j'adore ce pays, même si je n'y étais pas du tout préparée. Bien sûr, je voulais venir en Europe, pour étudier ou pour travailler un peu, pour mon projet, mais pas comme réfugiée. Il y a des opportunités, ici, et en tant que femme, j'ai la liberté. 


 

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